Deux
livres importants viennent de paraître, concernant la crise de l'Eglise.
La coïncidence des dates de leur publication est d'autant plus
étonnante, qu'elle correspond à une véritable convergence de
diagnostic. Le concile Vatican II avait longtemps été considéré comme
une sorte de tabou, qu'un catholique ne pouvait évoquer en société
qu'en se déclarant « fidèle, au moins à son esprit ». Les plus
opposés se contentaient d'en appeler du Concile mal interprété au
Concile véritable. Les laïcs, déconcertés par ces deux milles pages de
doctrine, déclaraient forfait. Les prêtres se jugeaient sans doute
assermentés. Et puis l'euphorie, en ce temps là était trop générale
pour pouvoir être contestée. Qui dira l'enthousiasme avec lequel les
paysans des années soixante se débarrassaient pour une bouchée de pain
des lits clos, des coffres vénérables et des armoires qui grinçaient
déjà trois siècles en arrière dans l'obscurité de leur logis, pour
ramener triomphalement le progrès dans leurs habitations rénovées et y
installer le superbe mobilier en formica que la grande surface locale leur
avait garanti sur facture. Vatican II, tellement à l'écoute de son
temps, fut sans doute, lui aussi, en quelque sorte une bonne affaire en
formica. Il vieillit aussi mal que la table de cuisine, dont aujourd’hui
même les chiffonniers d'Emmaüs ont du mal à tirer un profit quelconque.
L'Eglise,
qui l'avait d'abord adopté avec enthousiasme, ne sait plus très bien
qu'en faire. Les uns proposent de nouvelles lectures de Vatican II. Les
autres militent de plus en plus ouvertement pour un Vatican III, qui
établirait définitivement les réformes que Vatican II n'avait fait
qu'évoquer ou sur lesquelles il avait gardé un silence prudent :
ordination des hommes mariés, responsabilisation des chrétiens devant la
pilule et répudiation de toute pastorale normative etc.
D'un
autre côté, divine surprise, d'autres ne se gênent plus pour dire ce
que fut ce Concile et ce à quoi il a donné naissance.
A
tout seigneur tout honneur, Jean Madiran, directeur bien connu du
quotidien Présent. Il a donné à sa dernière brochure un titre un peu
énigmatique : La trahison des commissaires. Julien Benda
parlait entre les deux guerres de « la trahison des clercs »,
pour fustiger la lâcheté des intellectuels moutonniers de ce temps-là,
incapables déjà de résister aux sirènes du communisme ou aux appels du
fascisme. On comprend bien qu'il s'agit de la même trahison dans l'esprit
de Madiran : à travers l'Eglise catholique, c'est la civilisation qu'on
assassine en silence sous nos yeux, faisant toujours davantage table rase
du passé. Mais qui sont les commissaires ? La police n'a évidemment rien
à voir là dedans. Les commissaires dont parle Madiran sont les membres
d'une commission. Pas une commission politique de plus, non : une
commission ecclésiastique, en l'occurrence : la commission doctrinale de
l'épiscopat français.
Commission
inconnue et sans intérêt direz-vous ? - Plutôt : commission méconnue,
et dont les trois dernières interventions publiques sont hautement
significatives. Les trois derniers documents publiés par cette commission
tranchent en effet sur la plate grisaille des textes officiels, moulinés
par la Conférence épiscopale. Ecrits dans un sabir qui est
caractéristique des théologiens d'aujourd'hui, ces trois déclarations
constituent trois aveux. Ils recèlent en effet, pour qui sait les
décrypter, une franchise, tout à fait inhabituelle de la part de
l'autorité ecclésiastique.
Face
à ces trois documents, la conclusion de Madiran est implacable. Il
affirme que les commissaires épiscopaux ont changé de religion : « Du
rang de vérité révélée, enseignée au nom de Dieu avec une rigueur
dogmatique impliquant des exigences morales inébranlables, la religion
catholique en France, dans ses expressions officielles, est en train de
glisser à celui de mythe fondateur d'une idéologie humanitaire
accompagnant souplement la diversité évolutives des consciences
individuelles ». Chaque mot ici est à peser. Que ceux qui trouveraient
Madiran excessif n'hésitent pas à se procurer son petit livre. Brève,
la démonstration est imparable. Et à la portée de tous. Elle mérite
que les lecteur de Pacte y jettent - au moins - un coup d'oeil
pendant les vacances. Il comprendront comment les évêques changent de
religion et imposent en toute impunité ce changement à leurs fidèles,
à travers ces communiqués incendiaires que nous venons d'évoquer...
Le
livre de l'abbé Barthe, intitulé sobrement Quel chemin pour
l'Eglise, apparaît comme largement convergent dans l'énoncé du
diagnostic : il est à nouveau question de trahison dans ce livre : d'une
trahison de l'Eglise ou des hommes d'Eglise. Le propos du chroniqueur de
Catholica est à la fois plus général dans son angle de visée et plus
spécialisé dans sa formulation. L'auteur nous offre, à petites touches
précises, un vaste tableau de la situation de l'Eglise. Ayant ainsi
planté le décor, il essaie ensuite d'évaluer les modalités d'une
sortie de crise, en insistant, plus que je le ferais moi même sur ce
qu'il nomme la ou les transitions. Dans l'état actuel des choses, je
serais d'avantage enclin, quant à moi, à miser sur des ruptures que sur
des transitions ! Mais au fond qu'importe. Ce qui compte en définitive,
c'est l'analyse de la situation présente. Et sur ce point, on note une
réelle convergence entre Jean Madiran et Claude Barthe, pour mettre en
cause frontalement « l'idéologie » de Vatican II : « On est
en présence, écrit l'abbé Barthe, d'un système qualifiable
d'idéologique, à la manière d'un métadiscours, qui imprègne toute la
réalité ecclésiale » (p. 22). Et plus loin, il revient à la
charge sur le même thème, déplorant la « tyrannie exercée par
l'idéologie conciliaire » : « Le sous-dogme pastoral est devenu un
super-dogme idéologique » (p. 118).
Qu'est-ce
qu'une idéologie, sinon une religion séculière, comme l'a démontré Jules
Monnerot ? Nous retrouvons donc la même idée que chez Madiran : le
Concile énonce une religion nouvelle, qui opère une réinterprétation
globale de la foi catholique à travers des catégories idéologiques.
Ces
deux ouvrages analysent le climat post-conciliaire. Reste à analyser les
textes eux-mêmes, forcément explicatifs de ce terrible glissement qui
emporte l'Eglise dans le vide de l'interprétation pure. |