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"Parole d'évêque..."

Version écrite du sermon de  Mgr Richard Williamson à Saint-Nicolas-du-Chardonnet (Paris), le 17 octobre 2004

Pacte n°88 - octobre 2004

« Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi soit-il.

Chers confrères, chères sœurs, chers fidèles,

C'est monsieur l'abbé Beauvais, votre curé, qui m'a invité à vous offrir une messe pontificale lorsqu'il a su que je serais là pour le symposium de théologie sur Vatican II. Aujourd'hui, cette demande apparaît comme providentielle, parce que Saint-Nicolas du Chardonnet, et la Fraternité, en général, font face à une crise. Cette crise est depuis quelques semaines dans le domaine public. Je ne risque donc pas de scandaliser quiconque, si j'évoque publiquement la situation où nous sommes. Je pense que la crise est assez grave pour nécessiter une parole d'évêque.

Je peux bien sûr me tromper sur la façon de dire les choses, j'arrive de l'extérieur. Mais durant plusieurs jours où il a fallu préparer le symposium, puis participer au symposium et ensuite attendre samedi et dimanche, pour des interventions à Marseille et à Paris, j'ai eu le temps et la possibilité de me familiariser avec certains aspects de cette crise qui menace la Fraternité. C'est pour cela que je prends sur moi d'en parler. Si ce n'était qu'une petite chose, je n'en parlerais pas. Mais c'est quelque chose qui, à mon avis, ne se règlera pas par voie d'autorité. L'autorité et l'obéissance sont corrélatives, mais l'une et l'autre servent la vérité. Et si l'autorité et l'obéissance sont séparées ou détournées de la vérité, on voit surgir un problème qui ne se réglera pas simplement par l'obéissance et l'autorité.

L'autorité catholique est là pour la Vérité catholique. Le proverbe espagnol dit quelque chose de ce genre : « L'obéissance ne sert pas l'obéissance. L'obéissance sert la Foi»  et l'obéissance catholique est relative à la foi et à la Vérité catholique. Et si nous faisons comme a fait le Concile et l'Eglise conciliaire depuis quarante ans, alors pourquoi nous trouvons-nous ici mes chers frères ? N'est-ce pas parce que le Concile et les conciliaires ont piétiné les questions de vérité au nom de l'obéissance qu'ici et maintenant nous leur résistons ? C'est aussi pour cela que tant d'âmes catholiques sont encore égarées sur une voie qui ne mène pas du tout au Ciel, parce que ces personnes pensent avant tout à obéir. On leur inculque une notion de l'obéissance qui les oblige toujours à « s'écraser ». Oui, les catholiques restés dans l'Eglise conciliaire n'ont eu qu'à « s'écraser ». On dit en anglais, en américain : «  Pray, pay and obey. »  Ils n'ont eu qu'à prier payer et obéir. Et c'est pour cela que nous demeurons aujourd'hui dans cette épouvantable crise de l'Eglise universelle.

Et maintenant la même chose devrait se répéter à l'intérieur de la Fraternité ? Eh bien non ! Non, parce que la Fraternité a été créée par Mgr Lefebvre, qui a su discerner entre la vraie obéissance et la fausse obéissance. Et l'obéissance qui n'obéit plus à Dieu et qui n'obéit plus à la Foi est une fausse obéissance. Mgr Lefebvre nous a dégagés de ces ornières. Nous l'avons suivi et nous avons eu raison. Mais le diable est toujours à l'œuvre et il faut admirer la manière dont il a agi cette fois-ci. Oui, il faut comprendre comment il s'y est pris. La tentation a été subtile ! Dans cette affaire, la tentation ne s'est pas présentée seulement sous apparence de bien (sub specie boni), elle s'est montrée à nous sous l'apparence du mieux (sub specie optimi)...

