Accueil
Articles en ligne

Centre St Paul

MetaBlog

TradiNews

Rome et les immigrés

Abbé G. de Tanoüarn

Pacte n°86 - mai 2004

Le Vatican vient de déclarer que le regroupement familial doit désormais être tenu pour un principe de la politique migratoire des Etats qui voudront bien s’inspirer de ses enseignements. C’est le cardinal Hamao, un Japonais, préfet de la Commission Justice et paix qui a publié tout récemment des « Dispositions pastorales et juridiques » sur les migrants. Il enseigne – et il enseigne avec solennité « nonobstant toutes choses contraires » comme il dit – que le fait d’« accueillir les migrants comme des frères et sœurs » suppose aussi que l’on puisse « faire en sorte que leur droit – notamment concernant la famille et son unité – soit reconnu et protégé par les autorités civiles ». Il s’agit de l’article 2 n°1 du règlement pastoral qu’il vient de produire. Le texte est catégorique. Il ne met aucune nuance. Il ne pondère pas la maxime qu’il introduit. Il ne se préoccupe pas de savoir si le migrant est dans une situation temporaire ou s’il s’est installé à titre définitif. Il ne pose pas la question du nombre des femmes ni ne se demande si un polygame doit voir reconnues ses coutumes. Il affirme que l’unité familiale est un droit de l’immigré…

« Regarder avec pondération la conversion des musulmans »

Des nuances pourtant, le cardinal sait en mettre là où il veut. Après avoir écrit qu’il faudra « regarder avec pondération la conversion des musulmans », il détermine dans son fameux règlement : « L’évêque diocésain ou éparchial considèrera que les immigrés non baptisés lui ont aussi été confiés par le Seigneur et, dans le respect de la liberté de leur conscience, il leur donnera la possibilité de parvenir à la connaissance de la vérité qui est le Christ » (article 17 §2). En ces matières purement spirituelles, vous le voyez, le ton change. Il n’y a plus de droit qui tienne. Il suffit de « donner la possibilité de parvenir à la connaissance de la vérité ». En termes philosophiques, on dira : il suffit de ne pas rendre impossible la conversion des migrants pour que l’on considère comme possible un « accès à la connaissance de la vérité ». On nous refait ici le coup de la « proposition de la foi » dont parle déjà Vatican II. La conversion des migrants n’est pas un objectif pour les Eglises locales (fût-ce un objectif parmi d’autres). Il suffit de s’assurer que ce ne soit pas une impossibilité.

La comparaison de l’article 2 qui est comminatoire et de l’article 17, si précautionneux, suffit à donner une idée de l’état d’esprit des rédacteurs de ce texte fleuve, qui s’imposera certainement dans les années à venir comme le texte de référence sur la question des migrations. Je veux parler des 105 paragraphes (l’équivalent d’une grosse encyclique) qui précèdent le règlement pastoral que nous avons cité et qui s’intitule Caritas erga migrantes : la charité envers les migrants. Le cardinal Hamao nous explique « nonobstant toutes choses contraires » que l’immigration est une chance pour l’Eglise et l’accueil de l’étranger un devoir imprescriptible pour les chrétiens. Il nous rappelle que depuis Vatican II l’unité du genre humain est l’objectif ultime de la nouvelle Eglise et que l’universalité du phénomène migratoire semble devoir hâter la mondialisation spirituelle qu’il appelle de ses vœux. Il insiste sur le fait que le critère de nos jugements socio-politiques est essentiellement moral et foncièrement laïque : ce critère, selon lui, ce n’est ni le bien commun temporel ni le bien commun spirituel, c’est la dignité de la personne.

C’est le spectre de Babel qui surgit sous nos yeux

L’enjeu est considérable : il s’agit de savoir si la Doctrine sociale de l’Eglise consiste en un brouet personnaliste inéluctablement gauchisant ou bien si l’Eglise a autre chose à dire aux hommes que ce que l’on entend en permanence sur toutes les chaînes de télévision.

Encore faut-il que le projet ecclésial ne sombre pas dans l’utopie. On peut s’inquiéter lorsqu’on lit sous la plume du cardinal Hamao : « Le passage d’une société monoculturelle à une société pluriculturelle peut devenir une chance providentielle de réaliser le plan divin d’une communion universelle » (n°9). En fait de communion universelle, c’est le spectre de Babel qui surgit sous nos yeux. L’utopie, on le sait, produit mécaniquement son contraire. Le rêve de l’unité universelle, caressé avec amour, va devenir, dans la réalité, cette société multiculturelle en cours de ghettoïsation que l’on voit poindre déjà dans nos banlieues. Mais le cardinal Hamao ne veut rien voir. Il conclut ce document en souhaitant que « les migrations actuelles soient considérées comme l’annonce du Règne de Dieu déjà présent en germe dans l’Eglise ». Les immigrés, ajoute-t-il, sont sans doute « l’instrument providentiel au service de l’unité de la famille humaine et de la paix »...