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Mgr Lacrampe : un évêque ou plutôt ce qu’il en reste

Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°87 - septembre 2004

On sait dans quelles conditions et pour quels résultats, les catéchismes devinrent des « parcours ». Le mot est repris par l’archevêque de Besançon dans le prologue d’un petit livre de méditations Marche avec ton Dieu. Selon André Lacrampe « chacun vit son parcours »  et de ce fait  « peut faire le récit de l’expérience humaine de sa marche spirituelle ». Nous sommes placés dès le début dans la perspective moderniste du flou d’une conscience individuelle accrochée à des lambeaux de religiosité. Une spiritualité sans surnaturel, un bric à brac de piété, une brocante de dévotion flottant dans une sorte d’imaginaire de la charité. Le salut se situe dans « le chemin du développement de l’homme et de tout homme ». La vie naturelle n’est pas distinguée de la vie surnaturelle, la perspective des rapports de Dieu et de l’homme demeure terriblement humaine.

Selon une légende indienne, l’archevêque propose « d’entrer en contact avec l’invisible ». Souhait respectable en matière de vie intérieure et déterminant un triple regard : le regard sur le Christ, puis « un regard sauveur qui construit l’homme » et se prolonge sur l’autre pour « regarder tout homme comme un frère », enfin un regard sur l’Eglise et « son histoire parfois tragique », se recommandant d’un pasteur protestant et d’Antoine de Saint-Exupéry pour espérer la venue d’une Eglise invisible.

Comment concilier fidélité et ouverture ? « L’Evangile invite au déplacement », mais, reconnaît André Lacrampe, c’est difficile à accorder avec la fidélité et « le monde actuel ne nous y aide guère ». Il y a cependant un chemin de vérité jalonné par la prière, la vie sacramentelle et le témoignage. Les trappistes de Tibérine ont vécu ce témoignage jusqu’au martyre. Le témoin du Christ est « le garant d’un avenir, un chercheur d’avenir, un quêteur d’espérance, un marcheur ».

Dernière question, qui a fait couler beaucoup d’encre : « En quoi l’Evangile peut-il inspirer la vie politique » ? N’allons pas y chercher de « solutions adaptées », cela «surtout à notre époque » ; Pour l’ancien prélat de la Mission de France, l’Evangile se contente de donner « des motifs de s’engager » et nous conduit sans cesse à réviser « nos jugements ou nos choix ». Pas de référence à l’enseignement magistériel, aux encycliques, « nous vivons dans un monde en mutation permanente, dans un monde nouveau, toujours à décrypter, et aux évolutions profondes ». La conscience seule régit l’engagement du Chrétien soucieux de savoir « comment notre implication dans la société peut-elle devenir une profonde expérience de foi. »

La perspective clef de l’Evangile : «Cherchez d’abord le royaume des Cieux et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît » est totalement inversée. L’auteur pense à une sorte de « bien vivre » d’où sortiraient l’unité et la fraternité ; c’est, on s’en souvient, le vieux rêve communiste, le salut à l’envers. Selon lui, la tentation à proscrire est celle du refuge dans la peur, « dans la volonté crispée que rien ne change », ou encore « la tentation au repli identitaire qui exclut l’autre ». Vatican II s’est tourné vers les « signes des temps », cherchant « les lieux de notre rencontre avec Dieu ». L’évêque est là « ni à distance, ni en retrait, ni en surplomb ». Il est le chrétien solidaire en quête d’attente, capable du « courage de contredire les hommes, éventuellement, sur la base d’un amour lucide ».

Entre le monde « du oui à Dieu » et celui «du non à Dieu », l’Eglise a son mot à dire car « le relativisme éthique est un danger pour la démocratie ». Son rôle : « rappeler sans cesse le droit de l’homme à être homme ». Il n’y a pas qu’une seule manière de mettre en œuvre ce beau programme, d’où la « perpétuelle évolution » de la doctrine sociale de l’Eglise voulue par Monseigneur Lagrange.

Le chrétien n’existe que par le dialogue, qui, seul, « brise les peurs, crée la confiance, ouvre la liberté ». Un dialogue « avec les hommes et les femmes de ce temps, nos fidèles, les frères des autres religions, les incroyants ». « L’après 11 septembre » donne un ton politique à un dialogue salvateur. Depuis, se réjouit Mgr Lacrampe, « la question de l’engagement religieux ne peut plus rester confinée dans le cadre étroit de la confession privée ou de la pratique du culte. Le dialogue interreligieux nous pousse à reconsidérer nos a priori, à aller plus loin dans l’expérience de notre foi. »

Faudra-t-il donc dialoguer avec le péché ? L’évêque répond : la compréhension du péché oscille entre quelques-uns voyant « le péché partout » et le grand nombre le considérant comme « une notion dépassée ». En réalité, selon Mgr Lacrampe, le péché concerne la conscience. L’homicide par exemple est « la non-reconnaissance à l’autre de son droit à la vie, de son droit à être différent ». Le mal moral se combat plus par la remise en valeur de la conscience individuelle que par le rappel « autoritaire des règles morales ». La vie chrétienne demande à « discerner ses propres complicités avec le mal ». Quant à la conversion, ce n’est pas une solution toute faite. Elle affronte toujours deux tentations : « celle du dogmatisme : j’estime détenir toute la vérité » et celle du pharisaïsme « je juge tout par rapport à moi ». Plutôt que de vivre une conversion qui nous enfermerait en nous-mêmes, et qui, pour l’évêque, demeurera toujours quelque chose d’un peu suspect, il faut s’ouvrir à la réconciliation. L’ouverture à la miséricorde de Dieu et le sacrement de pénitence sont des chemins du pardon, on rejoint la « notion du progrès de l’humanité. L’archevêque aurait pu profiter de ces considérations, pour indiquer le rôle de la grâce, sa gratuité et les conditions de son efficacité. Mais il pense davantage à une réconciliation avec notre environnement et avec la société humaine. Il en trouve la source dans le «Décalogue d’Assise pour la paix » de Jean-Paul II en 2002. Texte où le nom de Dieu apparaissait seulement dans l’engagement à ne pas faire « la guerre au nom de Dieu ou de la religion ». La paix de l’Archevêque «se construit par nos efforts d’accueil, de tolérance, de pardon, de respect des autres et de convivialité ». Un programme usé à force d’avoir été entendu…

Mgr André Lacrampe, archevêque de Besançon, Marche avec ton Dieu, Paris, médiaspaul, 2004, 95 pages, 12,50 euros.