Que signifie cette distinction ? Pour le comprendre, revenons un peu en arrière. Revenons à la fondation de la Fraternité Saint Pie X. Mgr Lefebvre a été poussé par la Providence, à laquelle, en fonction de sa grande sagesse et sans doute de sa sainteté, il a été appelé à collaborer de manière particulière. Il a donc fondé la Fraternité Saint Pie X, qui, dans ses débuts, s'est située complètement à l'intérieur de l'Eglise. Il n'a pas ouvert pas un séminaire sauvage comme ses ennemis l'en ont accusé. Il a fondé un séminaire tout à fait selon les lois de l'Eglise, obtenant même l'approbation de l'évêque de Genève et Fribourg en mai 1970. Pour Monseigneur, pour notre fondateur, cette reconnaissance formelle était très importante. Son entreprise ne comportait pas une once de désobéissance. Il voulait évidemment obéir aux lois de l'Eglise. Mais lorsqu'il est devenu flagrant que ces lois détruisaient et subvertissaient la Foi, à ce moment-là, il a dû dire « non ». Il a dit : « la loi suprême c'est le salut des âmes ». Ce qui reste toujours vrai...

Mgr Lefebvre a donc fondé cette Fraternité. Mais la Fraternité depuis le début est fragilisée par une faiblesse intrinsèque, qui est toujours là et dont nous sommes incapables de nous débarrasser. Cette faiblesse, nous n'y pouvons rien, elle n'est pas notre faute ; c'est en quelque sorte une marque de fabrique, elle est dans la nature même de la Fraternité, qui très vite, après deux, trois ou quatre ans d'existence, a dû se construire et se développer sans avoir le Pape derrière et au-dessus d'elle : derrière, pour appuyer et soutenir tout ce qui est catholique et au-dessus, pour offrir à sa hiérarchie la clé de voûte, qui, autrefois, avant le Concile, protégeait tous les catholiques. Alors, en effet, lorsque les autorités intervenaient, le Droit Canon assurait toutes sortes d'instances et de possibilités pour faire appel de décisions estimées injustes. Il y avait tout un dispositif pour assurer force à l'autorité de l'Eglise. Parce que l'autorité catholique doit être forte, pour imposer aux gens, dans la mesure qui est en elle de par Dieu, le chemin du Ciel. Donc, l'autorité catholique est forte ; elle vient de Dieu ; elle mène à Dieu. C'est une autorité de Vérité : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie.»

Cela étant posé, il est évident que les pauvres hommes que nous sommes tous, mes chers amis, oui, nous autres pauvres hommes, nous pourrions défaillir sous le poids de cette autorité. Mais Notre Seigneur l'a voulu ainsi, il a choisi de confier cette autorité si forte non pas à des anges mais à des hommes. Il a donc voulu aussi que cette autorité divine s'exerce humainement. Pour garantir que la force de l'obéissance catholique n'écraserait pas ceux qui la professaient ou ceux qui la réclamaient, il y avait donc tout un système juridique d'appels. Ces possibilités d'appel assuraient la justice à côté de la vérité. Et c'est la Justice et la Vérité catholique conjointes, qui fondaient l'autorité catholique.

Reprenons l'exemple de notre fondateur, Mgr Lefebvre : dans le collapsus du Concile, comment s'est-il acquis l'autorité qui lui est reconnue ? Est-ce seulement en disant : « Moi, je suis évêque, et vous, vous devez obéir ! » ? Non, Non, Non et Non ! Rarement je l'ai entendu dire cela. Et pourtant il croyait en l'autorité, c'était un homme d'ordre, il n'entendait pas que dans la Fraternité on crée la pagaille. Il n'aimait pas la désobéissance, c'est sûr et certain. Mais lorsqu'il y avait un problème, est-ce qu'on l'entendait dire : « C'est moi l'évêque ! » ? Non. Il disait seulement, il disait calmement : « Actuellement voici mes raisons. Si vous avez des arguments à m'opposer, je vous écoute. Si vous avez raison, nous irons dans le sens que vous proposez. En revanche, si vous reconnaissez que c'est moi qui ai raison, faisons donc ce que je propose. »

Je me souviens très bien d'un épisode particulièrement pénible. C'était aux Etats-unis, en 1983, et des prêtres, membres de la Fraternité, faisaient une véritable révolution contre la Fraternité. Ils agissaient sans aucun doute sous apparence de bien, sub specie boni. Nous ne mettons pas en doute leurs intentions ; mais je peux témoigner de sa manière de faire, durant cette crise. C'était de discuter, de raisonner, de raisonner encore avec ces prêtres, qui pourtant étaient effectivement révolutionnaires. Puis lorsqu'il s'est avéré, au bout d'un certain temps, qu'une discussion amiable ne pouvait déboucher sur aucun accord, Mgr Lefebvre y a mis fin, le plus simplement du monde. J'ai assisté moi-même à ce petit dialogue : « Chers messieurs les abbés, notre discussion est inutile. - Ah ! non, nous discutons, continuons donc nos discussions - Non, Non c'est inutile. Vous avez vos idées et nous avons les nôtres. Et nous n'allons pas en changer. Il faut donc nous séparer. »

