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Saint Thomas et l’obéissance : un nouveau livre aux éditions Servir

Propos recueillis par l’abbé G. de Tanoüarn

Pacte n°87 - septembre 2004

Delphine Doumic, connaissant vos compétences, je vous avais proposé, il y a déjà plusieurs mois,  de présenter au public une traduction des principaux textes de saint Thomas d’Aquin concernant la vertu d’obéissance. Le travail, mené avec diligence est achevé depuis un moment déjà. Avec votre mari, vous l’avez conçu à la fois comme une introduction à l’œuvre de saint Thomas et à son esprit et comme une invitation à élucider l’un des aspects les plus “antimodernes” de la vie chrétienne, celui de l’obéissance au supérieur. Vous avez tenu, par souci d’exactitude, à fournir une traduction entièrement nouvelle des textes que vous présentez, alors que pour certains extraits, des traductions existaient déjà antérieurement, je pense au texte tiré de la Somme théologique. On dit que le latin de saint Thomas est simple. Quelle difficulté avez-vous éprouvée principalement dans l’exercice de la traduction ?

Il est vrai que le texte de saint Thomas est très clair pour un texte philosophique et qu’il est assez facile à comprendre. Notre docteur utilise un petit nombre de concepts, qu’il agence soigneusement entre eux pour en tirer le maximum de conclusions. On a l’impression que le texte de saint Thomas est une architecture où les pierres, qui sont les mots prennent appui les unes sur les autres, pour s’élever et former un édifice aux proportions amples et équilibrées ; le syllogisme est comme le ciment de cette construction et, ici ou là, apparaissent de petits chapiteaux sculptés qui sont les citations patristiques ou philosophiques, en l’occurrence, dans le traité de l’obéissance, Aristote, saint Grégoire le Grand ou saint Augustin.

Mais si le texte de saint Thomas est (relativement) facile à comprendre, il apparaît comme difficile à exprimer dans une autre langue que le latin. C’est le cas de dire que la traduction est toujours une trahison ! Il faut traduire chaque concept, en essayant tout au long du texte de conserver une cohérence d’ensemble. Et cela doit se faire, sans tomber dans une sorte de sabir ou de charabia ! Dans cette traduction nouvelle, j’ai tenté de proposer un nouveau compromis entre l’élégance et la fidélité au texte original. Et, en m’essayant à trouver les approximations les plus parlantes pour rendre en français la richesse du latin, je pensais aux “belles infidèles” du XVIIème siècle. A l’époque, on n’hésitait pas à développer un mot par une périphrase : on brodait, pour mieux manifester la richesse du sens, tout en mettant le latin dans la musique du français.. Nous ne pouvons plus faire cela aujourd’hui, mais je me suis efforcée de transmettre quelque chose de la saveur - toujours plus forte - du texte latin. Pour saint Thomas, les mots ont un poids philosophique, historique ou étymologique très fort. Il faut en tenir compte dans la traduction que l’on propose !

Pourriez-vous dire quelques mots du terme auctoritas. Qu’est-ce que l’autorité pour les Latins ?

Ah ! ça, c’est un mot extrêmement important et typiquement romain. On n’en trouve pas l’équivalent en grec. Auctor, c’est avant tout le garant, selon l’un des sens du verbe augere : garantir. L’autorité pour le Latin, correspond à une garantie. Et quelle est cette garantie, sinon la puissance d’une personne, son charisme ? L’autorité est le propre de celui qui se tient debout et qui “augmente”, selon le deuxième sens du verbe, qui fait croître ce qui lui est soumis, qui donne à toute chose de prendre sa véritable stature. Aliquem augere signifie rehausser quelqu’un, l’aider à se développer - et non pas le tenir sous sa coupe ! Dans cette perspective, l’autorité n’est pas une limite mais un bienfait. Celui qui possède l’autorité n’est pas seulement celui de qui émanent des “préceptes”. Fort des appuis qu’il peut prendre sur certains principes solides, il diffuse un bien qu’il porte, qu’il réalise d’abord en lui-même. Et, dans la mesure où il est lui-même soumis à Dieu, il diffuse un peu de l’être divin.

Comment situer l’obéissance chez saint Thomas ?

L’obéissance, chez saint Thomas, se range sous la vertu cardinale de justice, dans la mesure où obéir c’est participer à l’ordre (ordo) du monde. La notion d’ordre (ordo) et de conformité à l’ordre est fondamentale. C’est à travers elle qu’étudiant l’obéissance, on entre à plein dans la pensée de saint Thomas d’Aquin. Dans cette doctrine, rien n’est trop rigide et chacun a sa place, comme un être vivant et non comme un cube dans une construction. On sait combien saint Thomas a toujours souhaité donner toute leur place à ce qu’il nommait les causes secondes, c’est-à-dire les causes matérielles et plus largement toutes les causes créées. L’infinité de Dieu et de la causalité divine qui fait sortir l’être du néant ne détruit pas le régime propre de la création et de la causalité créée : au contraire, elle l’établit.

Qu’est-ce qui vous frappe particulièrement dans cet enseignement sur l’obéissance ?

Si je dois répondre immédiatement, je dirais : l’importance de la prudence chez les supérieurs et le respect pour chacun. On ne peut pas diriger tout le monde comme se dirige un bataillon ! J’ai été surprise de constater chez saint Thomas d’Aquin la liberté de manœuvre dont jouissent ceux qui sont placés dans un rôle de subordonné. Cela peut surprendre chez lui : c’était pourtant un moine astreint au voeu d’obéissance. Cela dit, il ne s’agit pas d’introduire une apologie du désordre, au contraire ! Il s’agit de remettre à sa vraie place la relation entre Dieu et chaque âme. Ce n’est pas le supérieur qui peut combler l’âme ou simplement la remplir. Le Cantique des Cantiques chante sous une forme très forte cette relation personnelle de l’âme à Dieu, cette vocation particulière de chaque âme.

L’obéissance selon saint Thomas d’Aquin, de Jacques et Delphine HENRI, aux Editions Servir

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