La
visite « ad Limina » des évêques français à Rome, tant du côté de
l’épiscopat que du côté du pape a mis la crise du sacerdoce au centre
des discussions (cf. notre précédente chronique). Crise d’effectif
pour les uns, crise d’identité pour Jean Paul II, il convient de
vérifier ces analyses à la base. Le livre « Confidences : cinq prêtres
dans l’histoire de 1944 à nos jours » peut y contribuer. Préfacés
par Jean Delumeau, les entretiens réunis par Claude Goure cherchent non
à mettre « en scène des révoltés et des aigris » mais des prêtres
ordinaires, fidèles à leur sacerdoce et aux réformes conciliaires.
Cependant tous « ont connu les désillusions qui ont suivi Vatican II ».
Aujourd’hui dans « l’épreuve qui continue », ils affrontent « la
marginalisation du prêtre dans la société ». Sans regret de leur
choix passé, ils « sont inquiets pour demain ». Leurs
témoignages, sans illusion sur « un prétendu réveil religieux »,
cèdent malheureusement à une facilité habituelle : ils attribuent à
mai 1968 l’origine du désordre ecclésial. En même temps cet
échantillon de rescapés aspire à de nouveaux changements et à des
évolutions radicales. Nous pouvons partager leur angoisse de voir les
prêtres réduits à « une espèce en voie de disparition dans un monde d’autant
plus déchristianisé qu’il est prêt à croire à tout, parfois à n’importe
quoi ». Nous avons retenu ce livre comme représentatif de la «
génération Vatican II », les cinq prêtres interrogés ont entre
soixante-quatre ans et quatre-vingt-quatre ans. Génération stérile mais
acharnée bien souvent contre « la génération saint Nicolas ».
Curé
de Layrac, Michel Patureau souffre : « Nous les vieux prêtres qui sommes
restés fidèles au poste », nous sommes rendus responsables du
déclin de l’Eglise. Pourtant l’enfant qui jouait à célébrer la
messe, devenu prêtre pour apporter la grâce des sacrements a voulu « s’immerger
dans la vie réelle » pour rejoindre les hommes. Désireux d’échapper
à « l’écran d’un statut et d’une doctrine », il supporte mal la
dégradation considérable du « statut social du prêtre ». Jeune
vicaire, jeté dans la JOC, il apprend « qu’on inaugure une nouvelle
méthode de catéchisme ». Son curé lui dit : « Vas-y », il y
court et revenu « je veux que tu commences à mettre en route ce nouveau
catéchisme ». L’évêque en rajoute « ça m’intéresse beaucoup ».
Bilan maintenant : « Les parents n’ont quasiment plus aucune
connaissance religieuse ». La conclusion glisse dans l’amertume : «
Nous voilà contraints de reprendre une catéchèse telle qu’elle se
pratiquait jadis ». De Nantes, Gérard Naslin vit « la baisse constante
de la fréquentation du catéchisme ». Entre-temps, c’était 68 et
Michel Patureau l’avoue : « Nous y sommes allés assez fort » au point
« que des paroissiens quittent l’Eglise en plein milieu du sermon ».
Il ne le regrette pas, ces années étaient « porteuses dans l’Eglise d’une
grande espérance ». Il se souvient des petits-déjeuners de la période
conciliaire, le curé et ses vicaires écoutant la radio et «
applaudissant vigoureusement » le vote des décrets. De bons souvenirs et
des acquis : réforme liturgique, liberté religieuse, dialogue
interreligieux, « enracinement juif » ; mais à l’entendre « cette
grande espérance s’est peu à peu estompée ». Actuellement, selon
lui, les adversaires du concile semblent l’emporter. A qui la faute ? :
« Il n’eût pas fallu céder, quitte à prendre le risque de schisme
». Devant un intégrisme proche de l’intégrisme musulman, on tremble
dans les presbytères « si j’exagère c’est parce que j’ai peur ».
Au lendemain du concile, Gérard Naslin, un nantais de soixante-quatre ans
qui trouvait pesante la messe quotidienne, l’oraison et les complies du
séminaire, se réjouit d’abandonner le latin et la soutane. Il
préfère les réunions : « J’aime rencontrer les autres, les écouter,
me confronter à eux ». S’il se présente des candidats au mariage, il
est triste de n’avoir « que le sacrement à leur proposer ». Pour les
divorcés remariés l’intransigeance disciplinaire de l’Eglise l’empêche
d’organiser autre chose qu’une cérémonie de bénédiction. Il en
profite pour résumer la pastorale conciliaire : « C’est à l’Eglise
et à moi de nous adapter à eux ». On retrouve chez Michel Patureau ce
primat de la conscience, une des clefs de Vatican II. Pour cet
assomptioniste, entre les exigences du monde et les recommandations du
magistère, la conscience seule peut trancher « c’est à vous de
prendre vos responsabilités » conclut-il à l’adresse des fidèles du
rang que nous sommes. Joseph Guilbard, curé en Poitou, a fait après un
parcours classique la découverte du Renouveau charismatique. Dès sept
ans, ce garçon d’une famille paysanne de douze enfants songe au
sacerdoce : « Je ne me suis jamais vu ailleurs, ni faisant autre chose
». Le concile à peine ouvert, nous sommes en 1963, le supérieur du
séminaire convoque une assemblée générale pour voir les séminaristes
définir « les grandes priorités » qu’ils désiraient vivre. Fini le
temps où « nous avions le sentiment parfois d’étouffer de tant d’étroitesse
d’esprit », le « séminaire formel » est terminé. Taizé sert d’avenir.
A Châtellerault, il se revoit « en train de célébrer la messe en
civil, avec les trois autres prêtres, autour de la table de la cuisine
». Léon Burdin approche les quatre-vingts ans. A trois ou quatre ans,
priant avec sa mère, une conviction l’anime « le tabernacle était
habité ». Avant de devenir jésuite, il passe au séminaire « troquer
mes habits civils contre cette noire et insupportable soutane ».
Aumônier d’étudiants à Nice, il vit 1968 comme « un grand moment de
liberté et de libération ». Plus tard, nommé à Gustave Roussy, grand
centre de traitement du cancer, il ne veut pas ressembler aux vieux
aumôniers d’hôpitaux. Il place au début de cet apostolat « un geste
symbolique » ; « ma première décision fut d’aller m’acheter un
costume ! un beau costume, classique, rayé marron ». Pensant par là «
camper au cœur de l’hôpital le prêtre que je voulais être ».
Michel
Patureau se considère « non plus comme curé mais comme administrateur
religieux du canton ». l’Eglise de demain ce sont, vieux rêve de
curé, les laïcs. Au journaliste lui demandant s’il n’y a pas avec
lui un autre prêtre, il répond : « Vous êtes peut-être en face du
dernier ici ! »
Paul
Winninger évoque avec nostalgie la génération marquée par la lecture
de « France, pays de Mission », œuvre de deux aumôniers de la JOC.
Entendant ce plaidoyer pour « un nouveau type de ministère hors des
structures classiques », il s’est écrié avec ses confrères : « Nous
serons les prêtres de cette Eglise-là. »
L’Eglise
« des conférences, des stages, des cessions », comme dit Michel
Patureau. Eglise d’un jour dont le souvenir sera vite oublié dans l’Eglise
de toujours. |