Et notre fondateur de poursuivre, écoutez bien : « - Jusqu'ici, [remarquez l'humilité !], jusqu'ici le Bon Dieu semble avoir béni la Fraternité [ depuis la fondation en 1970 jusqu'à cette année 1983, cela faisait 13 ans d'histoire de la Fraternité]. Mgr disait bien : « Jusqu'ici », c'est-à-dire dans le passé, mais il ne préjugeait pas de l'avenir et combien juste est cette prudence. Une personne de bon sens ne peut qu'écouter un tel langage. « Jusqu'ici » disait-il, « le Bon Dieu semble avoir béni la Fraternité ». Il ne disait pas : « Le Bon Dieu est avec nous et Il n'est pas avec vous autres ». Non, non, non, non et non ! Ce n'est pas tout, écoutez encore ceci. Mgr ajoutait, - j'étais là, je l'ai entendu de mes propres oreilles : « Jusqu'ici le Bon Dieu semble avoir béni la Fraternité. Mais si vous savez mieux faire, que le Bon Dieu soit avec vous. » Ça, c'est un grand homme ! Ça, c'est un grand homme de Dieu ! Il se rend bien compte qu'il peut se tromper. Bien sûr, il croit que ce qu'il fait c'est pour l'amour de Dieu qu'il le fait, et il le croit pour des raisons tout à fait sérieuses, il continuera donc de faire ce qu'il fait, mais il sait bien que ce n'est pas lui qui est « la Voie, la Vérité et la Vie ».

Mgr Lefebvre, à côté de la spiritualité du XVII ème siècle qui lui est parvenue par l'Ecole Française, oui en plus de cela, possédait un bon sens et une humanité qui sont absolument nécessaires, si l'on veut tempérer cette spiritualité, car si le bon sens manque, cette spiritualité de l'Ecole française tourne à la tartuferie et au jansénisme. Que l'on fasse donc attention dans la Fraternité ! il faut non seulement vivre de cette spiritualité française, mais aussi en quelque sorte la contenir. Spiritualité ? Je déteste ce mot. Pourquoi est-ce que je le déteste ? Parce que, très souvent, il y a trop de recherche de soi, mêlée à la recherche de Dieu. Nous sommes de pauvres bougres, ne l'oublions pas. Il nous faut donc chercher Dieu, il nous faut foncer vers Dieu. Et sainte Thérèse d'Avila de dire : « Le Bon Dieu préfère les âmes généreuses aux âmes sans défauts ». Eh oui ! Parce que la générosité finira par avoir le dessus sur les défauts. En revanche, le « sans défaut » ne garantira pas la générosité. Saint Pierre était généreux, il était fougueux. Il faisait des gaffes. Il se trompait... Et qu'est-ce qu'a fait Notre-Seigneur ? Notre Seigneur a permis que St Pierre le renie trois fois, au moment où il aurait eu le plus besoin de son apôtre. Mais saint Pierre n'était pas là, saint Pierre a manqué au Maître. Pourquoi ? On peut reconstituer le fil de ses pensées. Il devait se dire : « Les autres ont fui, mais moi j'y vais, je suis fort, je suis le champion du Seigneur ! ». Et puis, un moment plus tard, il tombe, le diable l'a eu. Par où ? Par le respect humain. C'était le point faible de saint Pierre et le diable nous attaque toujours par notre point faible. N'empêche ! À partir de ce moment-là, saint Pierre a définitivement compris qu'il n'était qu'un pauvre bougre... Seulement voilà : un pauvre bougre peut faire un bon pape ! Et un « sans défaut », qui s'admire comme étant sans défaut, ne peut pas faire un bon pape. Il ne comprend pas les hommes. Il n'a pas la compassion qu'il faut avoir pour ces pauvres êtres que nous sommes. Cette leçon, saint Pierre ne l'a jamais oubliée. On dit même qu'il a pleuré jusqu'à la fin de sa vie. Mais les larmes de Pierre ont été essentielles à sa papauté, elles lui ont donné la sainteté qu'il fallait, pour diriger l'Eglise, pour la protéger à sa naissance et pour veiller à ses premiers jours.

