Accueil
Articles en ligne

Centre St Paul

MetaBlog

TradiNews

Vu d’en bas

Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°86 - mai 2004

[Note du webmaster: deux encadrés complètent cet article: Crise des vocations et célibat et « J’aime célébrer »]

La visite « ad Limina » des évêques français à Rome, tant du côté de l’épiscopat que du côté du pape a mis la crise du sacerdoce au centre des discussions (cf. notre précédente chronique). Crise d’effectif pour les uns, crise d’identité pour Jean Paul II, il convient de vérifier ces analyses à la base. Le livre « Confidences : cinq prêtres dans l’histoire de 1944 à nos jours » peut y contribuer. Préfacés par Jean Delumeau, les entretiens réunis par Claude Goure cherchent non à mettre « en scène des révoltés et des aigris » mais des prêtres ordinaires, fidèles à leur sacerdoce et aux réformes conciliaires. Cependant tous « ont connu les désillusions qui ont suivi Vatican II ». Aujourd’hui dans « l’épreuve qui continue », ils affrontent « la marginalisation du prêtre dans la société ». Sans regret de leur choix  passé, ils « sont inquiets pour demain ». Leurs témoignages, sans illusion sur « un prétendu réveil religieux », cèdent malheureusement à une facilité habituelle : ils attribuent à mai 1968 l’origine du désordre ecclésial. En même temps cet échantillon de rescapés aspire à de nouveaux changements et à des évolutions radicales. Nous pouvons partager leur angoisse de voir les prêtres réduits à « une espèce en voie de disparition dans un monde d’autant plus déchristianisé qu’il est prêt à croire à tout, parfois à n’importe quoi ». Nous avons retenu ce livre comme représentatif de la « génération Vatican II », les cinq prêtres interrogés ont entre soixante-quatre ans et quatre-vingt-quatre ans. Génération stérile mais acharnée bien souvent contre « la génération saint Nicolas ».

Curé de Layrac, Michel Patureau souffre : « Nous les vieux prêtres qui sommes restés fidèles au poste », nous sommes  rendus responsables du déclin de l’Eglise. Pourtant l’enfant qui jouait à célébrer la messe, devenu prêtre pour apporter la grâce des sacrements a voulu « s’immerger dans la vie réelle » pour rejoindre les hommes. Désireux d’échapper à « l’écran d’un statut et d’une doctrine », il supporte mal la dégradation considérable du « statut social du prêtre ». Jeune vicaire, jeté dans la JOC, il apprend « qu’on inaugure une nouvelle méthode de catéchisme ». Son curé lui dit : « Vas-y  », il y court et revenu « je veux que tu commences à mettre en route ce nouveau catéchisme ». L’évêque en rajoute « ça m’intéresse beaucoup ». Bilan maintenant : « Les parents n’ont quasiment plus aucune connaissance religieuse ». La conclusion glisse dans l’amertume : « Nous voilà contraints de reprendre une catéchèse telle qu’elle se pratiquait jadis ». De Nantes, Gérard Naslin vit « la baisse constante de la fréquentation du catéchisme ». Entre-temps, c’était 68 et Michel Patureau l’avoue : « Nous y sommes allés assez fort » au point « que des paroissiens quittent l’Eglise en plein milieu du sermon ». Il ne le regrette pas, ces années étaient « porteuses dans l’Eglise d’une grande espérance ». Il se souvient des petits-déjeuners de la période conciliaire, le curé et ses vicaires écoutant la radio et « applaudissant vigoureusement » le vote des décrets. De bons souvenirs et des acquis : réforme liturgique, liberté religieuse, dialogue interreligieux, « enracinement juif » ; mais à l’entendre « cette grande espérance s’est peu à peu estompée ». Actuellement, selon lui, les adversaires du concile semblent l’emporter. A qui la faute ? : « Il n’eût pas fallu céder, quitte à prendre le risque de schisme ». Devant un intégrisme proche de l’intégrisme musulman, on tremble dans les presbytères « si j’exagère c’est parce que j’ai peur ». Au lendemain du concile, Gérard Naslin, un nantais de soixante-quatre ans qui trouvait pesante la messe quotidienne, l’oraison et les complies du séminaire, se réjouit d’abandonner le latin et la soutane. Il préfère les réunions : « J’aime rencontrer les autres, les écouter, me confronter à eux ». S’il se présente des candidats au mariage, il est triste de n’avoir « que le sacrement à leur proposer ». Pour les divorcés remariés l’intransigeance disciplinaire de l’Eglise l’empêche d’organiser autre chose qu’une cérémonie de bénédiction. Il en profite pour résumer la pastorale conciliaire : « C’est à l’Eglise et à moi de nous adapter à eux ». On retrouve chez Michel Patureau ce primat de la conscience, une des clefs de Vatican II. Pour cet assomptioniste, entre les exigences du monde et les recommandations du magistère, la conscience seule peut trancher « c’est à vous de prendre vos responsabilités » conclut-il à l’adresse des fidèles du rang que nous sommes. Joseph Guilbard, curé en Poitou, a fait après un parcours classique la découverte du Renouveau charismatique. Dès sept ans, ce garçon d’une famille paysanne de douze enfants songe au sacerdoce : « Je ne me suis jamais vu ailleurs, ni faisant autre chose ». Le concile à peine ouvert, nous sommes en 1963, le supérieur du séminaire convoque une assemblée générale pour voir les séminaristes définir « les grandes priorités » qu’ils désiraient vivre. Fini le temps où « nous avions le sentiment parfois d’étouffer de tant d’étroitesse d’esprit », le « séminaire formel » est terminé. Taizé sert d’avenir. A Châtellerault, il se revoit « en train de célébrer la messe en civil, avec les trois autres prêtres, autour de la table de la cuisine ». Léon Burdin approche les quatre-vingts ans. A trois ou quatre ans, priant avec sa mère, une conviction l’anime « le tabernacle était habité ». Avant de devenir jésuite, il passe au séminaire « troquer mes habits civils contre cette noire et insupportable soutane ». Aumônier d’étudiants à Nice, il vit 1968 comme « un grand moment de liberté et de libération ». Plus tard, nommé à Gustave Roussy, grand centre de traitement du cancer, il ne veut pas ressembler aux vieux aumôniers d’hôpitaux. Il place au début de cet apostolat « un geste symbolique » ; « ma première décision fut d’aller m’acheter un costume ! un beau costume, classique, rayé marron ». Pensant par là « camper au cœur de l’hôpital le prêtre que je voulais être ».

Michel Patureau se considère « non plus comme curé mais comme administrateur religieux du canton ». l’Eglise de demain ce sont, vieux rêve de curé, les laïcs. Au journaliste lui demandant s’il n’y a pas avec lui un autre prêtre, il répond : « Vous êtes peut-être en face du dernier ici ! »

Paul Winninger évoque avec nostalgie la génération marquée par la lecture de « France, pays de Mission », œuvre de deux aumôniers de la JOC. Entendant ce plaidoyer pour « un nouveau type de ministère hors des structures classiques », il s’est écrié avec ses confrères : « Nous serons les prêtres de cette Eglise-là. »

L’Eglise « des conférences, des stages, des cessions », comme dit Michel Patureau. Eglise d’un jour dont le souvenir sera vite oublié dans l’Eglise de toujours.

Claude Goure, Confidences, cinq prêtres dans l’histoire de 1944 à nos jours. Préface de Jean Delumeau, Paris, Bayard, avril 2004, 203 pages, 18 euros.