«
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi soit-il.
Chers
confrères, chères sœurs, chers fidèles,
C'est
monsieur l'abbé Beauvais, votre curé, qui m'a invité à vous offrir une
messe pontificale lorsqu'il a su que je serais là pour le symposium de
théologie sur Vatican II. Aujourd'hui, cette demande apparaît comme
providentielle, parce que Saint-Nicolas du Chardonnet, et la Fraternité,
en général, font face à une crise. Cette crise est depuis quelques
semaines dans le domaine public. Je ne risque donc pas de scandaliser
quiconque, si j'évoque publiquement la situation où nous sommes. Je
pense que la crise est assez grave pour nécessiter une parole d'évêque.
Je
peux bien sûr me tromper sur la façon de dire les choses, j'arrive de
l'extérieur. Mais durant plusieurs jours où il a fallu préparer le
symposium, puis participer au symposium et ensuite attendre samedi et
dimanche, pour des interventions à Marseille et à Paris, j'ai eu le
temps et la possibilité de me familiariser avec certains aspects de cette
crise qui menace la Fraternité. C'est pour cela que je prends sur moi
d'en parler. Si ce n'était qu'une petite chose, je n'en parlerais pas.
Mais c'est quelque chose qui, à mon avis, ne se règlera pas par voie
d'autorité. L'autorité et l'obéissance sont corrélatives, mais l'une
et l'autre servent la vérité. Et si l'autorité et l'obéissance sont
séparées ou détournées de la vérité, on voit surgir un problème qui
ne se réglera pas simplement par l'obéissance et l'autorité.
L'autorité
catholique est là pour la Vérité catholique. Le proverbe espagnol dit
quelque chose de ce genre : « L'obéissance ne sert pas l'obéissance.
L'obéissance sert la Foi» et l'obéissance catholique est relative
à la foi et à la Vérité catholique. Et si nous faisons comme a fait le
Concile et l'Eglise conciliaire depuis quarante ans, alors pourquoi nous
trouvons-nous ici mes chers frères ? N'est-ce pas parce que le Concile et
les conciliaires ont piétiné les questions de vérité au nom de
l'obéissance qu'ici et maintenant nous leur résistons ? C'est aussi pour
cela que tant d'âmes catholiques sont encore égarées sur une voie qui
ne mène pas du tout au Ciel, parce que ces personnes pensent avant tout
à obéir. On leur inculque une notion de l'obéissance qui les oblige
toujours à « s'écraser ». Oui, les catholiques restés dans l'Eglise
conciliaire n'ont eu qu'à « s'écraser ». On dit en anglais, en
américain : « Pray, pay and obey. » Ils n'ont eu qu'à
prier payer et obéir. Et c'est pour cela que nous demeurons aujourd'hui
dans cette épouvantable crise de l'Eglise universelle.
Et
maintenant la même chose devrait se répéter à l'intérieur de la
Fraternité ? Eh bien non ! Non, parce que la Fraternité a été créée
par Mgr Lefebvre, qui a su discerner entre la vraie obéissance et la
fausse obéissance. Et l'obéissance qui n'obéit plus à Dieu et qui
n'obéit plus à la Foi est une fausse obéissance. Mgr Lefebvre nous a
dégagés de ces ornières. Nous l'avons suivi et nous avons eu raison.
Mais le diable est toujours à l'œuvre et il faut admirer la manière
dont il a agi cette fois-ci. Oui, il faut comprendre comment il s'y est
pris. La tentation a été subtile ! Dans cette affaire, la tentation ne
s'est pas présentée seulement sous apparence de bien (sub specie boni),
elle s'est montrée à nous sous l'apparence du mieux (sub specie optimi)...
Que
signifie cette distinction ? Pour le comprendre, revenons un peu en
arrière. Revenons à la fondation de la Fraternité Saint Pie X. Mgr
Lefebvre a été poussé par la Providence, à laquelle, en fonction de sa
grande sagesse et sans doute de sa sainteté, il a été appelé à
collaborer de manière particulière. Il a donc fondé la Fraternité
Saint Pie X, qui, dans ses débuts, s'est située complètement à
l'intérieur de l'Eglise. Il n'a pas ouvert pas un séminaire sauvage
comme ses ennemis l'en ont accusé. Il a fondé un séminaire tout à fait
selon les lois de l'Eglise, obtenant même l'approbation de l'évêque de
Genève et Fribourg en mai 1970. Pour Monseigneur, pour notre fondateur,
cette reconnaissance formelle était très importante. Son entreprise ne
comportait pas une once de désobéissance. Il voulait évidemment obéir
aux lois de l'Eglise. Mais lorsqu'il est devenu flagrant que ces lois
détruisaient et subvertissaient la Foi, à ce moment-là, il a dû dire
« non ». Il a dit : « la loi suprême c'est le salut des âmes ». Ce
qui reste toujours vrai...
