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« Le prochain pape ne sera pas un progressiste »

Abbé Claude Barthe - Propos recueillis par Joël Prieur

Pacte n°91

Les pronostics vont bon train sur la personnalité du successeur de Jean Paul II. Nous avons demandé à M. l’abbé Claude Barthe s’il avait une hypothèse. Chroniqueur religieux réputé, l’abbé Barthe est certainement, en France, l’un des spécialistes incontestés de l’évolution du monde religieux catholique.

On parle d’un conclave hors normes.

La grande nouveauté sera d’abord dans la manière dont il va matériellement se dérouler, dans une quinzaine de jours. Les cardinaux électeurs et leurs assistants seront logés, non plus aux alentours de la Sixtine, à droite de la basilique Saint-Pierre, mais dans la Maison Sainte-Marthe, à gauche de la basilique, dans un palais qui, sans être luxueux, est très confortable et permet, si nécessaire, d’envisager un conclave de longue durée. Les cardinaux traverseront plusieurs fois par jour la sacristie de Saint-Pierre et la basilique par un couloir fermé pour aller voter dans la chapelle Sixtine, selon l’usage.

Et ils éliront…

Une chose est certaine : le prochain pape ne sera pas un « progressiste », car les nominations successives de cardinaux faites par Jean  Paul II font que le collège cardinalice est très majoritairement « modéré ». Les cardinaux les plus conciliaires, qu’on pourrait qualifier de centre gauche – représentés hier par le cardinal Martini, aujourd’hui, par exemple, par le cardinal Hummes, de Sao Paulo – n’ont même plus la possibilité de constituer la fameuse « minorité de blocage », celle du tiers du collège, le pape étant élu à la majorité des deux tiers plus une voix. Au temps où le cardinal Martini était archevêque de Milan, les instances dirigeantes de la Curie avaient d’ailleurs si peur que Martini bloque ainsi les scrutins, qu’ils ont fait modifier la loi électorale par la constitution Universi Dominici gregis, de 1996. Elle autorise, grosso modo, au bout d’environ dix à quinze jours de votes infructueux, d’élire le pape, non plus aux deux tiers, mais seulement à la majorité absolue des voix. Ceci dit, comme on sait, les modifications de lois électorales se retournent parfois contre leurs promoteurs : les progressistes vont se rallier à un candidat modéré-libéral, qui pourrait bien atteindre, à la longue, la majorité requise.

Tout cela fait bien politique, sociologique. 

Je n’y peux rien. L’Eglise est divine et humaine, grâce et politique, surnaturel et sociologie. Le Saint Esprit soufflait, au XVIe, siècle entre le parti français et le parti espagnol, au XIXe siècle et au XXe siècle, au milieu des luttes entre zelanti et libéraux. Par ailleurs, nous sommes aujourd’hui, quarante ans après Vatican II dans une situation ecclésiale tout à fait atypique, où, entre autres caractéristiques, la mondanité moderne étouffe le surnaturel. Pour donc, parler très concrètement et prosaïquement, en termes, j’en conviens, très inadéquats pour qualifier une situation religieuse, et surtout bien trop approximatifs, deux grandes tendances sont en présence dans le collège cardinalice : celle des modérés libéraux, prêt à transiger avec la pression des plus conciliaires et à accentuer le style novateur du pontificat qui s’est achevé, et celle des modérés « restaurationnistes », qui voudraient bien freiner la dérive libérale. Il est clair que le cardinal Ratzinger, malgré ou à cause de ses 78 ans, auteur de tous les documents doctrinaux des vingt dernières années, est devenu, tout particulièrement dans les derniers temps du pontificat de Jean Paul II, l’homme fort de cette tendance.

Un pape de transition ?

Lui ou un autre poussé par lui. Une transition en sens inverse de celle de Jean XXIII. Derrière lui, ou à côté, le cardinal Ruini, vicaire de Rome, président de la conférence épiscopale italienne, plus ouvert aux influences américaines, l’homme d’un certain redressement « identitaire » du catholicisme italien (il a, en gros réussi, sous Berlusconi, ce que les évêques espagnols ont essayé sous le PPE). En face, si l’on peut dire, émergent des papables, qui sont loin d’avoir la carrure intellectuelle de Ratzinger ou le poids de Ruini, mais qui ont de sérieux atouts, le cardinal Tettamanzi, archevêque de Milan, qui fait ouvertement campagne depuis plusieurs années, et le cardinal Angelo Scola, 63 ans, patriarche de Venise, homme de grande ambition, qui se présente comme médiateur, issu du mouvement conservateur Communion et Libération, et promoteur récent d’une organisation de dialogue très médiatisée avec l’Islam. Mais Tettamanzi, à la différence de Scola, ne parle guère qu’italien. Moraliste de formation, il a, pour sa part, mis de l’eau dans son vin, en se spécialisant dans la morale du mondialisme et en adoucissant ses positions antérieures à propos de la protection contre le sida.

