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Si l’on veut faire du bien à la France…

Abbé G. de Tanoüarn

Pacte n°90 - janvier 2005

La question de la laïcité apparaît comme la question centrale, en cette année 2005. Terrible ironie de l’histoire : cette idéologie si typiquement française avait pour but de faire disparaître le problème religieux, en enfermant la croyance dans le prétendu sanctuaire de la conscience individuelle... Cette solution finale du problème religieux, tout laissait supposer qu’en France elle aurait le dernier mot. Et puis l’islam est arrivé ; des millions de musulmans sont devenus des Français. Et, face à l’islam, religion communautaire, la laïcité paraît en panne. Sa fameuse puissance d’intégration est remise en question. Elle perd chaque jour un peu de son prestige.

Dans cette situation nouvelle, l’Eglise aurait dû profiter du trouble public et des débats tous azimuts qui s’annoncent pour marquer sa spécificité et revendiquer la reconnaissance publique d’une prépondérance sociale des valeurs chrétiennes. Le magistère si noble des papes du XXème siècle de Pie IX à Pie XII aurait pu trouver comme un nouvel éclat et une actualité particulière dans cette situation nouvelle où se débat non seulement la France, mais la vieille Europe – tout entière confrontée à une immigration légale et illégale de première importance.

Jean Paul II vient d’envoyer à Mgr Ricard, président de la Conférence épiscopale, un document extrêmement nuancé sur la laïcité, à l’occasion du centenaire de la Loi de 1905. On y trouve réunies toutes les ambiguïtés de ce centenaire. Et comme souvent dans les textes du pape, lorsque le choix apparaît trop difficile à faire, les perspectives opposées ne s’excluent pas ; elles se juxtaposent, donnant l’impression, comme le dit un de mes amis, prêtre en paroisse, que l’on a affaire non à un pontificat mais à un brouillon de pontificat. Un peu comme lorsque, dans une dissertation, où il faut choisir un angle d’attaque et proposer une démonstration, le bon élève trop appliqué, voulant montrer qu’il sait tout, juxtapose en cinq pages, les thèses les plus hétérogènes en un catalogue où les affirmations se multiplient sans véritable prise de position.

Au paragraphe 8, le pape rappelle opportunément : « On se trompe lorsqu’on pense que la référence publique à la foi peut porter atteinte à la juste autonomie de l’Etat et des institutions civiles ou bien que cela peut même engendrer des attitudes d’intolérance ». Il milite ici clairement pour une réaffirmation institutionnelle (publique) des racines chrétiennes de la France. Il le fait avec beaucoup de mesure dans l’expression, mais enfin ce qui est dit est dit. Lorsqu’il évoque «la juste autonomie de l’Etat et des institutions civiles », le pape se fait l’écho d’un enseignement conciliaire tout à fait maladroit, reprenant abusivement le terme “autonomie” à la philosophie kantienne. Mais sur le fond, cette “autonomie” peut très bien signifier simplement la distinction fondamentale du spirituel et du temporel, telle que l’enseigne saint Thomas dans le De regno. La formule dès lors est tout à fait recevable : elle ne signifie pas, selon l’étymologie philosophique du terme autonomie, que la société civile a le pouvoir de se donner à elle-même sa propre loi, mais simplement que l’autorité spirituelle et l’autorité temporelle sont deux domaines d’intervention absolument distincts. Dans cette perspective, la réaffirmation de la nécessité d’une référence publique à la foi catholique est parfaitement bien venue. Il me semble du reste que, dans la confusion qui s’annonce, une telle référence finira par s’imposer au législateur.

Mais alors pourquoi faut-il que quelques lignes plus haut, dans un paragraphe consacré à la crise des valeurs et au déficit d’espérance, Jean Paul II réaffirme que le dialogue social doit avoir lieu dans notre pays « selon l’esprit des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité auxquelles le peuple de France est fort justement attaché ». La formule ici n’est même pas ambiguë ; elle est fausse. Ce n’est pas justement, ce n’est pas de manière juste que le peuple de France est attaché aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité... Lors de son premier voyage en France, Jean Paul II avait essayé de donner une interprétation chrétienne de cette trilogie révolutionnaire. C’était déjà une approche particulièrement risquée que de vouloir baptiser ainsi la devise de la République. Mais dire que l’attachement que les Français éprouvent aujourd’hui pour cette devise est un attachement juste, dire que nous autres Français, nous avons une juste conception de la liberté, un heureux souci de l’égalité et une vraie pratique de la fraternité, je crois que cela relève de l’indulgence coupable. Le malaise français ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, si nous n’éprouvions pas ce mal à l’âme qui provient justement d’une fausse notion de la liberté, d’une obsession de l’égalité et d’une fraternité qui ne repose que sur la haine commune de certains boucs émissaires. Si l’on veut faire du bien à la France, c’est ce mal à l’âme qu’il faut reconnaître tout d’abord.