On
a déjà beaucoup parlé et on va abondamment causer cette année d'une
loi centenaire, la loi dite de séparation de l'Eglise et de l'Etat,
datée du 9 décembre 1905.
Entre
les deux futurs candidats de la droite parlementaire à l'élection
présidentielle de 2007, les hostilités sur ce point sont déjà
largement engagées. Pour Jacques Chirac, grand amateur du lyrisme
de sous préfecture, cette loi est « une colonne du Temple ». « Alors
vous savez, lance le président comme pour caricaturer sa propre
marionnette, quand il y a une colonne du Temple, on est bien inspiré
en général, sauf si vraiment on veut faire un autre Temple, de la
respecter et de ne pas trop vouloir la bricoler ». Merveilleuse
évidence républicaine ! La France, sous nos yeux, est en train de
changer de substance, mais le Temple lui ne change pas ! Ses principes ont
été décrétés immortels, voilà deux siècles, il faudra bien que la
réalité sociale du XXIème siècle passe, elle aussi, sous les fourches
caudines de l'idéologie démocratiste. Pas de raison que les choses
changent sur ce point. La religion démocratique a trop de sectateurs,
tous fraternellement unis, quelle que soit leur loge d'origine, pour que
la France change quoi que ce soit aux principes spirituels qui la
régissent. Membre lui-même de la loge Alpina, imprégné - par tradition
familiale - des doctrines du radical-socialisme, Jacques Chirac a toujours
joué le jeu républicain, avec le bonnet phrygien dont il avait coiffé
le défunt RPR ou en se dépouillant de tout signe religieux ostentatoire
dans la maison commune de l'UMP.
Ostentatoire,
Nicolas Sarkozy a besoin de l'être, et pas seulement pour faire
oublier sa petite taille, mais simplement pour délivrer un message qui
soit à la hauteur de ses ambitions. D'ici 2007, il devra faire passer
l'idée qu'avec lui tout sera différent, même si, en réalité, les
choses seront du pareil au même. Faire entendre sa différence sans
sortir de la pensée unique et du dogme républicain, c'est une sorte de
tour de force. Selon le nouveau président de l'UMP, il est des principes
vraiment intangibles, et parmi ceux-ci, le dogme laïque de l'égalité de
toutes les religions. Sur ce point cardinal, les mots ne lui font pas peur
: « Aucune religion n'a de leçons à donner aux autres, si on prend
un peu le recul de l'histoire ». Il n'hésite pas à lâcher les
chiens : « Tout ce qui définit une communauté, une nation une
religion par un critère qui l'oppose aux autres présente des relents de
racisme ». A bien écouter M. Sarkozy, une religion qui tenterait de
prouver sa supériorité intrinsèque par rapport aux autres devrait
tomber devant les tribunaux de la République pour incitation à la haine
et pour racisme. Avec de tels principes, les religieux de tout bords
auraient intérêt à transformer leur adhésion à leur religion
d'origine en une sorte de pratique souriante du dialogue philosophique...
Pas question de recruter pour telle ou telle enseigne puisque tout se
vaut. Les croyances les plus opposées manifestent la même espérance
humaine et c'est bien cela l'essentiel, explique gravement Sarkozy,
marquant ainsi son adhésion au dogme laïque...
Faire
de nos églises des maisons du peuple...
Une
fois donné ce gage, le sémillant professionnel de la politique peut se
retourner du côté de la Communauté musulmane, toutes tendances
confondues, en promettant que, s'il est élu, l'Etat, au mépris des
dispositions de la loi de 1905, pourra aider financièrement à construire
des mosquées ou à former des imams. Au passage, Sarkozy n'omet pas de
souligner que les églises de village, où il ne passe que quelques
personnes par mois devront « être rendues à leur destination
primitive » : « Elles ont été construites par le peuple et pour
le peuple » déclare-t-il.
Faire
de nos église, des maisons du peuple, voilà un programme qui inquiète
fortement l'épiscopat français. Mgr Ricard, président de la Conférence
épiscopale, à qui il incombe de traiter cette question délicate,
s'abrite et se retranche désormais derrière la loi laïque de 1905, pour
préserver la véritable destination de ces églises, qui est bien
évidemment le culte catholique. Comme l'a démontré Emile Poulat, la loi
dite de 1905, dans son état actuel, est le résultat de presque 20 ans de
tractations entre l'Etat français et Rome. Telle qu'elle est, avec les
amendement de 1921, qui stipulent que l'évêque diocésain est
nécessairement le président de l'association cultuelle catholique à
laquelle sont dévolus les immeubles - église, chapelle, presbytères -
dans un espace donné, cette loi sert de charte à une conception de la
laïcité qui apparaît comme respectueuse de la spécificité spirituelle
de l'Eglise romaine dans notre pays. En prétendant changer tout cela,
Nicolas Sarkozy vient de s'aliéner sans coup férir le vote des
catholiques pratiquants.
Est-ce
un hasard d'ailleurs si Philippe Verdin a été brutalement envoyé
au Sénégal par ses supérieurs ? Le manifeste laïque que ce jeune
dominicain plein d'avenir signe avec Nicolas Sarkozy, La république,
les religions, l'espérance, publié par les Editions du Cerf, a eu le
don de déplaire souverainement aux évêques... L'ex-ministre de
l'Economie y exposait largement ses thèses sur la nécessaire réforme
(en faveur de l'électorat musulman) de la loi canonique. Aujourd'hui,
pour les évêques de France, toucher à la loi de 1905, c'est risquer de
perdre le contrôle des innombrables églises construites antérieurement
au XXème siècle, qui appartiennent à l'Etat et sont dévolues à la
hiérarchie catholique officielle. Devant l'histoire, Mgr Ricard,
on le comprend, n'est pas prêt à endosser la responsabilité de cette
perte.
