Jacques
Duquesne, ancien collaborateur de l’hebdomadaire Le Point, est aujourd’hui
président du directoire d’un autre magazine à grande diffusion : L’Express.
Autant dire que sa place dans les médias est solidement assurée. Il a
des états de service, un style aisé, il est capable, de seconde main, d’écrire
à peu près sur tout. Ce catholique déclaré s’est donc tout
naturellement intéressé à Jésus. L’ouvrage, qui porte ce titre en
toute modestie, a été vendu à 400 000 exemplaires : un grand succès d’édition
en 1994 et 1995. Un véritable Pactole pour l’auteur ! Aujourd’hui,
Jacques Duquesne remet le couvert avec un ouvrage tout aussi sobrement
intitulé Marie. Il espère sans doute rééditer son succès d’il y a
dix ans.
Dans
chacun de ces deux ouvrages, Duquesne, qui se présente en fils soumis de
l’Eglise catholique et romaine, a une obsession : la virginité de Marie.
Pour lui, ce dogme est inadmissible. Il y revient bien sûr avec force
détails dans son dernier opus. On peut même dire que dans son livre sur
Marie, c’est le seul sujet qui ait vraiment retenu son attention. Il y
va, pense-t-il, de la dignité de la femme, il y va de la crédibilité de
Marie vis-à-vis de toutes les femmes d’aujourd’hui.
Est-il
surprenant qu’un catholique branché et médiatique en vienne là ?
Malheureusement non. Les exemples abondent et de telles négations du
dogme et de la substance de la foi sont aujourd’hui monnaie courante
chez les catholiques eux-mêmes. Il n’y aurait pas lieu, en temps
ordinaire, de s’arrêter sur cette négation, qui n’est hélas pas
très neuve !
Ce
qui est surprenant, c’est le contraste que l’on observe dans ce livre
entre le besoin d’argumenter et la faiblesse de l’argumentation qui
est donnée. Les procédés de Duquesne argumenteur tiennent davantage de
la rhétorique et de la sophistique que de la logique et d’une lecture
objective des textes sacrés. Il veut prouver que Marie n’est pas Vierge
lorsqu’elle met au monde le Messie. Il commence donc par affaiblir les
textes sacrés qui l’affirment pourtant formellement, tant dans saint
Matthieu que dans saint Luc : les versets qui sont trop affirmatifs ont du
être ajoutés assure-t-il (p. 55). Et pourtant, rien dans la Tradition
manuscrite ne permet de soutenir une telle thèse, mais un expert, le
Père Boismard (1), dominicain, l’affirme. Cela doit donc être vrai.
Deuxième
temps : Duquesne ridiculise la position traditionnelle en faisant
semblant de prendre au pied de la lettre l’idée de saint Augustin,
selon laquelle Marie a conu Jésus « par l’oreille ». Le
docteur d’Hippone veut dire que c’est en acceptant la parole de Dieu
qui lui était adressée par l’ange que Marie, par la toute puissance du
Saint Esprit a conu dans son sein. Mais Duquesne ne l’entend pas ainsi.
Pour lui, ces termes renvoient uniquement à des images (images de quoi ?
On ne nous le dit pas). Et par conséquent, ils n’ont aucune portée
explicative : « Les termes employés par Luc peuvent être compris
sans connotation sexuelle ». Si encore le Saint Esprit avait été
mis à contribution sexuellement, semble dire notre zélé, on tiendrait l’explication,
mais cela n’est pas le cas : seuls « quelques poètes romantiques
ont évoqué le pigeon divin descendant sur Marie pour la féconder. Mais
à bien lire Matthieu et Luc on ne trouve pas chez eux la moindre allusion
à une union sexuelle de Marie. Ni à une matérialisation, une
hominisation quelconque de l’Esprit Saint ». Pour notre auteur,
les choses sont simples : pas d’acte sexuel, pas de conception ! Comme l’écrit
un prêtre, l’abbé Reneaume, dans Ouest France du 23 août, « Jacques
Duquesne interdit à Dieu de faire jaillir la vie humaine de son Fils dans
le sein de la Vierge Marie par l’action du Saint Esprit ».
Une
fois cet interdit jeté sur toute dimension surnaturelle de la conception
et de l’enfantement de Jésus, une fois les textes sacrés déclarés
douteux et récusés, que reste-t-il à notre critique ? Une suggestion :
« Et si l’on se tournait vers la génétique pour y voir plus
clair ». C’est la génétique qui va nous révéler les modalités
du mystère de l’Incarnation ! « Un homme doit toujours son
chromosome Y à son père », lance Duquesne ; et il enchaîne :
« Si la partie paternelle ne vient pas de Joseph mais de Marie seule,
nous nous trouvons dans une situation de parthénogenèse ; mais dans ce
cas, extrêmement rare, Jésus serait une fille » (p. 57). Reste
donc en bonne logique deux solutions à notre cuistre théologien et
apprenti mariologue : soit la partie paternelle vient du Saint
Esprit, soit elle vient de Joseph. Si elle vient de Joseph, Marie n’est
pas Vierge et c’est bien ce que l’on veut démontrer. Mais si elle
vient du Saint Esprit ? La bêtise nuisible de Duquesne se déchaîne, au
moment où il cite de travers saint Thomas d’Aquin (2).
Si
l’on résume l’argumentation, qu’il présente de manière peu
claire, Duquesne veut dire que Marie n’est pas Vierge et que la
partie paternelle (le fameux chromosome Y) vient bien de Joseph.
Sinon, ajoute-t-il, le Saint Esprit serait lui-même incarné ou encore le
Saint Esprit aurait un fils humain, qui serait une quatrième personne
dans la Trinité.
A
vouloir trop bien faire, Duquesne parvient surtout à faire l’âne
devant les Mystères les plus sacrés. On ne peut même pas dire que c’est
pour avoir du foin. On pourrait sans doute néanmoins parler d’oseille...
Au lieu d’accepter clairement la possibilité d’une intervention
surnaturelle de Dieu, déjà auteur de la nature, notre auteur tombe dans
des bidouillages théologiques autour de l’acte sexuel sensément
nécessaire à Dieu lui-même pour que son Fils s’incarne dans le sein
de Marie. Et il finit par nous cuisiner une véritable bouillie pour chat.
Son christianisme est décidément très sexuel, mais le moins que l’on
puisse dire est qu’il n’est pas attirant !
1.
Le Père Boismard, membre important de l’Ecole Biblique de Jérusalem,
est mort récemment dans son Couvent en cette ville. Mais il refusait de
dire la messe depuis des années.
2.
Auquel manifestement il n’a rien compris puisqu’il fait dire à Thomas
: « L’Esprit-Saint n’a pas produit la nature humaine dans le
Christ à propos de sa propre substance » alors qu’il fallait lire
bien sûr : « L’Esprit Saint n’a pas produit la nature humaine
à partir de sa propre substance » |