Mgr
Lefebvre a donc fondé cette Fraternité. Mais la Fraternité depuis le
début est fragilisée par une faiblesse intrinsèque, qui est toujours
là et dont nous sommes incapables de nous débarrasser. Cette faiblesse,
nous n'y pouvons rien, elle n'est pas notre faute ; c'est en quelque sorte
une marque de fabrique, elle est dans la nature même de la Fraternité,
qui très vite, après deux, trois ou quatre ans d'existence, a dû se
construire et se développer sans avoir le Pape derrière et au-dessus
d'elle : derrière, pour appuyer et soutenir tout ce qui est catholique et
au-dessus, pour offrir à sa hiérarchie la clé de voûte, qui,
autrefois, avant le Concile, protégeait tous les catholiques. Alors, en
effet, lorsque les autorités intervenaient, le Droit Canon assurait
toutes sortes d'instances et de possibilités pour faire appel de
décisions estimées injustes. Il y avait tout un dispositif pour assurer
force à l'autorité de l'Eglise. Parce que l'autorité catholique doit
être forte, pour imposer aux gens, dans la mesure qui est en elle de par
Dieu, le chemin du Ciel. Donc, l'autorité catholique est forte ; elle
vient de Dieu ; elle mène à Dieu. C'est une autorité de Vérité : «
Je suis la Voie, la Vérité et la Vie.»
Cela
étant posé, il est évident que les pauvres hommes que nous sommes tous,
mes chers amis, oui, nous autres pauvres hommes, nous pourrions défaillir
sous le poids de cette autorité. Mais Notre Seigneur l'a voulu ainsi, il
a choisi de confier cette autorité si forte non pas à des anges mais à
des hommes. Il a donc voulu aussi que cette autorité divine s'exerce
humainement. Pour garantir que la force de l'obéissance catholique
n'écraserait pas ceux qui la professaient ou ceux qui la réclamaient, il
y avait donc tout un système juridique d'appels. Ces possibilités
d'appel assuraient la justice à côté de la vérité. Et c'est la
Justice et la Vérité catholique conjointes, qui fondaient l'autorité
catholique.
Reprenons
l'exemple de notre fondateur, Mgr Lefebvre : dans le collapsus du Concile,
comment s'est-il acquis l'autorité qui lui est reconnue ? Est-ce
seulement en disant : « Moi, je suis évêque, et vous, vous devez obéir
! » ? Non, Non, Non et Non ! Rarement je l'ai entendu dire cela. Et
pourtant il croyait en l'autorité, c'était un homme d'ordre, il
n'entendait pas que dans la Fraternité on crée la pagaille. Il n'aimait
pas la désobéissance, c'est sûr et certain. Mais lorsqu'il y avait un
problème, est-ce qu'on l'entendait dire : « C'est moi l'évêque ! » ?
Non. Il disait seulement, il disait calmement : « Actuellement voici mes
raisons. Si vous avez des arguments à m'opposer, je vous écoute. Si vous
avez raison, nous irons dans le sens que vous proposez. En revanche, si
vous reconnaissez que c'est moi qui ai raison, faisons donc ce que je
propose. »
Je
me souviens très bien d'un épisode particulièrement pénible. C'était
aux Etats-unis, en 1983, et des prêtres, membres de la Fraternité,
faisaient une véritable révolution contre la Fraternité. Ils agissaient
sans aucun doute sous apparence de bien, sub specie boni. Nous ne mettons
pas en doute leurs intentions ; mais je peux témoigner de sa manière de
faire, durant cette crise. C'était de discuter, de raisonner, de
raisonner encore avec ces prêtres, qui pourtant étaient effectivement
révolutionnaires. Puis lorsqu'il s'est avéré, au bout d'un certain
temps, qu'une discussion amiable ne pouvait déboucher sur aucun accord,
Mgr Lefebvre y a mis fin, le plus simplement du monde. J'ai assisté
moi-même à ce petit dialogue : « Chers messieurs les abbés, notre
discussion est inutile. - Ah ! non, nous discutons, continuons donc nos
discussions - Non, Non c'est inutile. Vous avez vos idées et nous avons
les nôtres. Et nous n'allons pas en changer. Il faut donc nous séparer.
