Jean
Sevillia a décidément le don de la clarté. Il fait parler l’histoire comme
personne. Son dernier livre, Historiquement
correct, a largement contribué à imposer une idée simple : notre
culture historique est fondée sur une véritable légende noire
antichrétienne et sur un petit catéchisme gauchisant, aussi manichéen
que mal étayé dans les faits. S’autorisant de l’avènement d’une
nouvelle histoire plus libre vis-à-vis des schémas a priori (moins
asservie à la vulgate marxiste), s’appuyant sur les historiens les plus
récents, Sévillia avait osé jeter un regard neuf, un regard clair, sans
inféodation idéologique, sur la longue histoire de notre pays. Paru il y
a deux ans, ce livre annonce des temps nouveaux pour l’enseignement de l’histoire
: les lecteurs ne s’y sont pas trompés et ont d’ores et déjà
plébiscité cet essai brillant.
L’anticléricalisme
: pain quotidien des idéologues de la IIIème République
Le
livre qu’il publie ces jours-ci, toujours aux éditions Perrin, a les
mêmes qualités de clarté et d’objectivité que le précédent. Il se
présente également comme une réaction, mais cette fois c’est le
silence que défie Jean Sévillia. Il existe une sorte d’omerta sur les
excès de l’anticléricalisme sous la IIIème république. A l’occasion
du centenaire de la Loi de 1905, il était nécessaire de briser ce tabou.
Par un sobre rappel des faits, sans jamais se laisser aller à des
jugements de valeurs, Sévillia nous fait comprendre que c’est tout un
pan de notre mémoire qui a curieusement disparu. Les attaques répétées
du Pays légal contre l’Eglise, cette agressivité qui connut pendant un
quart de siècle (de 1880 à 1907) des périodes de véritable fièvre,
nous avions voulu l’oublier. L’anticléricalisme a été pourtant le
pain quotidien des idéologues de la IIIème République.
On
notera que Sévillia fait justice du poncif souvent répété selon lequel
c’est le régime pétainiste de l’Etat français qui a réhabilité l’Eglise
catholique en France. En fait le processus avait commencé avant Pétain:
déjà Edouard Daladier
projetait de signer avec Pie XI
un nouveau Concordat. Le gouvernement du Maréchal a enterré ce projet,
comme plus tard le général De
Gaulle oubliera les plans que le socialiste Guy
Mollet faisait avec Pie XII
dans le même sens. Le reflux de l’anticléricalisme procède autant d’une
gauche désormais consciente que les vrais problèmes du pays sont
économiques et sociaux que d’une droite, somme toute bien frileuse dans
sa politique religieuse comme en beaucoup d’autres domaines.
C’est
en France que les réflexes cathophobes sont les plus forts
Autre
point fort du livre : la réhabilitation non conformiste du pape Pie
X, souvent présenté par l’historiographie comme un personnage
archaïque, qui aurait coupé l’Eglise de la culture moderne. Sévillia
montre que dans l’affaire de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat,
les consignes de résistances que PieX finit par donner se révélèrent
infiniment plus fécondes que la frilosité de certains évêques, prêts
à accepter l’inféodation de l’Eglise à l’Etat et la privatisation
absolue du culte, c’est-à-dire le programme d’Emile
Combe. Il cite le curieux éloge posthume que fit au grand pape
traditionaliste le très retors Aristide
Briand : « Pie X ? Je ne l’ai pas toujours compris, mais ce sont vos
évêques qui m’ont égaré. C’était de braves gens, sincères et de
bonne volonté. Mais ils avaient les yeux tournés vers le passé. Ils ne
voyaient pas l’avenir comme PieX... » Le prince des diplomates
républicains, faisant l’éloge de l’intransigeance pontificale, cela
ne manque pas de piquant…
Actuellement
cette vieille passion française qu’est l’anticléricalisme demeure
trop souvent présente dans le débat politique français et européen.
Les réflexes cathophobes sont plus forts en France que dans n’importe
quel pays de l’Union européenne. De ce point de vue, on peut presque
dire, qu’à travers cette fresque historique, c’est à un examen de
conscience que nous convie Jean Sévillia : cette cathophobie, à l’heure
où les musulmans s’installent par millions en France, ne
correspond-elle pas à une forme de masochisme ? «Seule
une religion peut répondre à une religion » explique l’auteur. La
surenchère laïque que provoque chez nos gouvernants la peur obscure de l’islam
est profondément déraisonnable au regard de l’histoire. Tel pourrait
être l’ultime message de ce livre. |