Comme le cardinal Schönborn ?

Oui, et même sur ce dernier point (les prophylactiques, comme « moindre mal »), le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, autre papable de 60 ans, a pris des positions encore plus nettement libérales. À ceci près, qui n’est pas un détail, le cardinal Schönborn est un doctrinal, plus balthasarien que thomiste, il est vrai. On le dit dépressif et il est notoire qu’il n’a pas montré des qualités de gouvernement exceptionnelles. Mais on assure qu’il aura la voix et le soutien du primat des Gaules, le cardinal Barbarin.

Et aussi le soutien du cardinal Lustiger ?

A cause de leurs positions proches dans le dialogue avec le judaïsme ? Sans sonder les éminentissimes consciences électorales, je verrais plutôt, aujourd’hui, le cardinal Lustiger en ratzinguérien.

On parle d’un pape africain ?

Le cardinal Arinze, très ratzinguérien, préfet de la congrégation du Culte divin ? Les vaticanistes imaginent assez volontiers un pape italien. A défaut, on se tournerait plutôt vers un cardinal d’Amérique latine, hypothèse appuyée par le fait que le cardinal Sodano est très proche des Américains latins, et que le très puissant Substitut, Mgr Sandri, vient de Buenos Aires. On parle alors du cardinal Rodriguez Maradiaga, du Honduras, plus « restaurationniste » que le cardinal Bergoglio, jésuite de 68 ans, plus « transigeant », qui serait le candidat de la section française de la Secrétairerie d’Etat.

Alors, votre pronostic ?

Il est parfaitement vain de faire des pronostics, d’autant qu’une grande part du collège sera constitué de cardinaux venant de pays lointains, réagissant  du point de vue ecclésiastique en fonction de critères régionaux très divers. Le fait est que vont peser les avis de ceux que l’on qualifie de grands électeurs, à savoir spécialement le cardinal Ruini, le cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat, pour sa part non papable, et le cardinal Ratzinger. Ce dernier est, en toute hypothèse, incontournable comme on dit. Il est porté par un véritable « parti ». Anecdote amusante : lors des obsèques récente de Mgr Giussani, fondateur de Communion et Libération, dans la cathédrale de Milan, qu’il présidait aux côtés du cardinal Tettamanzi, l’un et l’autre ont prononcé une homélie. La foule des membres de Communion et Libération a applaudi Ratzinger à tout rompre, mais est restée de glace pour Tettamanzi. Un de ceux qui ont contribué à asseoir sa position de papable de manière décisive est le pieux cardinal Herranz, qui préside le Conseil d’interprétation des textes canonique. Mais rien ne dit que le Préfet de la Foi acceptera d’entrer en lice. Il peut parfaitement désigner un candidat qui pourrait surprendre tout le monde.

Et que fera-t-il, à votre avis ?

J’ai une idée toute personnelle sur cette question, que je préfère garder pour moi. Une chose est certaine : il va contribuer – sans peine d’ailleurs, car cela correspond à la réalité de l’Église – à dramatiser au maximum la préparation du conclave dans les jours qui viennent. On peut même dire qu’il a lancé le thème dans son chemin de Croix au Colisée, le Vendredi saint : « La barque de l’Eglise fait eau de toutes parts ».

Et les revendications traditionalistes ?

Elles collent indirectement à la tendance « restaurationniste ». Je suis persuadé que la question liturgique, dans une Église qui va se réduire, moralement, à une Église des catacombes, prendra une importance décisive sous l’aspect du thème de la « réforme de la réforme » liturgique, thème qui pourra devenir moteur pour celui de la réforme du Concile. Malheureusement, le traditionalisme, en toutes ses tendances, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a pas cultivé le talent reçu. Il est dérisoire d’imaginer qu’il puisse être le ferment du sursaut qu’appellent le jeune clergé, les mouvements « identitaires », et toute le peuple de foi qui, en bien des pays, attend le relèvement de l’Eglise.

Bref, vous êtes très pessimiste.

Non, je suis très optimiste au contraire, comme on pouvait l’être au plus fort de la crise arienne, ou au sommet de l’explosion protestante. Mais puisque nous parlons du conclave, quelle qu’en soit l’issu, la suite en sera assurément dramatique. Si l’élu est un « transigeant », la décomposition libérale va s’accentuer dans un corps exténué. S’il est « restaurationniste », les provocations libérales et l’émiettement vont s’accentuer. La crise de l’Église, la vraie, est devant nous. Mais les germes de renouveau sont là. D’un renouveau complètement différent d’un retour au statu quo ante.

Propos recueillis par Joël Prieur