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Petite histoire de la cathophobie

Joël Prieur

Pacte n°90 - janvier 2005

Jean Sevillia a décidément le don de la clarté. Il fait parler l’histoire comme personne. Son dernier livre, Historiquement correct, a largement contribué à imposer une idée simple : notre culture historique est fondée sur une véritable légende noire antichrétienne et sur un petit catéchisme gauchisant, aussi manichéen que mal étayé dans les faits. S’autorisant de l’avènement d’une nouvelle histoire plus libre vis-à-vis des schémas a priori (moins asservie à la vulgate marxiste), s’appuyant sur les historiens les plus récents, Sévillia avait osé jeter un regard neuf, un regard clair, sans inféodation idéologique, sur la longue histoire de notre pays. Paru il y a deux ans, ce livre annonce des temps nouveaux pour l’enseignement de l’histoire : les lecteurs ne s’y sont pas trompés et ont d’ores et déjà plébiscité cet essai brillant.

L’anticléricalisme : pain quotidien des idéologues de la IIIème République

Le livre qu’il publie ces jours-ci, toujours aux éditions Perrin, a les mêmes qualités de clarté et d’objectivité que le précédent. Il se présente également comme une réaction, mais cette fois c’est le silence que défie Jean Sévillia. Il existe une sorte d’omerta sur les excès de l’anticléricalisme sous la IIIème république. A l’occasion du centenaire de la Loi de 1905, il était nécessaire de briser ce tabou. Par un sobre rappel des faits, sans jamais se laisser aller à des jugements de valeurs, Sévillia nous fait comprendre que c’est tout un pan de notre mémoire qui a curieusement disparu. Les attaques répétées du Pays légal contre l’Eglise, cette agressivité qui connut pendant un quart de siècle (de 1880 à 1907) des périodes de véritable fièvre, nous avions voulu l’oublier. L’anticléricalisme a été pourtant le pain quotidien des idéologues de la IIIème République.

On notera que Sévillia fait justice du poncif souvent répété selon lequel c’est le régime pétainiste de l’Etat français qui a réhabilité l’Eglise catholique en France. En fait le processus avait commencé avant Pétain: déjà Edouard Daladier projetait de signer avec Pie XI un nouveau Concordat. Le gouvernement du Maréchal a enterré ce projet, comme plus tard le général De Gaulle oubliera les plans que le socialiste Guy Mollet faisait avec Pie XII dans le même sens. Le reflux de l’anticléricalisme procède autant d’une gauche désormais consciente que les vrais problèmes du pays sont économiques et sociaux que d’une droite, somme toute bien frileuse dans sa politique religieuse comme en beaucoup d’autres domaines.

C’est en France que les réflexes cathophobes sont les plus forts

Autre point fort du livre : la réhabilitation non conformiste du pape Pie X, souvent présenté par l’historiographie comme un personnage archaïque, qui aurait coupé l’Eglise de la culture moderne. Sévillia montre que dans l’affaire de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, les consignes de résistances que PieX finit par donner se révélèrent infiniment plus fécondes que la frilosité de certains évêques, prêts à accepter l’inféodation de l’Eglise à l’Etat et la privatisation absolue du culte, c’est-à-dire le programme d’Emile Combe. Il cite le curieux éloge posthume que fit au grand pape traditionaliste le très retors Aristide Briand : « Pie X ? Je ne l’ai pas toujours compris, mais ce sont vos évêques qui m’ont égaré. C’était de braves gens, sincères et de bonne volonté. Mais ils avaient les yeux tournés vers le passé. Ils ne voyaient pas l’avenir comme PieX... » Le prince des diplomates républicains, faisant l’éloge de l’intransigeance pontificale, cela ne manque pas de piquant…

Actuellement cette vieille passion française qu’est l’anticléricalisme demeure trop souvent présente dans le débat politique français et européen. Les réflexes cathophobes sont plus forts en France que dans n’importe quel pays de l’Union européenne. De ce point de vue, on peut presque dire, qu’à travers cette fresque historique, c’est à un examen de conscience que nous convie Jean Sévillia : cette cathophobie, à l’heure où les musulmans s’installent par millions en France, ne correspond-elle pas à une forme de masochisme ? «Seule une religion peut répondre à une religion » explique l’auteur. La surenchère laïque que provoque chez nos gouvernants la peur obscure de l’islam est profondément déraisonnable au regard de l’histoire. Tel pourrait être l’ultime message de ce livre.

Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors la loi, éd. Perrin, 330 pp., 21,00 euros.