Alors cette spiritualité du XVIIème, telle que moi je la résume, elle est bonne, je dis cela « sub specie boni ». Mais ce n'est pas « sub specie boni », que je la critique, c'est « sub specie optimi », sous l'apparence du meilleur ou du seul bien. C'est en voulant être « spirituel », que l'on oublie d'être humain. En voulant n'être que spirituel, « sub specie optimi »... Mgr Lefebvre a toujours été humain. Mais, malheureusement, il est bien plus facile aujourd'hui d'imiter une apparence  extérieure de spiritualité et de se dire un homme spirituel, que de reproduire en nous cette fusion de la spiritualité avec l'humanité, qui a été la caractéristique de Mgr Lefebvre.

Je vais vous raconter, aussi brièvement que possible, la pièce de Shakespeare « Mesure pour mesure ». Imaginez un jeune prince, qui est tellement droit, tellement parfait, tellement correct, qu'il ne se connaît pas lui-même. Un jour, le diable lui envoie une belle jeune fille qui vient pour plaider la cause de son frère. Elle veut entrer au couvent ; elle est très bonne. Elle est tout à fait vertueuse. Oui, Isabelle est une véritable sainte. Alors devinez ce qui se passe... Lors de leur rencontre, Isabelle demande grâce pour son frère, qu'Angelo, le prince sans défaut, avait emprisonné. Pour toute réponse, le prince fit à Isabelle une proposition tout à fait malhonnête. Celui qui était si correct, si admirable, ne se connaissait pas lui-même. Il était inhumain. Il en a payé le prix. Remarquez l'esprit de Shakespeare. Quel est le nom qu'il donne à ce jeune prince ? Il l'appelle « Angelo », et ce n'est pas pour rien. Le pauvre petit faisait tout simplement de l'angélisme. Sans doute, au départ, il agissait avec rectitude, au nom de tout ce qui est bon, de tout ce qui est correct. Nous étions au XVII ème siècle, en plein Jansénisme, mes chers amis. En Angleterre, ce jansénisme protestant s'est appelé le puritanisme. Sous apparence de bien, à force de se prendre pour un ange, sans se souvenir qu'on est aussi une bête, on tombe dans les bêtises et les abêtissements les plus terribles. On bascule de la vertu au vice, et le diable le sait pertinemment : le Jansénisme a basculé dans le libéralisme et la révolution française. Et le puritanisme en Angleterre a basculé dans ce libéralisme, qui est répandu maintenant à travers toute l'Europe.

Faisons donc attention et soyons humbles. N'oublions pas que nous sommes des êtres humains. Notre Seigneur - c'est mystérieux ce qu'il a voulu faire pour les ministres de son Eglise : pour sauver les âmes, Il a choisi des hommes et non pas des anges. Il aurait pu faire que nous soyons tous sanctifiés et conduits par des anges. Il ne l'a pas fait. Il a choisi quelques pauvres hommes pour être ses prêtres. Et il en fut ainsi dès le début, voyez saint Pierre. Qu'est-ce que Notre Seigneur lui fait comprendre, à travers son triple reniement ? « Rappelle-toi, Pierre, que tu n'es qu'un homme. Tu auras toujours besoin de moi, et tu auras aussi besoin de la compassion, pour les autres êtres humains comme toi. »

Si nous terminons notre analyse de la pièce de Shakespeare, c'est la formule du Pater qui nous vient à l'esprit : « Pardonnez-nous, Seigneur, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » Le pardon est nécessaire ! Et ça, c'est toute la sagesse de la pièce de Shakespeare. C'est une leçon très catholique. Il s'agit d'un drame profane, sans doute, mais la leçon en est certainement catholique. Le Duc, le Chef intervient, pour empêcher Angelo, le jeune prince, de commettre l'irréparable. Et à la fin, Angelo, le sans défaut, reconnaît qu'il a fauté, et fauté gravement. Il reconnaît qu'il mérite la mort. Mais le Duc l'épargne. Il lui pardonne, parce qu'Angelo reconnaît qu'il est en faute.

