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La valse des mamamouchis

Gwen Le Muezec

Pacte n°88 - octobre 2004

Aujourd’hui, tout ce que la France compte de politiciens professionnels, de politologues de comptoir et de docteur ès lieux communs retient son souffle. La redoutable question est posée. Réfléchissez bien avant de donner votre avis. Selon votre réponse, vous serez immédiatement précipité dans l’enfer des cléricaux, voué aux gémonies par tout ce que notre pays compte de dévots, où, au contraire, on saluera notre avancement sur la voie de la sainteté, une sainteté toute laïque, cela va sans dire. Réfléchissez donc avant de dire que, à votre humble avis, la Turquie n’est pas une nation européenne et ne doit donc pas entrer dans l’Union européenne.

L’affaire est véritablement religieuse. D’un côté se trouvent les réprouvés, ceux qui veulent que l’Europe demeure « un club chrétien», et se souviennent un peu trop de la bataille de Lépante, sans oublier la « Reconquista espagnole ». Ceux-là sont visiblement des partisans du fameux «choc des civilisations», sans doute des racistes inavoués ou des nostalgiques honteux de l’Occident chrétien. De l’autre, voici les purs, les élus, ceux pour qui la seule religion qui vaille est celle de l’Autre, les kantiens de supermarché que la seule évocation des racines chrétiennes de l’Europe fait couiner comme des rats pris au piège.

La géographie, sans parler de la géopolitique, ne perturbe guère nos bien pensants. Peu leur chaut que l’essentiel du territoire turc se trouve en Asie (même mineure), du moment qu’Istanbul se trouve de ce côté-ci du Bosphore. Le fait que la Turquie, étant donné ses frontières, soit intimement mêlée aux turbulences d’un Proche-Orient hautement explosif ne les effraie pas plus que cela.

Quant à l’histoire, peu leur importe que ce qui reste de l’Empire ottoman se soit construit pendant des siècles, en luttant contre l’Europe chrétienne. Peu importe que les splendeurs d’Istanbul proviennent essentiellement du pillage à grande échelle des rivages de la Méditerranée, que, jusqu’au XIXe siècle, les harems se soient remplis d’Européennes kidnappées et vendues comme du bétail (une politique de métissage avant la lettre, sans doute). Peu importe enfin que la colonisation turque ait été jusqu’au bout mille fois plus cruelle que la française ou la britannique. On jettera de même un voile pudique sur le génocide arménien, encore nié contre toute évidence du côté d’Ankara.

La Turquie n’est pas un pays chrétien ? Tant mieux, voilà une bonne façon de tordre le cou définitivement à l’hydre chrétienne qui ne désarme pas. Et puis, c’est bien connu, l’Islam a toujours été du côté des Lumières, contre l’obscurantisme chrétien, celui des croisés et de l’Inquisition (sans oublier Saint Thomas d’Aquin et Duns Scot). Quoi qu’on dise (pour parler comme Trissotin), en dépit de l’histoire et de la géographie, la Turquie est européenne parce qu’elle doit l’être, et elle doit l’être rien que pour embêter monsieur du pape.

Une majorité de Français refuse l’entrée de la Turquie dans l’Europe ? Peu importe, un vague débat parlementaire sans vote ni conséquences règlera le problème. Il s’agit de ne pas déplaire à l’ambassadeur de la Sublime Porte. Pour faire bonne mesure, on pense même interdire la « turquerie » du « Bourgeois gentilhomme », qui brocarde éhontément le Prophète, sans parler de ce monologue du « Mariage de Figaro » où le personnage principal ose s’en prendre à ces «princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens ».

Décidément, l’Europe qu’on nous propose a un terrible petit arrière-goût de club anti-chrétien.