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"Pour conclure le congrès..."

Michel Moubèche

Pacte n°90 - janvier 2005

Michel Franc, président des Cercles de Tradition de Paris a adressé au grand amphithéâtre de la Mutualité ces quelques paroles de conclusion qui situent bien les enjeux de notre Congrès. A travers l’idéologie laïque, ce qui est mis en question, c’est la possibilité même de l’existence d’une vérité qui s’impose à l’esprit humain et détermine sa liberté.

Le centenaire des lois scélérates de 1905 a donné l’occasion à notre grande famille catholique et française de se réunir. Nous avons accompli aujourd’hui un « devoir de mémoire » comme ils disent. Comment oublier en effet le torrent de haine qui s’est abattu sur les catholiques à l’orée du vingtième siècle ? Un peu plus de cent ans après la terreur de la révolution française, après le génocide vendéen, la république a envoyé la troupe pour briser les tabernacles et piller les églises. On a interdit la soutane aux prêtres. On a chassé de pauvres moines et banni de bonnes religieuses. Pour quels crimes ? Porter un habit de pénitence dans un monde ivre de plaisir ? Prier ? Soulager les misères de leurs prochains ? Intolérance, fanatisme, honte : voilà ce qu’a produit la république laïque ! C’était il y a seulement cent ans et les grands parents de certains d’entre nous ont vécu ces événements ! Mes chers amis, n’oublions jamais ces méfaits et ne nous laissons pas abuser par ceux qui nous demandent aujourd’hui de nouvelles concessions.

Mais ce triste anniversaire est surtout l’occasion de nous interroger sur notre identité. Nombreux parmi nous n’ont pas le bonheur de partager la foi catholique. Pourtant nous sommes tous venus. Pourquoi ? Parce que nous sommes attachés à l’image de ces beaux villages de France dont les maisons ont poussé autour de la vieille église, comme des petits autour de leur mère. Et nous n’imaginons pas que cette église puisse être un jour remplacée par une mosquée ! Alors nous avons réfléchi aux dangers qui menacent notre identité française : flux migratoires inassimilés, émergence d’un islam de masse sur notre vieille terre de chrétienté, abdications de souveraineté face à la technocratie européenne. Nous avons aussi cherché les motifs de cette « cathophobie contemporaine », de cette hostilité systématique à un catholicisme donné en ennemi commun dans tout débat sur la religion ou la nation.

On a évoqué aujourd’hui le dernier ouvrage de Nicolas Sarkozy intitulé La République, les religions, l’espérance. Il est important pour deux raisons. La première est son contenu : non que celui-ci soit nouveau, il est au contraire assez commun et tel est précisément son intérêt : ce petit ouvrage est la synthèse de cent ans de laïcité. Il constitue une vulgate de la pensée contemporaine sur les questions religieuses. Son autre intérêt est évidemment l’auteur qui, comme chacun sait, nourrit des ambitions présidentielles. Or quel est l’électorat de Nicolas Sarkozy ? la droite conservatrice, c’est-à-dire la France catholique ! Nicolas Sarkozy sera-t-il donc le champion de notre parti ?

Que dit M. Sarkozy ? Il commence son discours en soulignant la valeur de la religion en général, notamment en raison de ses vertus civiques. Je le cite : « je suis convaincu que l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté » (p. 19). Cette vision est proche de celle de Karl Marx, qui voyait en la religion un simple « opium du peuple ». M. Sarkozy poursuit : « On a d’abord connu la religion qui faisait la loi ; de ce point de vue, il y avait une confusion totale dans l’Ancien Régime. Il faut quand même dire les choses telles qu’elles sont : ce qu’on reproche aujourd’hui aux musulmans, dans les pays musulmans, nous l’avons vécu il y a quelques siècles avec une imbrication totale du pouvoir religieux et du pouvoir royal. Il y a eu ensuite une volonté de la République de s’émanciper de l’influence d’une religion devenue omniprésente. C’est le temps de la laïcité de combat. Puis nous sommes entrés dans une phase de normalisation et d’équilibre où les grandes religions ont démontré qu’elles avaient toute leur place dans la république » (ibidem).