»
Et
notre fondateur de poursuivre, écoutez bien : « - Jusqu'ici, [remarquez
l'humilité !], jusqu'ici le Bon Dieu semble avoir béni la Fraternité [
depuis la fondation en 1970 jusqu'à cette année 1983, cela faisait 13
ans d'histoire de la Fraternité]. Mgr disait bien : « Jusqu'ici »,
c'est-à-dire dans le passé, mais il ne préjugeait pas de l'avenir et
combien juste est cette prudence. Une personne de bon sens ne peut
qu'écouter un tel langage. « Jusqu'ici » disait-il, « le Bon Dieu
semble avoir béni la Fraternité ». Il ne disait pas : « Le Bon Dieu
est avec nous et Il n'est pas avec vous autres ». Non, non, non, non et
non ! Ce n'est pas tout, écoutez encore ceci. Mgr ajoutait, - j'étais
là, je l'ai entendu de mes propres oreilles : « Jusqu'ici le Bon Dieu
semble avoir béni la Fraternité. Mais si vous savez mieux faire, que le
Bon Dieu soit avec vous. » Ça, c'est un grand homme ! Ça, c'est un
grand homme de Dieu ! Il se rend bien compte qu'il peut se tromper. Bien
sûr, il croit que ce qu'il fait c'est pour l'amour de Dieu qu'il le fait,
et il le croit pour des raisons tout à fait sérieuses, il continuera
donc de faire ce qu'il fait, mais il sait bien que ce n'est pas lui qui
est « la Voie, la Vérité et la Vie ».
Mgr
Lefebvre, à côté de la spiritualité du XVII ème siècle qui lui est
parvenue par l'Ecole Française, oui en plus de cela, possédait un bon
sens et une humanité qui sont absolument nécessaires, si l'on veut
tempérer cette spiritualité, car si le bon sens manque, cette
spiritualité de l'Ecole française tourne à la tartuferie et au
jansénisme. Que l'on fasse donc attention dans la Fraternité ! il faut
non seulement vivre de cette spiritualité française, mais aussi en
quelque sorte la contenir. Spiritualité ? Je déteste ce mot. Pourquoi
est-ce que je le déteste ? Parce que, très souvent, il y a trop de
recherche de soi, mêlée à la recherche de Dieu. Nous sommes de pauvres
bougres, ne l'oublions pas. Il nous faut donc chercher Dieu, il nous faut
foncer vers Dieu. Et sainte Thérèse d'Avila de dire : « Le Bon Dieu
préfère les âmes généreuses aux âmes sans défauts ». Eh oui !
Parce que la générosité finira par avoir le dessus sur les défauts. En
revanche, le « sans défaut » ne garantira pas la générosité. Saint
Pierre était généreux, il était fougueux. Il faisait des gaffes. Il se
trompait... Et qu'est-ce qu'a fait Notre-Seigneur ? Notre Seigneur a
permis que St Pierre le renie trois fois, au moment où il aurait eu le
plus besoin de son apôtre. Mais saint Pierre n'était pas là, saint
Pierre a manqué au Maître. Pourquoi ? On peut reconstituer le fil de ses
pensées. Il devait se dire : « Les autres ont fui, mais moi j'y vais, je
suis fort, je suis le champion du Seigneur ! ». Et puis, un moment plus
tard, il tombe, le diable l'a eu. Par où ? Par le respect humain.
C'était le point faible de saint Pierre et le diable nous attaque
toujours par notre point faible. N'empêche ! À partir de ce moment-là,
saint Pierre a définitivement compris qu'il n'était qu'un pauvre
bougre... Seulement voilà : un pauvre bougre peut faire un bon pape ! Et
un « sans défaut », qui s'admire comme étant sans défaut, ne peut pas
faire un bon pape. Il ne comprend pas les hommes. Il n'a pas la compassion
qu'il faut avoir pour ces pauvres êtres que nous sommes. Cette leçon,
saint Pierre ne l'a jamais oubliée. On dit même qu'il a pleuré jusqu'à
la fin de sa vie. Mais les larmes de Pierre ont été essentielles à sa
papauté, elles lui ont donné la sainteté qu'il fallait, pour diriger
l'Eglise, pour la protéger à sa naissance et pour veiller à ses
premiers jours.