Il est dans la nature de la Fraternité d'être comme un canot de sauvetage ; un canot de sauvetage est vulnérable ; mais au moins, il est là. Le grand transatlantique a sombré, et on a mis sur les flots de l'océan ce canot de sauvetage, et l'océan, aujourd'hui, est en furie, il est déchaîné. Un petit canot de sauvetage, ce n'est pas fait pour durer longtemps. Dans les canots que l'on a mis sur les eaux, depuis le Titanic, les passagers seraient certainement morts de froid, si leur odyssée avait duré encore une nuit. Heureusement, d'autres navires arrivèrent, dès la fin de la première nuit, et ils ont pu recueillir et sauver ceux qui avaient trouvé refuge dans les canots. Quant à ceux qui étaient dans la mer, même s'ils avaient mis leur veston de sauvetage (je ne connais pas le mot en français), ils mouraient de froid dans la mer glacée. Eh bien, mes chers amis, si vous et moi, nous faisions chavirer la Fraternité Saint Pie X, par nos agissements, par nos guerres, nos querelles apparemment justes et toujours sous apparence de bien, alors, malheureusement, nous serions dans l'eau, avec nos vestons de sauvetage. Même si nous nous battons au nom d'une bonne cause, si nous nous battions, supposons, contre le Jansénisme ou contre la tendance jansénisante qui nous menace, prenons garde de ne pas faire chavirer le canot ! Je dis le jansénisme ou la tendance jansénisante, car, les erreurs sont de plus en plus subtiles avec chaque décennie. Aujourd'hui, les tentations deviennent de plus en plus subtiles. Et Dieu sait pourtant si déjà les tentations du Concile ont été subtiles jusqu'à tromper la grande masse des catholiques, sous apparence de bien, sous apparence de raison. Alors, aujourd'hui, oui, cette fois-ci, des passagers à bord du canot peuvent très bien dire : « la Justice, moi on me la refuse, on méprise mes droits, il ne peut pas être question pour moi d'obéir purement et simplement ». Il a raison, il a raison, il a raison ! Mais il ne faut pas pour autant que les passagers se battent et fassent chavirer le canot, en sorte que tous meurent dans les eaux glacées ! Méfions-nous, mes chers frères, méfions-nous !  Méfions-nous de nous-mêmes ! Nous sommes tous de pauvres êtres humains et toujours nous pouvons tous nous tromper. Seul Notre Seigneur est infaillible, parce qu'Il est Dieu. Et Il reste dans le destin des êtres humains d'être faillibles. Que voulez-vous ! Et c'est pour cela que l'Eglise catholique, avec une sagesse vraiment maternelle, a rédigé les articles du Code de Droit Canon. Mais peut-il y avoir une instance d'appel à bord du canot ? Ce n'est pas facile, parce que l'instance ne peut se trouver qu'à bord du canot. Et à bord du canot, on a besoin d'un capitaine, qui soit une autorité unique.

Alors, qu'est-ce qui ressort  en conclusion de tout cela ?

Eh bien, de la part des passagers, il faut savoir se maîtriser, et ne pas partir en guerre, même si le capitaine se trompe, parce que, si on est trop convaincu de son droit et si on est trop fougueux, on risque non seulement sa propre vie, mais aussi la vie de tous les passagers dans le canot. Du bon sens ! Il est difficile, à bord du canot, d'organiser une instance d'appel, parce que là, il y aurait toujours un certain risque, de voir émerger deux têtes, un animal à deux têtes. Il faudra de la sagesse pour ne pas tomber dans ce piège ! À tout instant, mes très chers amis, il faut la sagesse humaine, c'est-à-dire d'abord le bon sens. Ne l'oublions pas : le surnaturel sans le naturel produit le surnaturalisme - tout comme on peut dire que le naturel sans le surnaturel engendre le naturalisme.

On brandit très volontiers l'accusation de naturalisme. Eh bien ! que l'on signale aussi le danger du surnaturalisme. Cela signifie-t-il que nous serons poussés, ce faisant, à une forme de relâchement ? Que Dieu nous en préserve ! Mais n'oublions pas que ce sont de pauvres bougres que Notre Seigneur a choisis, pour être ses ministres.