Quelle est donc cette place ? « la religion n’est pas simplement un phénomène cultuel. Elle est aussi un élément d’identité culturelle » dit-il. Jusqu’ici nous sommes d’accord. Mais il poursuit : « en vérité, et c’est bien là le problème, la France est devenue multiculturelle, multiethnique, multireligieuse… et on ne le lui a pas dit. La composante musulmane de France est une réalité ! » (p. 22). Nous n’avions pas attendu le petit Nicolas pour nous en rendre compte !

Voilà le fond de l’affaire ! On veut absolument nous faire admettre que la France est un creuset, un « melting pot » comme disent les Américains, une mosaïque dont le ciment serait la République. De là, la religion ne serait qu’une affaire privée. Bonne en tant que telle, elle constituerait une sorte d’hygiène socialement utile, un peu comme le sport, qui détend et rend aimable. Pour Nicolas Sarkozy, la religion permet aux citoyens d’avoir de l’espérance ! Qui avancerait sans espérance ? Mais évidemment pas question d’imposer au citoyen le football plutôt que le judo ou la pêche à la ligne ! La seule règle qui doive être respectée est qu’il n’en faut imposer aucune.

« Poser comme postulat qu’il y aurait des religions supérieures à d’autres, ou différentes des autres en raison de leurs valeurs (…), c’est se heurter à l’égalité intangible des hommes entre eux, quelles que soient leur origine ou leur croyance. Le rôle du ministre des Cultes n’est pas de hiérarchiser les Eglises ou les religions. Toutes celles qui sont reconnues comme grands courants religieux doivent être à égalité de droits et de devoirs. C’est aussi cela la laïcité. Il n’y a en France ni religion officielle, ni religion d’Etat, ni même une religion  au-dessus des autres » (p. 52).

C’est là, mes chers amis, le projet de la philosophie des Lumières. Emmanuel Kant annonçait l’étrange théologie de Nicolas Sarkozy, lorsqu’il distinguait dans son ouvrage intitulé La religion dans les limites de la simple raison (1794), les « églises historiques » de « l’église véritable » et les « dogmes historiques de la foi » de la « pure foi religieuse ». Chacun aurait ainsi « sa » tradition religieuse (catholique, musulmane, juive ou autre) et toutes ces traditions seraient également légitimes. La foi « pure » serait simplement d’en avoir une, c’est-à-dire de croire en quelque chose, peu importe quoi. D’ailleurs M. Sarkozy note que les grandes traditions religieuses s’accordent sur l’existence d’un Dieu unique, créateur et sur une vie après la mort…(p. 56).

La religion est donc acceptable pour la République si elle renonce à se déclarer supérieure aux autres en prétendant détenir la vérité.

Prétendre détenir la vérité : voilà qui est intolérable et répréhensible ! C’est « l’intégrisme » que Nicolas Sarkozy dénonce des mots les plus durs : « il ne faut pas confondre le fondamentalisme et l’intégrisme. Quand un croyant affirme : “je vis mon engagement spirituel conformément aux fondamentaux de ma religion”, nous n’avons rien à y redire, en tout cas du point de vue de la République. Là où l’inacceptable est franchi, c’est lorsque ce fondamentalisme veut s’imposer aux autres, notamment aux proches ou aux membres de la famille. Appliqué à soi-même, l’absolu n’est pas un danger pour la société. Imposé aux autres, il devient un danger. C’est à mon sens la différence entre le fondamentalisme et l’intégrisme, qui est le nom approprié pour l’extrémisme religieux » (p. 36).

 « L’intégrisme est une volonté de vivre sa religion en l’imposant aux autres. Il se traduit par le non-respect de l’identité de l’autre. Il cherche à contraindre, à imposer une lecture du monde, de l’homme, des rapports entre politique et mystique. Il ne peut y avoir de place pour cette attitude dans la République française » (p. 87), conclut M. Sarkozy.

Par conséquent, déclare l’ex-ministre de l’Intérieur, il convient de « faire preuve d’une intolérance résolue envers toutes les attitudes qui violent les règles de la République sous couvert de prétexte religieux » (p. 37). « Intolérance résolue » : sous la Révolution on guillotinait les gens parce qu’ils portaient un chapelet. M. Sarkozy déclare qu’on ne doit pas même chercher à imposer sa religion aux membres de sa famille : réclamera-t-il la prison pour ces pères qui imposent leur « absolu religieux » aux citoyens sans défense que sont leurs enfants ?!