Alors
cette spiritualité du XVIIème, telle que moi je la résume, elle est
bonne, je dis cela « sub specie boni ». Mais ce n'est pas « sub specie
boni », que je la critique, c'est « sub specie optimi », sous
l'apparence du meilleur ou du seul bien. C'est en voulant être «
spirituel », que l'on oublie d'être humain. En voulant n'être que
spirituel, « sub specie optimi »... Mgr Lefebvre a toujours été
humain. Mais, malheureusement, il est bien plus facile aujourd'hui
d'imiter une apparence extérieure de spiritualité et de se dire un
homme spirituel, que de reproduire en nous cette fusion de la
spiritualité avec l'humanité, qui a été la caractéristique de Mgr
Lefebvre.
Je
vais vous raconter, aussi brièvement que possible, la pièce de
Shakespeare « Mesure pour mesure ». Imaginez un jeune prince, qui est
tellement droit, tellement parfait, tellement correct, qu'il ne se
connaît pas lui-même. Un jour, le diable lui envoie une belle jeune
fille qui vient pour plaider la cause de son frère. Elle veut entrer au
couvent ; elle est très bonne. Elle est tout à fait vertueuse. Oui,
Isabelle est une véritable sainte. Alors devinez ce qui se passe... Lors
de leur rencontre, Isabelle demande grâce pour son frère, qu'Angelo, le
prince sans défaut, avait emprisonné. Pour toute réponse, le prince fit
à Isabelle une proposition tout à fait malhonnête. Celui qui était si
correct, si admirable, ne se connaissait pas lui-même. Il était
inhumain. Il en a payé le prix. Remarquez l'esprit de Shakespeare. Quel
est le nom qu'il donne à ce jeune prince ? Il l'appelle « Angelo », et
ce n'est pas pour rien. Le pauvre petit faisait tout simplement de
l'angélisme. Sans doute, au départ, il agissait avec rectitude, au nom
de tout ce qui est bon, de tout ce qui est correct. Nous étions au XVII
ème siècle, en plein Jansénisme, mes chers amis. En Angleterre, ce
jansénisme protestant s'est appelé le puritanisme. Sous apparence de
bien, à force de se prendre pour un ange, sans se souvenir qu'on est
aussi une bête, on tombe dans les bêtises et les abêtissements les plus
terribles. On bascule de la vertu au vice, et le diable le sait
pertinemment : le Jansénisme a basculé dans le libéralisme et la
révolution française. Et le puritanisme en Angleterre a basculé dans ce
libéralisme, qui est répandu maintenant à travers toute l'Europe.
Faisons
donc attention et soyons humbles. N'oublions pas que nous sommes des
êtres humains. Notre Seigneur - c'est mystérieux ce qu'il a voulu faire
pour les ministres de son Eglise : pour sauver les âmes, Il a choisi des
hommes et non pas des anges. Il aurait pu faire que nous soyons tous
sanctifiés et conduits par des anges. Il ne l'a pas fait. Il a choisi
quelques pauvres hommes pour être ses prêtres. Et il en fut ainsi dès
le début, voyez saint Pierre. Qu'est-ce que Notre Seigneur lui fait
comprendre, à travers son triple reniement ? « Rappelle-toi, Pierre, que
tu n'es qu'un homme. Tu auras toujours besoin de moi, et tu auras aussi
besoin de la compassion, pour les autres êtres humains comme toi. »
Si
nous terminons notre analyse de la pièce de Shakespeare, c'est la formule
du Pater qui nous vient à l'esprit : « Pardonnez-nous, Seigneur, comme
nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » Le pardon est
nécessaire ! Et ça, c'est toute la sagesse de la pièce de Shakespeare.
C'est une leçon très catholique. Il s'agit d'un drame profane, sans
doute, mais la leçon en est certainement catholique. Le Duc, le Chef
intervient, pour empêcher Angelo, le jeune prince, de commettre
l'irréparable. Et à la fin, Angelo, le sans défaut, reconnaît qu'il a
fauté, et fauté gravement. Il reconnaît qu'il mérite la mort. Mais le
Duc l'épargne. Il lui pardonne, parce qu'Angelo reconnaît qu'il est en
faute.
