Les
épreuves permettent d’avancer. Du bien peut sortir du désordre. L’affaire
de Bordeaux soulève ainsi de vraies questions. Si l’on y répond avec
sagesse, la Tradition catholique en sortira renforcée.
A
tort ou à raison un prêtre s’inquiète auprès de ses confrères de la
situation du séminaire. Il est sanctionné. Il fait appel. On lui répond
que l’appel est impossible et il est prié de quitter la congrégation.
La
politique d’Ecône est critiquée. La communication interne de la
Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) est mise en cause. On invoque
le code de droit canonique et on en appelle aux autres évêques
consacrés par Mgr Lefebvre. En un mot, c’est tout le mode de
fonctionnement de cette fraternité qui est mis en question.
Pour
douloureuse qu’elle soit, la crise qui secoue la FSSPX était
inévitable. Il fallait bien qu’un jour un subordonné fasse appel d’une
sanction qu’il estimerait injuste. Mais appel auprès de qui ?
Au
nom de la FSSPX, l’Abbé Grégoire Célier, dans un communiqué du 10
septembre 2004, apporte des éléments de réponse : « dans la
situation actuelle, il n’y a pas de recours juridique selon une voie
normale contre une décision du Supérieur Général prise à l’unanimité
de son Conseil (…) La Fraternité se trouve de facto coupée de l’autorité
de Rome (…) une
contestation résolue et définitive d’une décision du Supérieur
Général ne peut se terminer que par un départ de la société ».
Cette réponse « sans appel »,
selon le mot même de l’Abbé Célier, est-elle satisfaisante ?
Tous
conviennent que la FSSPX n’est pas toute l’Eglise, qu’elle n’en a
ni les pouvoirs ni les attributions. Son supérieur, Mgr Bernard
Fellay, n’est pas pape, il n’a aucun charisme d’infaillibilité.
La
FSSPX a sans doute été érigée canoniquement à l’origine, mais
après les excommunications fulminées à l’occasion des sacres de 1988,
il serait dérisoire de prétendre qu’elle a aujourd’hui une situation
régulière au regard du droit conciliaire. Sa juridiction est donc
contestée : situation précaire qui amène certains à promouvoir un
« accord pratique »
avec Rome, alors même qu’un tel accord n’a pas de sens tant que les
modernistes du Vatican n’ont pas abjuré leurs erreurs.
Le
problème est que ces modernistes ne se convertissent pas. La conservation
de la foi catholique oblige donc à la résistance et l’heure de Dieu se
fait attendre : la situation précaire de la FSSPX se pérennise.
Or
la FSSPX n’est pas une congrégation ordinaire. Sa mission en effet a
quelque chose d’universel. Cette universalité provient de celle de la
crise qui ébranle l’Eglise entière. Elle découle directement du fait
que cette congrégation a été fondée par un évêque et comprend
aujourd’hui plusieurs évêques. Parce que nous autres fidèles ne
pouvons faire notre salut sans sacrements et que seuls les évêques
peuvent ordonner les prêtres, la FSSPX est appelée par les fidèles du
monde entier.
Cette
universalité avait été parfaitement perçue par Mgr Lefebvre.
Parallèlement au développement de son propre institut, il ordonnait
aussi les prêtres des congrégations qui partageaient son rejet de la
nouvelle religion, sans pour autant exercer une véritable autorité sur
leur fonctionnement. Sous la bienveillante paternité de « l’évêque
de fer », la FSSPX n’avait aucun désir hégémonique, mais
favorisait les fondations et initiatives individuelles, y compris celles
de simples fidèles créant des « centres
de messe » avec le clergé qu’ils trouvaient.
« J’accueille
tout le monde et la sainte Vierge fait le tri » (Mgr Lefevbre)
Ecône
ressemblait à une arche de Noé accueillante. On y voyait de toutes les
couleurs et Mgr Lefebvre disait « j’accueille
tout le monde et la sainte Vierge fait le tri ». Cette « biodiversité »
était non seulement source de richesse mais encore de légitimité, parce
qu’elle marquait l’universalité, c’est-à-dire la catholicité, de
la Tradition. Les renvois du séminaire étaient rares. Le sage évêque
prenait des risques et, bannissant tout arbitraire, admettait au sacerdoce
tous ceux qui en avaient le désir et les capacités. Il répondait ainsi
à l’attente anxieuse des fidèles privés de sacrements. Il
considérait comme ses enfants même ceux qui l’avaient quitté. Ils
furent nombreux, mais Mgr Lefebvre ne s’en troublait pas.