Revenons encore une fois à notre canot de sauvetage, la Fraternité Saint Pie X. Pour ce qui est des passagers, qu'ils ne se déchaînent pas ! Qu'ils sachent se maîtriser. Nous sommes dans une crise extrêmement grave. Je dis qu'elle est extrêmement grave, parce qu'elle met en jeu une question de vérité. Il y a une question de fausse spiritualité, une question de fond, qui ne se réglera pas par voie d’obéissance et d'autorité. Et, d'un autre côté, tout capitaine va exercer l'autorité, c'est dans l'ordre des choses, c'est ce que réclament les circonstances, c'est aussi ce que faisait Mgr Lefebvre, je viens de vous le dire. Mais Mgr Lefebvre s'est rarement appuyé sur sa seule autorité pour faire valoir ce qu'il voulait faire valoir. Il donnait des raisons, il raisonnait. Il faut donc aujourd'hui aussi que le capitaine, à bord, essaie de comprendre que notre congrégation, la Fraternité Saint Pie X, n'est pas dans une situation normale. Dans une situation normale, le capitaine pourrait frapper fort et faire ce qu'il veut, parce qu'il sait que s'il tombe dans l'arbitraire, il y aura toujours une instance au-dessus de lui. Dans la grande structure de l'Eglise, il est toujours possible de sauver les victimes de l'arbitraire ; Le capitaine peut donc être dur s'il le veut. Mais dans le canot de sauvetage, on ne peut pas y aller comme ça ! La situation est différente. On se ferait beaucoup d'illusions, en faisant comme si le canot de sauvetage était une congrégation ordinaire. Alors, que les autorités y aillent doucement, comme saint Pierre. Je suis sûr que saint Pierre, sans sa chute, sans ses larmes, n'aurait pas compris sa mission. Et cet Angelo dont je vous parlais à l'instant, il fallait bien qu'il tombe et qu'il tombe gravement, pour qu'il arrive à se remettre d'aplomb.

Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas ! On ne souhaite pas que ces jeunes de la Fraternité tombent pour qu'ils parviennent à la connaissance d'eux-mêmes et pour qu'ils éprouvent la compassion. On ne le souhaite pas, bien sûr, parce que cela serait un péché mortel que de le souhaiter. Les hommes ne doivent pas vouloir le mal pour que le bien en sorte. Mais, si Dieu permettait cela... Aïe !, aïe ! Notre Seigneur ne voulait pas que saint Pierre tombe.   Notre Seigneur a bien voulu le permettre pour qu'en sorte un plus grand bien. 

Et puis, dans toute cette affaire, suivons le modèle de Mgr Lefebvre, et si l'on veut vraiment suivre son exemple, qu'on ne suive pas seulement sa spiritualité, Il nous faut aussi regarder son humanité. Ceux d'entre nous qui l'avons connu, Dieu sait si nous savons à quel point il était humain. Il était humain, très humain. Et sa spiritualité et son humanité étaient très bien fusionnées. Mais l'une est plus facile à imiter que l'autre, l'aspect extérieur est plus facile à imiter que la fusion intérieure, la spiritualité extérieure est plus facile à imiter que le naturel, avec l'élan qu'il donne à tout. Et ceux qui se contentent d'imiter la spiritualité le font toujours sub specie optimi, sous l'aspect du bien et du mieux, comme s'il n'y avait chez Mgr Lefebvre que la spiritualité, comme s'il n'y avait pas une véritable humanité.

Mes très chers amis, vous connaissez peut-être le dicton latin «  homo est hominidé lupus, mulier est mulieri lupior, sacerdos est sacerdoti lupissimus «. «   L'homme est un loup pour l'homme, la femme est pour la femme encore plus louve, mais le plus loup de tous c'est le prêtre pour un autre prêtre ». Cette formule est une caricature, mais elle est vraie. Regardez ce qui se passe : de part et d'autre, les prêtres sont persuadés qu'il y va des intérêts du Ciel, de l'Eternité, du salut des âmes, et c'est pour cela que les disputes entre prêtres s'enveniment trop souvent. Chers amis, priez pour vos prêtres, priez pour vos prêtres et n'attisez pas leurs querelles. Et puis, mes chers amis, que l'on n'oublie jamais le bon sens. Mgr Lefebvre avait du bon sens. Et c'est le bon sens qui tempère le danger jansénisant de cette spiritualité. Si le bon sens vient à manquer, les problèmes surviennent. Et quant aux autorités, qu'elles y aillent doucement, que nous autres les autorités, nous y allions doucement. Et puis que les passagers y aillent de leur côté aussi doucement.