Il
est dans la nature de la Fraternité d'être comme un canot de sauvetage ;
un canot de sauvetage est vulnérable ; mais au moins, il est là. Le
grand transatlantique a sombré, et on a mis sur les flots de l'océan ce
canot de sauvetage, et l'océan, aujourd'hui, est en furie, il est
déchaîné. Un petit canot de sauvetage, ce n'est pas fait pour durer
longtemps. Dans les canots que l'on a mis sur les eaux, depuis le Titanic,
les passagers seraient certainement morts de froid, si leur odyssée avait
duré encore une nuit. Heureusement, d'autres navires arrivèrent, dès la
fin de la première nuit, et ils ont pu recueillir et sauver ceux qui
avaient trouvé refuge dans les canots. Quant à ceux qui étaient dans la
mer, même s'ils avaient mis leur veston de sauvetage (je ne connais pas
le mot en français), ils mouraient de froid dans la mer glacée. Eh bien,
mes chers amis, si vous et moi, nous faisions chavirer la Fraternité
Saint Pie X, par nos agissements, par nos guerres, nos querelles
apparemment justes et toujours sous apparence de bien, alors,
malheureusement, nous serions dans l'eau, avec nos vestons de sauvetage.
Même si nous nous battons au nom d'une bonne cause, si nous nous
battions, supposons, contre le Jansénisme ou contre la tendance
jansénisante qui nous menace, prenons garde de ne pas faire chavirer le
canot ! Je dis le jansénisme ou la tendance jansénisante, car, les
erreurs sont de plus en plus subtiles avec chaque décennie. Aujourd'hui,
les tentations deviennent de plus en plus subtiles. Et Dieu sait pourtant
si déjà les tentations du Concile ont été subtiles jusqu'à tromper la
grande masse des catholiques, sous apparence de bien, sous apparence de
raison. Alors, aujourd'hui, oui, cette fois-ci, des passagers à bord du
canot peuvent très bien dire : « la Justice, moi on me la refuse, on
méprise mes droits, il ne peut pas être question pour moi d'obéir
purement et simplement ». Il a raison, il a raison, il a raison ! Mais il
ne faut pas pour autant que les passagers se battent et fassent chavirer
le canot, en sorte que tous meurent dans les eaux glacées !
Méfions-nous, mes chers frères, méfions-nous ! Méfions-nous de
nous-mêmes ! Nous sommes tous de pauvres êtres humains et toujours nous
pouvons tous nous tromper. Seul Notre Seigneur est infaillible, parce
qu'Il est Dieu. Et Il reste dans le destin des êtres humains d'être
faillibles. Que voulez-vous ! Et c'est pour cela que l'Eglise catholique,
avec une sagesse vraiment maternelle, a rédigé les articles du Code de
Droit Canon. Mais peut-il y avoir une instance d'appel à bord du canot ?
Ce n'est pas facile, parce que l'instance ne peut se trouver qu'à bord du
canot. Et à bord du canot, on a besoin d'un capitaine, qui soit une
autorité unique.
Alors,
qu'est-ce qui ressort en conclusion de tout cela ?
Eh bien,
de la part des passagers, il faut savoir se maîtriser, et ne pas partir
en guerre, même si le capitaine se trompe, parce que, si on est trop
convaincu de son droit et si on est trop fougueux, on risque non seulement
sa propre vie, mais aussi la vie de tous les passagers dans le canot. Du
bon sens ! Il est difficile, à bord du canot, d'organiser une instance
d'appel, parce que là, il y aurait toujours un certain risque, de voir
émerger deux têtes, un animal à deux têtes. Il faudra de la sagesse
pour ne pas tomber dans ce piège ! À tout instant, mes très chers amis,
il faut la sagesse humaine, c'est-à-dire d'abord le bon sens. Ne
l'oublions pas : le surnaturel sans le naturel produit le surnaturalisme -
tout comme on peut dire que le naturel sans le surnaturel engendre le
naturalisme.
On
brandit très volontiers l'accusation de naturalisme. Eh bien ! que l'on
signale aussi le danger du surnaturalisme. Cela signifie-t-il que nous
serons poussés, ce faisant, à une forme de relâchement ? Que Dieu nous
en préserve ! Mais n'oublions pas que ce sont de pauvres bougres que
Notre Seigneur a choisis, pour être ses ministres.
Revenons
encore une fois à notre canot de sauvetage, la Fraternité Saint Pie X.
