Le
25 mai 2005, jour de la Pentecôte, Charles de Foucauld (1858-1916)
sera béatifié avec sept martyrs espagnols et trois religieuses. Cet
aristocrate eut un parcours complexe : il fut saint-cyrien, premier
explorateur du Maroc, converti, trappiste en France puis en Syrie,
domestique chez les sœurs Clarisses de Nazareth, et enfin missionnaire en
Algérie. Au moment de sa mort, il est le seul membre de la congrégation
qu’il avait voulu créer. Aujourd’hui 11 congrégations religieuses et
8 associations de vie spirituelle, réparties dans 65 pays, vivent des
constitutions qu’il avait rédigées ou de sa spiritualité. Les plus
importants parmi les religieux sont “en nombre” les petites sœurs de
Jésus (1400 membres) et les petits frères de Jésus (250). « Si le
grain ne meurt… » Nul doute que Charles de Jésus ait porté
beaucoup de fruits.
Mais
pourquoi avoir attendu si longtemps pour le porter sur les autels, alors
que des demandes instantes convergent à Rome depuis sa mort ? Et
pourquoi cette béatification tant souhaitée a-t-elle lieu, comme à la
sauvette, au milieu de dix autres ?
Deux
raisons principales. Tout d’abord, la procédure s’est arrêtée de
1956 à 1967, à cause des événements d’Algérie. Ensuite, il y aurait
eu des ambiguïtés à lever sur les motifs intimes de son action, d’où
la relative discrétion de Rome.
1
– Il était, disent certains, un agent de la colonisation, renseignant
les forces militaires françaises. Assassiné à Tamanrasset en 1916 par
des Touaregs à la solde des Turcs, et armés par les Allemands, Charles
de Jésus représentait la France dans ce coin de désert, et donc gênait
ses ennemis. S’il rendait la France sympathique aux autochtones, c’était
surtout par la sainteté de sa vie, et aussi parce que les populations
locales, lassées des razzias, aspiraient à l’arrivée des forces
françaises seules aptes à assurer la sécurité et la prospérité. Le
bienheureux Charles avait compris que pour atteindre son but : faire
connaître et aimer le vrai Dieu, il était bien plus aisé de s’appuyer
sur la force publique, surtout si elle est consciente, comme l’était
son ami le général Laperinne, de son devoir de soutenir l’effort des
missionnaires. C’est pour cela qu’il écrira en 1912 que c’est à la
France, qui possède le Sahara, de convertir les peuples du désert. Si
cela ne se passe pas ainsi, « les progrès de l’instruction que nous
aurons apportés se feront contre nous et, dans cinquante ans, ils nous
chasseront ». C’est à la France, insistait le Père Charles, et
non seulement aux Français qu’incombe le devoir de favoriser la
conversion des « pauvres musulmans », conversion qu’il
juge possible, après une première phase de civilisation.
2
– L’un des motifs mis en avant pour sa béatification est sa
spiritualité de « frère universel ». En effet, installé en
Algérie, à la frontière marocaine, à Beni-Abbès où il mène une vie
intense de prière et de contacts avec la population, il écrit : «
Je ne cesse de parler et de voir du monde : des esclaves, des pauvres,
des malades, des soldats… ». « Je veux habituer tous les
habitants à me regarder comme leur frère, le frère universel. »
Cela semble bien correspondre à la pratique œcuménique actuelle. D’autant
qu’il a, dit-on, retrouvé la foi au contact des musulmans. Seulement
voilà, dès 1909, le Père de Foucauld voulait organiser une confrérie
des « Frères et Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus » dont un des
buts était la conversion des infidèles musulmans. Il avait écrit
pendant son voyage d’exploration au Maroc que l’islam ne peut être
vraie, car « trop matérielle ». De plus, c’est pour aider à
la conversion des musulmans qu’il se laisse convaincre de devenir
prêtre : pour que Notre Seigneur soit, grâce à la messe, grâce au
Saint Sacrement, au milieu de ces pauvres abandonnés pour qui le Christ a
subi sa Passion. |