À côté du mot « spiritualité »‚ que je déteste, je déteste aussi le mot « charité ». Je déteste le mot à cause de tout ce qu'on met dessous aujourd'hui : la sentimentalité et l'humanitarisme, bref tout ce qui fait vomir un être sain. Mais aujourd'hui, chers amis, la vraie Charité, il la faut. Et qui peut posséder la Vérité s'il la brandit sans la Charité ? Le Bon Dieu est patient, mais à la longue, il peut punir tel ou tel en lui faisant perdre la vérité. Notre Seigneur Lui-même s'est proclamé « la Voie, la Vérité, la Vie » ; mais il venait de Dieu, la Vraie Charité.  Vous et moi, mes chers amis, nous pouvons tomber, tomber, tomber, tomber, tomber, et voilà que Notre Seigneur nous pardonne, pardonne, pardonne, pardonne, jusqu'à 77 fois 7 fois, et encore plus. Voilà l'Esprit de Notre Seigneur et c'était aussi l'esprit de Mgr Lefebvre. Une grande compassion.

Et d'abord, dans cette épouvantable crise de l'Eglise, mes chers amis, souvenons-nous que nous partageons tous la Vérité : Dieu à la place de Dieu, le Dieu qui nous a donné la Foi ; vous et moi, par la grâce de Dieu, nous voyons clair dans cette crise. Pourtant nous voyons des catholiques, apparemment bien meilleurs que nous, dans l'Eglise officielle et qui ne voient pas clair. Cette faculté de voir clair dans la crise, c'est un don, c'est une grâce, c'est une élection. Nous sommes, sous cet angle-là, mes chers amis, des élus. Persévérons donc pour être des élus du Ciel.

Alors Humilité et Charité !

La confusion va augmenter. Il n'est pas difficile de le prévoir et de le prédire. Rome ne revient pas, ne se repent toujours pas, ne donne aucun signe, ni de comprendre, ni de vouloir comprendre. Rome fonce toujours dans la même fausse direction. Alors, la confusion dans les âmes ne peut que croître. Lorsque le sel de la terre s'affadit et lorsque cet affadissement est volontaire, lorsque la lumière du monde s'aveugle volontairement, on est bien sûr dans les ténèbres et dans la corruption. Alors, mes chers amis, pensons à notre faiblesse à nous autres, pauvres êtres humains, ayons de la compassion pour ceux qui souffrent de cette confusion. Ayons de la compassion, de la Charité, de la vraie Charité, les uns pour les autres. Et surtout, comme dit saint Paul, pour ceux qui appartiennent à la maison de la Foi. Et nous autres, nous sommes tous, par la grâce de Dieu, au moins pour le moment, des membres de la Maison de la Tradition. Si vous voulez, c'est la maison de la Vérité. Et si nous exerçons, pratiquons, prêchons cette Vérité de manière à assommer nos semblables, nous risquons de perdre la Vérité. Nous l'avons, sous un certain angle, déjà perdue. Mes chers amis, plus la confusion va augmenter, plus la Charité va être nécessaire. Il faut un grand esprit de tolérance, la bonne tolérance, parce que nous ne sommes pas coupables de cette confusion, qui règne à la tête de l'Eglise. D'une certaine façon, ce qui arrive en ce moment n'est pas notre faute mais c'est un châtiment bien mérité pour nous tous. Cette confusion est le châtiment de Dieu. En ces circonstances donc, ayons de la compassion pour les « Saint Pierre », pour – que sais-je ? – pour les musulmans, pour les juifs, pour les communistes, pour les athées. Notre Mère, la Sainte Vierge, est mère de tous ces pauvres.

Alors première conclusion : la Charité. La vraie, pas la sentimentale, ni la charité qui s'aveugle pour être gentille. Non, non. Il faut bien voir, il faut voir clair. Mais, si on voit clair comme Notre Seigneur, à ce moment-là il faut avoir aussi la Compassion de Notre Seigneur lui-même pour tous ceux, qui, sans qu'il y ait toujours faute de leur part, ne voient pas clair.