Pour ce qui est des passagers, qu'ils ne se déchaînent pas ! Qu'ils
sachent se maîtriser. Nous sommes dans une crise extrêmement grave. Je
dis qu'elle est extrêmement grave, parce qu'elle met en jeu une question
de vérité. Il y a une question de fausse spiritualité, une question de
fond, qui ne se réglera pas par voie d’obéissance et d'autorité. Et,
d'un autre côté, tout capitaine va exercer l'autorité, c'est dans
l'ordre des choses, c'est ce que réclament les circonstances, c'est aussi
ce que faisait Mgr Lefebvre, je viens de vous le dire. Mais Mgr Lefebvre
s'est rarement appuyé sur sa seule autorité pour faire valoir ce qu'il
voulait faire valoir. Il donnait des raisons, il raisonnait. Il faut donc
aujourd'hui aussi que le capitaine, à bord, essaie de comprendre que
notre congrégation, la Fraternité Saint Pie X, n'est pas dans une
situation normale. Dans une situation normale, le capitaine pourrait
frapper fort et faire ce qu'il veut, parce qu'il sait que s'il tombe dans
l'arbitraire, il y aura toujours une instance au-dessus de lui. Dans la
grande structure de l'Eglise, il est toujours possible de sauver les
victimes de l'arbitraire ; Le capitaine peut donc être dur s'il le veut.
Mais dans le canot de sauvetage, on ne peut pas y aller comme ça ! La
situation est différente. On se ferait beaucoup d'illusions, en faisant
comme si le canot de sauvetage était une congrégation ordinaire. Alors,
que les autorités y aillent doucement, comme saint Pierre. Je suis sûr
que saint Pierre, sans sa chute, sans ses larmes, n'aurait pas compris sa
mission. Et cet Angelo dont je vous parlais à l'instant, il fallait bien
qu'il tombe et qu'il tombe gravement, pour qu'il arrive à se remettre
d'aplomb.
Ne
me faites pas dire ce que je ne dis pas ! On ne souhaite pas que ces
jeunes de la Fraternité tombent pour qu'ils parviennent à la
connaissance d'eux-mêmes et pour qu'ils éprouvent la compassion. On ne
le souhaite pas, bien sûr, parce que cela serait un péché mortel que de
le souhaiter. Les hommes ne doivent pas vouloir le mal pour que le bien en
sorte. Mais, si Dieu permettait cela... Aïe !, aïe ! Notre Seigneur ne
voulait pas que saint Pierre tombe. Notre Seigneur a bien
voulu le permettre pour qu'en sorte un plus grand bien.
Et
puis, dans toute cette affaire, suivons le modèle de Mgr Lefebvre, et si
l'on veut vraiment suivre son exemple, qu'on ne suive pas seulement sa
spiritualité, Il nous faut aussi regarder son humanité. Ceux d'entre
nous qui l'avons connu, Dieu sait si nous savons à quel point il était
humain. Il était humain, très humain. Et sa spiritualité et son
humanité étaient très bien fusionnées. Mais l'une est plus facile à
imiter que l'autre, l'aspect extérieur est plus facile à imiter que la
fusion intérieure, la spiritualité extérieure est plus facile à imiter
que le naturel, avec l'élan qu'il donne à tout. Et ceux qui se
contentent d'imiter la spiritualité le font toujours sub specie optimi,
sous l'aspect du bien et du mieux, comme s'il n'y avait chez Mgr Lefebvre
que la spiritualité, comme s'il n'y avait pas une véritable humanité.
Mes
très chers amis, vous connaissez peut-être le dicton latin « homo
est hominidé lupus, mulier est mulieri lupior, sacerdos est sacerdoti
lupissimus «. « L'homme est un loup pour l'homme, la femme
est pour la femme encore plus louve, mais le plus loup de tous c'est le
prêtre pour un autre prêtre ». Cette formule est une caricature, mais
elle est vraie. Regardez ce qui se passe : de part et d'autre, les
prêtres sont persuadés qu'il y va des intérêts du Ciel, de
l'Eternité, du salut des âmes, et c'est pour cela que les disputes entre
prêtres s'enveniment trop souvent. Chers amis, priez pour vos prêtres,
priez pour vos prêtres et n'attisez pas leurs querelles. Et puis, mes
chers amis, que l'on n'oublie jamais le bon sens. Mgr Lefebvre avait du
bon sens. Et c'est le bon sens qui tempère le danger jansénisant de
cette spiritualité. Si le bon sens vient à manquer, les problèmes
surviennent. Et quant aux autorités, qu'elles y aillent doucement, que
nous autres les autorités, nous y allions doucement. Et puis que les
passagers y aillent de leur côté aussi doucement.