Finalement la question de la laïcité se résume tout simplement à la question de la vérité. La vérité existe-t-elle ? Est-elle une ? A-t-elle été révélée ? L’Eglise est-elle divine ? Accepter la laïcité républicaine est répondre négativement à ces questions.

Avec complaisance M. Sarkozy constate que « dans nos sociétés, les religions ont abandonné toutes perspectives d’exercice d’un pouvoir temporel » (p. 36). De fait, les hommes d’Eglise ont pour la plupart abandonné la doctrine des papes Léon XIII et Pie XI sur la constitution chrétienne des Etats ou sur le règne social du Christ-Roi. Se fondant sur une logique héritée des Lumières, Vatican II a même développé une doctrine nouvelle de la dignité de la personne humaine qui fonderait le principe de la liberté religieuse et donc de la laïcité de la société civile.

Mais Jésus-Christ n’a lu ni Emmanuel Kant ni Nicolas Sarkozy et déclare avec une divine audace : « je suis la voie, la vérité et la vie » (Jo 14, 6). Montant au ciel, ses dernières paroles sont « celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé. Celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc 16, 16). Alors M. Sarkozy peut bien nous jeter en prison, mais il n’est pas en notre pouvoir de diminuer la force de ces paroles de Notre Seigneur.

Mes chers amis, même si presque tout le monde, même catholique, accepte cette laïcité, nous ne pouvons nous y résigner. Nous devons dire non ! Nous devons proclamer que la religion catholique n’est pas une religion comme les autres, qu’elle est la seule vraie religion et qu’elle doit être considérée comme telle en France !

La France a toujours été reconnue par l’Eglise comme sa fille aînée ! Cela signifie que nous autres Français avons la charge spéciale de défendre l’Eglise lorsqu’elle est attaquée ! Ceci est vrai aujourd’hui comme hier lorsqu’on clamait « Gesta Dei per Francos ! Les choses de Dieu passent par les Français ! ». Les dons de Dieu sont sans repentance. Nous restons la fille aînée de l’Eglise, même si en donnant la révolution au monde nous avons mérité tous les châtiments. A nous de nous relever ! L’Eglise en a besoin !

Chers amis, la religion est une réalité incarnée ! Or la France est d’abord une réalité charnelle et c’est cette réalité qui doit se relever. Oh ! Nous pourrions être découragés. Qui n’est contre nous ? La loi… Le système… Le clergé qui nous abandonne souvent…

Mais n’ayons pas peur ! Jeanne d’Arc, la grande, la sainte Jeanne d’Arc n’allait-elle pas répétant que le Christ est le véritable Roi de France et que celui sacré à Reims n’était que son lieutenant ? Cela aurait-il changé ? Non, c’est impossible, car Dieu ne change pas. Les miracles de Jeanne sont là pour en témoigner. Si Dieu ne se montre pas, c’est parce que nous ne sommes pas disposés à Le recevoir.

Mes amis, nous avons reçu la France en héritage. Elle est notre patrimoine : cela ne veut pas dire que nous en sommes propriétaires, cela signifie que nous lui appartenons. Nous ne pouvons donc pas en faire ce que nous voulons ou – pire – ce que veulent les politiciens au nom d’une pseudo volonté générale. Nous devons seulement la servir.

Jeanne a déclaré que les hommes combattraient et que Dieu donnerait la victoire. La France nous dépasse. Notre pays a quinze siècles. Quinze siècles ne s’effacent pas avec une loi ! Mais la France est en danger. Elle peut disparaître par perte de son identité ou bien par dissolution dans la technocratie européenne. Nous sommes certes incapables de sauver la France, mais il faut seulement combattre, c’est-à-dire transmettre. Transmettre la France. Comment ?

Chers amis, aucune nation ne peut mourir, sauf volontairement. Malgré les lois qui la défigurent, la France vit. Elle vit en chacun d’entre nous. La République peut voler nos églises et notre liberté, elle ne peut voler notre cœur. C’est pourquoi notre premier devoir est de cultiver la France dans nos cœurs. L’aimer d’amour dans tout ce qu’elle est : sa langue, ses traditions, son patrimoine et par-dessus tout aimer le moteur de tout cela, j’ai nommé le catholicisme qui fait partie intégrante de l’identité française !

Prenons courage ! Tout semble perdu, mais rien n’est impossible à Dieu. Ce combat est surnaturel. Gesta Dei per Francos !

(1) Cerf, Paris 2004, 173 p.