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Jean Paul II, pape dialectique

Joël Prieur

Pacte n°86 - mai 2004

Cela fait maintenant plus d’un quart de siècle qu’il dirige pour le meilleur et pour le pire la barque de saint Pierre. Jean Paul II est devenu pape le 16 octobre 1978, il a écrit des dizaines de milliers de pages, il a parcouru des centaines de milliers de kilomètres, comme s’il voulait s’approcher de tous et de chacun. Et pourtant, même lorsqu’il semble se confier à cœur ouvert, cet homme demeure une énigme. Son dernier ouvrage, aux accents de testament, Levez-vous ! Allons ! ne nous apprendra pas grand chose de plus sur ce géant spirituel. Il aurait pu appeler ce livre : Mémoires d’évêque, puisqu’il nous y entretient avant tout de son ministère comme évêque de Cracovie, entre 1959 et 1979. Mais plus il prend le ton de la confidence, moins il nous en dit sur sa vie intérieure, sur ses motivations et sur ses choix.

Jean Paul II avoue qu’il n’a jamais aimé gouverner

On trouve tout de même, au cours de ces pages, un aveu important.

Jean Paul II avoue qu’il n’a jamais aimé gouverner : « Je dois peut-être me reprocher de n’avoir pas suffisamment cherché à commander », note-t-il. Mais il ajoute : « Je pense toutefois que j’ai pris toutes les décisions nécessaires » (pp. 52-53)... Il est frappant de constater que c’est aujourd’hui ce que l’on reproche communément à “l’ère Jean Paul II” : le pape a réalisé de prodigieuses manifestations publiques. Il a beaucoup fait pour le prestige extérieur de l’Eglise catholique. Mais en même temps, il a trop souvent paru se désintéresser de la gestion du troupeau, se contentant de choisir avec attention quelques personnalités fortes pour incarner dans chaque nation le renouveau qu’il avait programmé. La force et la faiblesse de son oeuvre se retrouvent certainement en creux dans cet aveu, qui sonne comme une véritable confession.

Tout se passe en effet comme si le pape avait souhaité avant tout tenir la balance égale entre sa droite et sa gauche et faire en sorte qu’un courant ne l’emporte jamais sur l’autre... Sa seule boussole, à travers les tentations contraires, aura été, il le reconnaît, le concile Vatican II. Et, selon lui, le but de Vatican II est de parvenir à un mixte efficace entre traditions et modernité : « Les saines traditions favorisent l’audace commune de l’imagination et de la pensée et une vision ouverte sur l’avenir ». « C’est dans le riche humus de la tradition que se nourrit la culture qui cimente la convivialité entre les citoyens » (p. 159). Cet idéal d’une Tradition revisitée par la modernité ou d’une modernité enfin située dans la Tradition, c’est sans doute la clef de son pontificat. On peut remarquer, à cet égard, combien Jean Paul II est proche de Jean XXIII. On constate chez l’un et chez l’autre un goût profond et non feint pour les dévotions traditionnelles, pour les formes héritées du passé. Et en même temps, l’audace de leur conception nouvelle surprend parfois même les plus progressistes. Jean XXIII a introduit cet instrument de dissociation et de destruction qui est la distinction entre le fond et la forme du message chrétien. Au début du Concile, à la sortie de la mémorable séance d’ouverture, où ces mots avaient été prononcés, le 11 octobre 1962, le père Congar qui n’était pas un modéré pourtant, avouait : « On avait du mal à en croire nos oreilles ».

De la même façon, Jean Paul II a souvent surpris sur sa gauche, en particulier dans ses conceptions oecuméniques et dans certaines de ses prises de position politiques. Dans un texte mémorable du 2 novembre 1993, ne se déclarait-il pas favorable à une lecture humaniste de Karl Marx ? cette ambition d’effectuer la synthèse entre les formes de la Tradition et le mouvement de la modernité évoque irrésistiblement la dialectique hégélienne. Pourquoi glissai-je ce nom de Hegel ? Parce qu’il y a dans la méthode de Jean Paul II quelque chose d’ouvertement dialectique. Jean Paul II n’a pas été, comme Paul VI, la fleur des fleurs (flos florum) de la prophétie de Malachie, « le pape écartelé » dont parle Yves Chiron, « notre cher Hamlet » comme disait Pie XII dont il fut l’un des principaux collaborateurs. Paul VI a voulu ne pas choisir, parce que, pris dans la tempête conciliaire, il ne savait plus ce qu’il devait faire. Au contraire, Jean Paul II est le pape qui, consciemment, choisit de ne pas choisir, parce qu’il choisit tout, certain qu’une dynamique naîtra de la dialectique qu’il instaure savamment entre tradition et modernité.

Une synthèse entre tradition et modernité

Etrange projet de ce mystérieux Janus aux deux visages, champion de la modernité, héraut de la Tradition. Peut-être est-ce sa contribution au concile Vatican II qui éclaire le mieux sa véritable personnalité. Il y revient en quelques mots dans son dernier livre : « Un Français avec lequel j’eus des liens d’amitié fut le théologien jésuite Henri de Lubac, que j’ai créé cardinal, des années plus tard. Le concile fut une période privilégiée pour faire la connaissance d’évêques et de théologiens, spécialement dans les diverses commissions. Lorsqu’on aborda le schéma 13 (qui devint ensuite la Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes) et que je parlai du personnalisme, le Père de Lubac vint me trouver et me dit : “oui, oui, oui, dans cette direction”. il m’encourageait ainsi, et c’était une chose particulièrement importante pour moi : j’étais en effet relativement jeune » (pp. 148-149). Le personnalisme fournit-il une clef pour comprendre la doctrine de Jean Paul II ? C’est en tout cas un des systèmes qui effectue cette synthèse entre tradition et modernité que le pape appelle de ses vœux.

Il me semble que la question, que l’on ne va pas tarder à devoir se poser : que penser du pontificat de Jean Paul II ? devrait être explicitée ou doublée par cette autre question : peut-on faire confiance aux lois de la dialectique pour que croisse une tradition vivante ? Peut-on envisager l’histoire de l’Eglise sur le mode d’une « Eglise qui se fait histoire » (card. Hamao), c’est-à-dire qui vit successivement dans son enveloppe terrestre les phases alternées de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse ? Evidemment la réponse est dans la question.

Jean Paul II, Levez-vous ! Allons !, éd. Plon-Mame, 198 pp. mai 2004, 17 euros.