À
côté du mot « spiritualité »‚ que je déteste, je déteste aussi le
mot « charité ». Je déteste le mot à cause de tout ce qu'on met
dessous aujourd'hui : la sentimentalité et l'humanitarisme, bref tout ce
qui fait vomir un être sain. Mais aujourd'hui, chers amis, la vraie
Charité, il la faut. Et qui peut posséder la Vérité s'il la brandit
sans la Charité ? Le Bon Dieu est patient, mais à la longue, il peut
punir tel ou tel en lui faisant perdre la vérité. Notre Seigneur
Lui-même s'est proclamé « la Voie, la Vérité, la Vie » ; mais il
venait de Dieu, la Vraie Charité. Vous et moi, mes chers amis, nous
pouvons tomber, tomber, tomber, tomber, tomber, et voilà que Notre
Seigneur nous pardonne, pardonne, pardonne, pardonne, jusqu'à 77 fois 7
fois, et encore plus. Voilà l'Esprit de Notre Seigneur et c'était aussi
l'esprit de Mgr Lefebvre. Une grande compassion.
Et
d'abord, dans cette épouvantable crise de l'Eglise, mes chers amis,
souvenons-nous que nous partageons tous la Vérité : Dieu à la place de
Dieu, le Dieu qui nous a donné la Foi ; vous et moi, par la grâce de
Dieu, nous voyons clair dans cette crise. Pourtant nous voyons des
catholiques, apparemment bien meilleurs que nous, dans l'Eglise officielle
et qui ne voient pas clair. Cette faculté de voir clair dans la crise,
c'est un don, c'est une grâce, c'est une élection. Nous sommes, sous cet
angle-là, mes chers amis, des élus. Persévérons donc pour être des
élus du Ciel.
Alors
Humilité et Charité !
La
confusion va augmenter. Il n'est pas difficile de le prévoir et de le
prédire. Rome ne revient pas, ne se repent toujours pas, ne donne aucun
signe, ni de comprendre, ni de vouloir comprendre. Rome fonce toujours
dans la même fausse direction. Alors, la confusion dans les âmes ne peut
que croître. Lorsque le sel de la terre s'affadit et lorsque cet
affadissement est volontaire, lorsque la lumière du monde s'aveugle
volontairement, on est bien sûr dans les ténèbres et dans la
corruption. Alors, mes chers amis, pensons à notre faiblesse à nous
autres, pauvres êtres humains, ayons de la compassion pour ceux qui
souffrent de cette confusion. Ayons de la compassion, de la Charité, de
la vraie Charité, les uns pour les autres. Et surtout, comme dit saint
Paul, pour ceux qui appartiennent à la maison de la Foi. Et nous autres,
nous sommes tous, par la grâce de Dieu, au moins pour le moment, des
membres de la Maison de la Tradition. Si vous voulez, c'est la maison de
la Vérité. Et si nous exerçons, pratiquons, prêchons cette Vérité de
manière à assommer nos semblables, nous risquons de perdre la Vérité.
Nous l'avons, sous un certain angle, déjà perdue. Mes chers amis, plus
la confusion va augmenter, plus la Charité va être nécessaire. Il faut
un grand esprit de tolérance, la bonne tolérance, parce que nous ne
sommes pas coupables de cette confusion, qui règne à la tête de
l'Eglise. D'une certaine façon, ce qui arrive en ce moment n'est pas
notre faute mais c'est un châtiment bien mérité pour nous tous. Cette
confusion est le châtiment de Dieu. En ces circonstances donc, ayons de
la compassion pour les « Saint Pierre », pour – que sais-je ? –
pour les musulmans, pour les juifs, pour les communistes, pour les
athées. Notre Mère, la Sainte Vierge, est mère de tous ces pauvres.
Alors
première conclusion : la Charité. La vraie, pas la sentimentale, ni la
charité qui s'aveugle pour être gentille. Non, non. Il faut bien voir,
il faut voir clair. Mais, si on voit clair comme Notre Seigneur, à ce
moment-là il faut avoir aussi la Compassion de Notre Seigneur lui-même
pour tous ceux, qui, sans qu'il y ait toujours faute de leur part, ne
voient pas clair.
