On
sait dans quelles conditions et pour quels résultats, les catéchismes
devinrent des « parcours ». Le mot est repris par l’archevêque de
Besançon dans le prologue d’un petit livre de méditations Marche
avec ton Dieu. Selon André
Lacrampe « chacun vit son
parcours » et de ce fait « peut faire le récit
de l’expérience humaine de sa marche spirituelle ». Nous sommes
placés dès le début dans la perspective moderniste du flou d’une
conscience individuelle accrochée à des lambeaux de religiosité. Une
spiritualité sans surnaturel, un bric à brac de piété, une brocante de
dévotion flottant dans une sorte d’imaginaire de la charité. Le salut
se situe dans « le chemin du développement de l’homme et de tout homme ».
La vie naturelle n’est pas distinguée de la vie surnaturelle, la
perspective des rapports de Dieu et de l’homme demeure terriblement
humaine.
Selon
une légende indienne, l’archevêque propose «
d’entrer en contact avec l’invisible ». Souhait respectable en
matière de vie intérieure et déterminant un triple regard : le
regard sur le Christ, puis « un
regard sauveur qui construit l’homme » et se prolonge sur l’autre
pour « regarder tout homme comme un frère », enfin un regard sur
l’Eglise et « son histoire parfois tragique », se recommandant d’un pasteur protestant et d’Antoine de Saint-Exupéry pour espérer la venue d’une Eglise
invisible.
Comment
concilier fidélité et ouverture ? «
L’Evangile invite au déplacement », mais, reconnaît André
Lacrampe, c’est difficile à accorder avec la fidélité et «
le monde actuel ne nous y aide guère ». Il y a cependant un chemin
de vérité jalonné par la prière, la vie sacramentelle et le
témoignage. Les trappistes de Tibérine ont vécu ce témoignage jusqu’au
martyre. Le témoin du Christ est « le
garant d’un avenir, un chercheur d’avenir, un quêteur d’espérance,
un marcheur ».
Dernière
question, qui a fait couler beaucoup d’encre : « En quoi l’Evangile peut-il inspirer la vie politique » ?
N’allons pas y chercher de « solutions
adaptées », cela «surtout à
notre époque » ; Pour l’ancien prélat de la Mission de
France, l’Evangile se contente de donner « des
motifs de s’engager » et nous conduit sans cesse à réviser « nos jugements ou nos choix ». Pas de référence à l’enseignement
magistériel, aux encycliques, «
nous vivons dans un monde en mutation permanente, dans un monde nouveau,
toujours à décrypter, et aux évolutions profondes ». La conscience
seule régit l’engagement du Chrétien soucieux de savoir « comment
notre implication dans la société peut-elle devenir une profonde
expérience de foi. »
La
perspective clef de l’Evangile : «Cherchez
d’abord le royaume des Cieux et sa justice et le reste vous sera donné
par surcroît » est totalement inversée. L’auteur pense à une
sorte de « bien vivre » d’où
sortiraient l’unité et la fraternité ; c’est, on s’en
souvient, le vieux rêve communiste, le salut à l’envers. Selon lui, la
tentation à proscrire est celle du refuge dans la peur, «
dans la volonté crispée que rien ne change », ou encore «
la tentation au repli identitaire qui exclut l’autre ». Vatican II
s’est tourné vers les « signes
des temps », cherchant « les
lieux de notre rencontre avec Dieu ». L’évêque est là «
ni à distance, ni en retrait, ni en surplomb ». Il est le chrétien
solidaire en quête d’attente, capable du « courage
de contredire les hommes, éventuellement, sur la base d’un amour lucide
».
Entre
le monde « du oui à Dieu »
et celui «du non à Dieu », l’Eglise
a son mot à dire car « le
relativisme éthique est un danger pour la démocratie ». Son rôle :
« rappeler sans cesse le droit
de l’homme à être homme ». Il n’y a pas qu’une seule manière
de mettre en œuvre ce beau programme, d’où la « perpétuelle
évolution » de la doctrine sociale de l’Eglise voulue par
Monseigneur Lagrange.
Le
chrétien n’existe que par le dialogue, qui, seul, « brise les peurs, crée la confiance, ouvre la liberté ». Un
dialogue « avec les hommes et les
femmes de ce temps, nos fidèles, les frères des autres religions, les
incroyants ». « L’après 11
septembre » donne un ton politique à un dialogue salvateur. Depuis,
se réjouit Mgr Lacrampe, « la
question de l’engagement religieux ne peut plus rester confinée dans le
cadre étroit de la confession privée ou de la pratique du culte. Le
dialogue interreligieux nous pousse à reconsidérer nos a priori, à
aller plus loin dans l’expérience de notre foi. »
Faudra-t-il
donc dialoguer avec le péché ? L’évêque répond : la
compréhension du péché oscille entre quelques-uns voyant « le
péché partout » et le grand nombre le considérant comme « une
notion dépassée ». En réalité, selon Mgr Lacrampe, le péché
concerne la conscience. L’homicide par exemple est « la
non-reconnaissance à l’autre de son droit à la vie, de son droit à
être différent ». Le mal moral se combat plus par la remise en
valeur de la conscience individuelle que par le rappel «
autoritaire des règles morales ». La vie chrétienne demande à
« discerner ses propres complicités avec le mal ». Quant à la
conversion, ce n’est pas une solution toute faite. Elle affronte
toujours deux tentations : «
celle du dogmatisme : j’estime détenir toute la vérité » et
celle du pharisaïsme « je juge
tout par rapport à moi ». Plutôt que de vivre une conversion qui
nous enfermerait en nous-mêmes, et qui, pour l’évêque, demeurera
toujours quelque chose d’un peu suspect, il faut s’ouvrir à la
réconciliation. L’ouverture à la miséricorde de Dieu et le sacrement
de pénitence sont des chemins du pardon, on rejoint la « notion du
progrès de l’humanité. L’archevêque aurait pu profiter de ces
considérations, pour indiquer le rôle de la grâce, sa gratuité et les
conditions de son efficacité. Mais il pense davantage à une
réconciliation avec notre environnement et avec la société humaine. Il
en trouve la source dans le «Décalogue d’Assise pour la paix » de
Jean-Paul II en 2002. Texte où le nom de Dieu apparaissait seulement dans
l’engagement à ne pas faire « la
guerre au nom de Dieu ou de la religion ». La paix de l’Archevêque
«se construit par nos efforts d’accueil, de tolérance, de pardon, de
respect des autres et de convivialité ». Un programme usé à force d’avoir
été entendu…
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