La
partition des cérémonies de ce drôle de centenaire risque donc de se
jouer à front renversé. Parmi les défenseurs les plus acharnés de la
laïcité, on comptera M. Chirac bien sûr, mais aussi Nosseigneurs les
évêques, intéressés au maintien du statu quo, malgré la
dégringolade des effectifs de leurs communautés de fidèles. Parmi ceux
qui souhaitent que, dans le respects des principes insanes de la
République une et indivisible, une plus large place soit faite au respect
des identités religieuses, M. Sarkozy, qui vise un pourcentage important
du corps électoral, n'hésitera pas à nous jouer un petit air de flûte
sur nos identités religieuses et sur la nécessité de les prendre en
compte à nouveaux frais. Quelques sourires aux catholiques (cela suffira)
; quelques sous aux musulmans (au nom de la discrimination positive, en
faveur de laquelle Sarkozy s'est prononcé plus d'une fois). Au delà des
mots, la perspective n'est pas réjouissante.
Et
nos évêques n'ont pour défendre leur position qu'un texte de loi,
autant dire, dans la doctrine du régime en place ; un chiffon de papier.
Ce qu'une Assemblée démocratique a fait, une autre doit pouvoir le
défaire. Comme disait déjà Jean Jacques Rousseau, il n'y a pas de loi
fondamentale en République, car toutes les lois sont aux mains du peuple
ou (mieux) de l'élite éclairée qui seule comprend et interprète la
volonté générale. Nos évêques seraient mal inspirés de s'abriter
derrière le formalisme républicain pour maintenir leur injuste monopole
cultuel dans les églises de notre France. Sans doute ont-ils l'impression
de défendre ainsi Vatican II et sa liturgie désertique ! Qu'ils ne se
fassent pas d'illusion cependant : leur position de blocage durera ce que
durera leur crédit auprès de la présidence de la République. Est-ce se
livrer à une extrapolation indue que d'imaginer que Bernadette Chirac,
ayant quitté le palais de l'Elysée aux alentours de 2007, personne
n'invoquera plus la colonne du Temple à propos de la Loi de 1905
modifiée en 1921 ? Comme l'annonce le président de l'UMP, on bricolera,
on révisera, on réformera la loi soi-disant sacro-sainte. Du coup, le
monopole de la hiérarchie catholique, défendant l'arme au pied ses
édifices vides, risque bien de tomber comme par enchantement, d'un simple
vote du parlement (ou éventuellement du Congrès solennellement réuni),
modifiant la modification de 1921 à la loi de 1905.
Le
monopole de la hiérarchie catholique, défendant ses édifices vides,
risque de tomber d'un simple vote du parlement
Il
faut donc que les évêques comprennent que s'abriter derrière la
législation républicaine pour protéger un statu quo cultuel inique,
c'est un calcul à courte vue qui risque de se retourner plus vite que
prévu contre ses auteurs. Si l'Eglise catholique veut résister à
l'islam en défendant le patrimoine chrétien de ce pays, elle ne le fera
pas en s'alliant aux forces politiques laïques ou en s'abritant derrière
une loi laïque.
Quels
moyens devra-t-elle mettre en oeuvre ? Les siens, ceux qu'elle puise dans
son exceptionnelle tradition spirituelle et intellectuelle. Comme le père
de famille, dans la parabole évangélique, l'Eglise doit sans cesse tirer
de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes.
Quelles
sont ces choses nouvelles ? Au lieu de banaliser son message en
l'enfermant dans la gangue d'un humanisme déprimant, ou en en faisant un
mode parmi d'autres de cette fameuse quête du sens de la vie, qui
paraît-il, nous taraude tous, au lieu de cultiver tout ce qui rapproche
les religions les unes des autres en donnant l'impression de tomber dans
un syncrétisme de mauvais alois, il faut que les pasteurs exalte la
nouveauté permanente de l'enseignement évangélique, seul capable de
répondre à la généralisation de la violence aveugle et du
matérialisme le plus plat. Ah ! Si chaque évêque avait une parole
d'évêque, la face de l'Eglise de France serait changée, les
communautés revivraient et le spectre du désert serait conjuré !
Encore
faudrait-il qu'en bons pères de famille, nos évêques respectent les
choses anciennes, reconnaissent les traditions, en particulier les
traditions liturgiques qui ont construit l'Eglise et pour lesquelles
toutes les églises ont été construites Imaginons que demain, pour
conjurer le désert, au lieu de se confier dans une pseudo colonne du
Temple républicain, nos évêques donnent la liberté à tout prêtre de
puiser dans le trésor de la tradition catholique pour organiser son
ministère. Je ne dis pas que toutes les églises se rempliraient d'un
coup de baguette magique, mais au moins l'hémorragie des fidèles
cesserait et des centres spirituels dignes de ce nom renaîtraient un peu
partout en France, redonnant à l'Eglise cette indispensable vitrine
qu'elle a perdue - de fait - depuis le concile.
Ce
ne serait pas l'un des moindres paradoxes de ce centenaire très politique
qu'il provoque un électro-choc spirituel dans l'Eglise, en rendant aux
catholique le goût de la nouveauté de leur Evangile et le libre accès
aux richesses multiformes - aujourd'hui occultées - de leur Tradition. |