Ensuite,
gardons à l'esprit qu'une crise semblable est une épreuve, tout comme la
crise de l'Eglise universelle. La naissance d'une Eglise qui se dit
elle-même conciliaire a été une épreuve pour tous les catholiques, une
épreuve dont certains catholiques ont su tirer le bien. S'il n'y avait
pas de telles crises, aurions-nous la ferveur que nous avons ? Et si nous
avions continué dans le petit train-train des années 50 ? Il est
possible de supposer que non. Peut-être la Fraternité a-t-elle
aujourd'hui mérité cette épreuve-ci. Alors, sachons en tirer le bien,
parce que le Bon Dieu permet toute épreuve pour que nous en tirions le
bien.
Troisièmement,
Dieu sait ce qu'Il fait. Nous, nous ne savons pas ce qu'Il fait. Nous ne
savons même pas ce que nous faisons. Si donc Dieu permet ces épreuves,
c'est pour notre bien, et même pour notre spiritualité, pour une vraie
spiritualité. Il nous faut simplement reconnaître la main de Dieu dans
nos épreuves. Quand Dieu permet que la confusion croisse toujours plus,
eh bien ! Il sait toujours ce qu'Il fait. Et un grand bien peut en sortir.
Alors patience ! Charité, humilité, patience et confiance en Dieu. Et
puis, la Fraternité étant si fragile, si Dieu permet - et c'est en soi
complètement possible - que la Fraternité se casse la figure... Je le
dis au Etats Unis depuis des décennies ! Dans la nature des choses, il
n'y a rien qui garantisse la survie de la Fraternité... Il n'y a que
l'intervention de Dieu ! Parce que Dieu va finalement intervenir dans la
situation que nous vivons aujourd'hui. Alors ne nous disons pas : La
Fraternité est infaillible, la Fraternité est forte, la Fraternité est
un navire normal de la grande flotte catholique. Ce n'est pas le cas !
C'est un canot de sauvetage. Alors ayons cette confiance aussi, que si la
chère Fraternité venait à sombrer - ce n'est pas impossible, étant
donné que nous sommes tous des pauvres êtres humains - si elle venait à
sombrer, écoutons le Maître nous dire : « N'ayez pas peur, petit
troupeau. N'ayez pas peur ». Pensons à Notre Seigneur, s'approchant de
ses apôtres en marchant sur les eaux : « C'est moi ». Non ! Notre
Seigneur n'abandonnera jamais ses brebis, ce n'est pas possible. Au moment
du Concile, on a pu penser que Notre Seigneur était en train d'abandonner
ses brebis ; eh bien non ! Voilà la Tradition qui est maintenant
représentée dans le monde entier. Et si la chère Fraternité, à cause
de ses misères humaines, venait à sombrer comme l'Eglise conciliaire, eh
bien le bon Dieu sauverait quand même les brebis qui ne voudraient pas,
qui ne voudraient toujours pas abandonner leur Dieu. Saint Augustin dit :
« Dieu n'abandonne jamais une âme qui n'a pas, la première, abandonné
Dieu ». Cette citation est reprise par le Concile de Trente, qui la fait
nôtre. Donc Dieu est toujours là. Prions : la Charité, l'Humilité, la
Patience et la Confiance en Dieu. Et priez, priez, priez, mes chers amis,
pour vos prêtres. Je ne dis pas seulement pour vos prêtres, ceux de la
Fraternité, non, non. Priez pour les prêtres du monde entier, que notre
cœur s'élargisse, selon le cœur de Notre Seigneur, pour embrasser dans
notre prière tous les prêtres, à l'intérieur de la Fraternité, et à
l'extérieur.
Et
prions bien sûr la très Sainte Vierge Marie, prions la Bonne Mère pour
cela. Elle est la mère des prêtres, de tous les prêtres. Elle a été
confiée par Notre Seigneur à St Jean au pied de la Croix. Elle est le
Siège de la Sagesse. Demandez-lui en priant le chapelet ce que Elle, Elle
pense, ce que Elle, Elle souhaite. Dans quelle direction Elle nous
dirigerait vers son Fils. Et je suis persuadé que si tous, nous avons
vraiment son esprit, l'esprit maternel de sa sagesse maternelle, eh bien,
les problèmes, les désaccords se résoudraient sans trop de
difficultés.
Au
Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. » |