Ensuite, gardons à l'esprit qu'une crise semblable est une épreuve, tout comme la crise de l'Eglise universelle. La naissance d'une Eglise qui se dit elle-même conciliaire a été une épreuve pour tous les catholiques, une épreuve dont certains catholiques ont su tirer le bien. S'il n'y avait pas de telles crises, aurions-nous la ferveur que nous avons ? Et si nous avions continué dans le petit train-train des années 50 ? Il est possible de supposer que non. Peut-être la Fraternité a-t-elle aujourd'hui mérité cette épreuve-ci. Alors, sachons en tirer le bien, parce que le Bon Dieu permet toute épreuve pour que nous en tirions le bien.

Troisièmement, Dieu sait ce qu'Il fait. Nous, nous ne savons pas ce qu'Il fait. Nous ne savons même pas ce que nous faisons. Si donc Dieu permet ces épreuves, c'est pour notre bien, et même pour notre spiritualité, pour une vraie spiritualité. Il nous faut simplement reconnaître la main de Dieu dans nos épreuves. Quand Dieu permet que la confusion croisse toujours plus, eh bien ! Il sait toujours ce qu'Il fait. Et un grand bien peut en sortir. Alors patience ! Charité, humilité, patience et confiance en Dieu. Et puis, la Fraternité étant si fragile, si Dieu permet - et c'est en soi complètement possible - que la Fraternité se casse la figure... Je le dis au Etats Unis depuis des décennies ! Dans la nature des choses, il n'y a rien qui garantisse la survie de la Fraternité... Il n'y a que l'intervention de Dieu ! Parce que Dieu va finalement intervenir dans la situation que nous vivons aujourd'hui. Alors ne nous disons pas : La Fraternité est infaillible, la Fraternité est forte, la Fraternité est un navire normal de la grande flotte catholique. Ce n'est pas le cas ! C'est un canot de sauvetage. Alors ayons cette confiance aussi, que si la chère Fraternité venait à sombrer - ce n'est pas impossible, étant donné que nous sommes tous des pauvres êtres humains - si elle venait à sombrer, écoutons le Maître nous dire : « N'ayez pas peur, petit troupeau. N'ayez pas peur ». Pensons à Notre Seigneur, s'approchant de ses apôtres en marchant sur les eaux : « C'est moi ». Non ! Notre Seigneur n'abandonnera jamais ses brebis, ce n'est pas possible. Au moment du Concile, on a pu penser que Notre Seigneur était en train d'abandonner ses brebis ; eh bien non ! Voilà la Tradition qui est maintenant représentée dans le monde entier. Et si la chère Fraternité, à cause de ses misères humaines, venait à sombrer comme l'Eglise conciliaire, eh bien le bon Dieu sauverait quand même les brebis qui ne voudraient pas, qui ne voudraient toujours pas abandonner leur Dieu. Saint Augustin dit : « Dieu n'abandonne jamais une âme qui n'a pas, la première, abandonné Dieu ». Cette citation est reprise par le Concile de Trente, qui la fait nôtre. Donc Dieu est toujours là. Prions : la Charité, l'Humilité, la Patience et la Confiance en Dieu. Et priez, priez, priez, mes chers amis, pour vos prêtres. Je ne dis pas seulement pour vos prêtres, ceux de la Fraternité, non, non. Priez pour les prêtres du monde entier, que notre cœur s'élargisse, selon le cœur de Notre Seigneur, pour embrasser dans notre prière tous les prêtres, à l'intérieur de la Fraternité, et à l'extérieur.

Et prions bien sûr la très Sainte Vierge Marie, prions la Bonne Mère pour cela. Elle est la mère des prêtres, de tous les prêtres. Elle a été confiée par Notre Seigneur à St Jean au pied de la Croix. Elle est le Siège de la Sagesse. Demandez-lui en priant le chapelet ce que Elle, Elle pense, ce que Elle, Elle souhaite. Dans quelle direction Elle nous dirigerait vers son Fils. Et je suis persuadé que si tous, nous avons vraiment son esprit, l'esprit maternel de sa sagesse maternelle, eh bien, les problèmes, les désaccords se résoudraient sans trop de difficultés.

Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. »