Ainsi
celui qui s’était d’emblée imposé comme l’amiral de la flottille
traditionnelle guidait plus qu’il ne commandait. Et la Tradition
avançait, chacun s’appuyant sur son voisin : les congrégations
les unes sur les autres, les clercs sur les laïcs, les laïcs sur les
clercs.
Mais
le charisme du fondateur s’éloigne, l’environnement change et le
précaire se pérennise. Il faut consolider le canot de sauvetage, afin de
l’empêcher de sombrer avant d’avoir atteint le port. Aucune société
de ce bas monde ne peut éviter les conflits. Logiquement nous avons les
nôtres. De là on ne peut suivre l’Abbé Célier proclamant la
disparition du droit dans la Tradition. Le respect des lois, qui
permettent de dire le droit, est l’unique moyen de conserver la paix. Il
est aussi une garantie indispensable pour les clercs et les fidèles qui
fréquentent la Tradition catholique.
Commençons
par reconnaître la loi applicable. Comment ne pas se soumettre avant tout
au code de droit canonique, cette somme de la sagesse législative de l’Eglise ?
Pas celui teinté de modernisme bien sûr, mais celui rénové par saint Pie X et promulgué par Benoit
XV. Le code de droit canonique s’applique donc à la Tradition
catholique, c’est-à-dire à la FSSPX, aux congrégations et aux
fidèles qui en sont proches. Qui en contrôlera le respect ?
Il
serait absurde de faire juger nos conflits par ceux-mêmes dont nous
contestons l’orthodoxie. Il ne peut y avoir de justice en dehors de la
stricte pureté de la foi. Par conséquent on ne peut qu’exclure les
tribunaux conciliaires et il serait ridicule de prétendre à une
reconnaissance implicite de la Fraternité au travers de son existence en
une procédure disciplinaire. Qui donc prendrons-nous pour arbitres ?
Saint
Paul donne aux évêques d’Ephèse la réponse : « prenez
garde à vous-mêmes, dit-il, et
à tout le troupeau sur lequel l’Esprit-Saint vous a établis évêques,
pour gouverner l’Eglise de Dieu, qu’il a acquise par son sang »
(Actes 20, 28). L’Eglise de Dieu est ainsi régie par les évêques. Or
Mgr Lefebvre les a voulus quatre. Sans doute n’ont-ils apparemment pas
de juridiction. Mais ils ne sont pas pour autant de demi-évêques, de
simples distributeurs de confirmations. La crise de l’Eglise se
pérennisant, l’autorité naturelle de leur fonction ne peut que se
renforcer. Si les évêques de la FSSPX sont soumis au Supérieur
Général quant à l’administration de la FSSPX, toute question
intéressant la Tradition tout entière relève de leur responsabilité
solidaire. Qui niera que le sacerdoce en soit une ? De même, devant
qui porter l’appel d’une décision du Supérieur Général, sinon
devant eux ? Le code de droit canonique (c. 283 sq.) ne prévoit-il
pas la tenue régulière de conciles provinciaux pour traiter des
questions intéressant la province ecclésiastique ? La tradition
catholique ne s’apparente-t-elle pas au moins à une province
ecclésiastique ?
L’universalité
même du rôle de la FSSPX l’oblige à rechercher un certain consensus,
en elle-même tout d’abord car ses membres présentent une grande
diversité, autour d’elle ensuite, c’est-à-dire avec les
congrégations amies et avec les laïcs. Précisément parce que sa
juridiction n’est pas reconnue, elle ne survivrait pas à un
fonctionnement fondé sur le seul principe d’autorité.
Un
débat serein peut et doit s’instaurer
Ces
questions fondamentales appellent une réponse urgente, sous peine de voir
la zizanie paralyser notre action. Il faut affronter les problèmes quand
ils se présentent. Ce grand mouvement de l’Eglise qu’est la Tradition
catholique en a vu d’autres. Il est adulte. Le symposium théologique de
Paris a montré que les diverses tendances de la Tradition pouvaient se
réunir pour traiter de la nouvelle religion. Ne serions-nous pas capables
de discuter de notre propre mode de fonctionnement ? Un débat serein
peut et doit s’instaurer, avec pour objectif de se doter des moyens
indispensables pour dépasser une crise de l’Eglise qui pourrait encore
durer. J’ai confiance qu’avec la grâce de Dieu, la FSSPX et la
Tradition tout entière sauront se donner à elles-mêmes de sages règles
afin de surmonter cette épreuve. |