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Après 40 ans : Travailler à un diagnostic doctrinal sur le Concile

Joël Prieur

Pacte n°89 - décembre 2004

Deux livres importants viennent de paraître, concernant la crise de l'Eglise. La coïncidence des dates de leur publication est d'autant plus étonnante, qu'elle correspond à une véritable convergence de diagnostic. Le concile Vatican II avait longtemps été considéré comme une sorte de tabou, qu'un catholique ne pouvait évoquer en société qu'en se déclarant « fidèle, au moins à son esprit ». Les plus opposés se contentaient d'en appeler du Concile mal interprété au Concile véritable. Les laïcs, déconcertés par ces deux milles pages de doctrine, déclaraient forfait. Les prêtres se jugeaient sans doute assermentés. Et puis l'euphorie, en ce temps là était trop générale pour pouvoir être contestée. Qui dira l'enthousiasme avec lequel les paysans des années soixante se débarrassaient pour une bouchée de pain des lits clos, des coffres vénérables et des armoires qui grinçaient déjà trois siècles en arrière dans l'obscurité de leur logis, pour ramener triomphalement le progrès dans leurs habitations rénovées et y installer le superbe mobilier en formica que la grande surface locale leur avait garanti sur facture. Vatican II, tellement à l'écoute de son temps, fut sans doute, lui aussi, en quelque sorte une bonne affaire en formica. Il vieillit aussi mal que la table de cuisine, dont aujourd’hui même les chiffonniers d'Emmaüs ont du mal à tirer un profit quelconque.

L'Eglise, qui l'avait d'abord adopté avec enthousiasme, ne sait plus très bien qu'en faire. Les uns proposent de nouvelles lectures de Vatican II. Les autres militent de plus en plus ouvertement pour un Vatican III, qui établirait définitivement les réformes que Vatican II n'avait fait qu'évoquer ou sur lesquelles il avait gardé un silence prudent : ordination des hommes mariés, responsabilisation des chrétiens devant la pilule et répudiation de toute pastorale normative etc.

D'un autre côté, divine surprise, d'autres ne se gênent plus pour dire ce que fut ce Concile et ce à quoi il a donné naissance.

A tout seigneur tout honneur, Jean Madiran, directeur bien connu du quotidien Présent. Il a donné à sa dernière brochure un titre un peu énigmatique : La trahison des commissaires. Julien Benda parlait entre les deux guerres de « la trahison des clercs », pour fustiger la lâcheté des intellectuels moutonniers de ce temps-là, incapables déjà de résister aux sirènes du communisme ou aux appels du fascisme. On comprend bien qu'il s'agit de la même trahison dans l'esprit de Madiran : à travers l'Eglise catholique, c'est la civilisation qu'on assassine en silence sous nos yeux, faisant toujours davantage table rase du passé. Mais qui sont les commissaires ? La police n'a évidemment rien à voir là dedans. Les commissaires dont parle Madiran sont les membres d'une commission. Pas une commission politique de plus, non : une commission ecclésiastique, en l'occurrence : la commission doctrinale de l'épiscopat français.

Commission inconnue et sans intérêt direz-vous ? - Plutôt : commission méconnue, et dont les trois dernières interventions publiques sont hautement significatives. Les trois derniers documents publiés par cette commission tranchent en effet sur la plate grisaille des textes officiels, moulinés par la Conférence épiscopale. Ecrits dans un sabir qui est caractéristique des théologiens d'aujourd'hui, ces trois déclarations constituent trois aveux. Ils recèlent en effet, pour qui sait les décrypter, une franchise, tout à fait inhabituelle de la part de l'autorité ecclésiastique.

Face à ces trois documents, la conclusion de Madiran est implacable. Il affirme que les commissaires épiscopaux ont changé de religion : « Du rang de vérité révélée, enseignée au nom de Dieu avec une rigueur dogmatique impliquant des exigences morales inébranlables, la religion catholique en France, dans ses expressions officielles, est en train de glisser à celui de mythe fondateur d'une idéologie humanitaire accompagnant souplement la diversité évolutives des consciences individuelles ». Chaque mot ici est à peser. Que ceux qui trouveraient Madiran excessif n'hésitent pas à se procurer son petit livre. Brève, la démonstration est imparable. Et à la portée de tous. Elle mérite que les lecteur de Pacte y jettent - au moins - un coup d'oeil pendant les vacances. Il comprendront comment les évêques changent de religion et imposent en toute impunité ce changement à leurs fidèles, à travers ces communiqués incendiaires que nous venons d'évoquer...

Le livre de l'abbé Barthe, intitulé sobrement Quel chemin pour l'Eglise, apparaît comme largement convergent dans l'énoncé du diagnostic : il est à nouveau question de trahison dans ce livre : d'une trahison de l'Eglise ou des hommes d'Eglise. Le propos du chroniqueur de Catholica est à la fois plus général dans son angle de visée et plus spécialisé dans sa formulation. L'auteur nous offre, à petites touches précises, un vaste tableau de la situation de l'Eglise. Ayant ainsi planté le décor, il essaie ensuite d'évaluer les modalités d'une sortie de crise, en insistant, plus que je le ferais moi même sur ce qu'il nomme la ou les transitions. Dans l'état actuel des choses, je serais d'avantage enclin, quant à moi, à miser sur des ruptures que sur des transitions ! Mais au fond qu'importe. Ce qui compte en définitive, c'est l'analyse de la situation présente. Et sur ce point, on note une réelle convergence entre Jean Madiran et Claude Barthe, pour mettre en cause frontalement « l'idéologie » de Vatican II : « On est en présence, écrit l'abbé Barthe, d'un système qualifiable d'idéologique, à la manière d'un métadiscours, qui imprègne toute la réalité ecclésiale » (p. 22). Et plus loin, il revient à la charge sur le même thème, déplorant la « tyrannie exercée par l'idéologie conciliaire » : « Le sous-dogme pastoral est devenu un super-dogme idéologique » (p. 118).

Qu'est-ce qu'une idéologie, sinon une religion séculière, comme l'a démontré Jules Monnerot ? Nous retrouvons donc la même idée que chez Madiran : le Concile énonce une religion nouvelle, qui opère une réinterprétation globale de la foi catholique à travers des catégories idéologiques.

Ces deux ouvrages analysent le climat post-conciliaire. Reste à analyser les textes eux-mêmes, forcément explicatifs de ce terrible glissement qui emporte l'Eglise dans le vide de l'interprétation pure.