Le
Vatican vient de déclarer que le regroupement familial doit désormais
être tenu pour un principe de la politique migratoire des Etats qui
voudront bien s’inspirer de ses enseignements. C’est le cardinal Hamao,
un Japonais, préfet de la Commission Justice et paix qui a publié tout
récemment des « Dispositions pastorales et juridiques » sur les
migrants. Il enseigne – et il enseigne avec solennité « nonobstant
toutes choses contraires » comme il dit – que le fait d’« accueillir
les migrants comme des frères et sœurs » suppose aussi que l’on
puisse « faire en sorte que leur droit – notamment concernant la
famille et son unité – soit reconnu et protégé par les autorités
civiles ». Il s’agit de l’article 2 n°1 du règlement pastoral qu’il
vient de produire. Le texte est catégorique. Il ne met aucune nuance. Il
ne pondère pas la maxime qu’il introduit. Il ne se préoccupe pas de
savoir si le migrant est dans une situation temporaire ou s’il s’est
installé à titre définitif. Il ne pose pas la question du nombre des
femmes ni ne se demande si un polygame doit voir reconnues ses coutumes.
Il affirme que l’unité familiale est un droit de l’immigré…
«
Regarder avec pondération la conversion des musulmans »
Des
nuances pourtant, le cardinal sait en mettre là où il veut. Après avoir
écrit qu’il faudra « regarder avec pondération la conversion des
musulmans », il détermine dans son fameux règlement : « L’évêque
diocésain ou éparchial considèrera que les immigrés non baptisés lui
ont aussi été confiés par le Seigneur et, dans le respect de la
liberté de leur conscience, il leur donnera la possibilité de parvenir
à la connaissance de la vérité qui est le Christ » (article 17 §2).
En ces matières purement spirituelles, vous le voyez, le ton change. Il n’y
a plus de droit qui tienne. Il suffit de « donner la possibilité de
parvenir à la connaissance de la vérité ». En termes philosophiques,
on dira : il suffit de ne pas rendre impossible la conversion des migrants
pour que l’on considère comme possible un « accès à la connaissance
de la vérité ». On nous refait ici le coup de la « proposition de la
foi » dont parle déjà Vatican II. La conversion des migrants n’est
pas un objectif pour les Eglises locales (fût-ce un objectif parmi d’autres).
Il suffit de s’assurer que ce ne soit pas une impossibilité.
La
comparaison de l’article 2 qui est comminatoire et de l’article 17, si
précautionneux, suffit à donner une idée de l’état d’esprit des
rédacteurs de ce texte fleuve, qui s’imposera certainement dans les
années à venir comme le texte de référence sur la question des
migrations. Je veux parler des 105 paragraphes (l’équivalent d’une
grosse encyclique) qui précèdent le règlement pastoral que nous avons
cité et qui s’intitule Caritas erga migrantes : la charité envers les
migrants. Le cardinal Hamao nous explique « nonobstant toutes choses
contraires » que l’immigration est une chance pour l’Eglise et l’accueil
de l’étranger un devoir imprescriptible pour les chrétiens. Il nous
rappelle que depuis Vatican II l’unité du genre humain est l’objectif
ultime de la nouvelle Eglise et que l’universalité du phénomène
migratoire semble devoir hâter la mondialisation spirituelle qu’il
appelle de ses vœux. Il insiste sur le fait que le critère de nos
jugements socio-politiques est essentiellement moral et foncièrement
laïque : ce critère, selon lui, ce n’est ni le bien commun temporel ni
le bien commun spirituel, c’est la dignité de la personne.
C’est
le spectre de Babel qui surgit sous nos yeux
L’enjeu
est considérable : il s’agit de savoir si la Doctrine sociale de l’Eglise
consiste en un brouet personnaliste inéluctablement gauchisant ou bien si
l’Eglise a autre chose à dire aux hommes que ce que l’on entend en
permanence sur toutes les chaînes de télévision.
Encore
faut-il que le projet ecclésial ne sombre pas dans l’utopie. On peut s’inquiéter
lorsqu’on lit sous la plume du cardinal Hamao : « Le passage d’une
société monoculturelle à une société pluriculturelle peut devenir une
chance providentielle de réaliser le plan divin d’une communion
universelle » (n°9). En fait de communion universelle, c’est le
spectre de Babel qui surgit sous nos yeux. L’utopie, on le sait, produit
mécaniquement son contraire. Le rêve de l’unité universelle, caressé
avec amour, va devenir, dans la réalité, cette société multiculturelle
en cours de ghettoïsation que l’on voit poindre déjà dans nos
banlieues. Mais le cardinal Hamao ne veut rien voir. Il conclut ce
document en souhaitant que « les migrations actuelles soient
considérées comme l’annonce du Règne de Dieu déjà présent en germe
dans l’Eglise ». Les immigrés, ajoute-t-il, sont sans doute « l’instrument
providentiel au service de l’unité de la famille humaine et de la paix
»... |