Le
Christ est à la mode. On ne parle que de lui. Des livres paraissent et
reparaissent et chacun tente d’expliquer à sa manière la plus belle
histoire du monde... C’est l’occasion pour nos évêques de l’évoquer
eux aussi, cette histoire sainte, eux qui en parlent si peu, eux qui
parlent si souvent d’autre chose.
Ils
nous ont mis en garde contre Mel
Gibson par la voix autorisée du Père Vallin,
dans une note doctrinale extrêmement précise, d’où l’on pouvait
retirer l’idée que, nonobstant ses motivations personnelles – que le
Père Vallin ne voulait pas sonder – il était normal de tout reprocher
à Mel Gibson et à son film, La
Passion du Christ. Tout ? Oui, tout : l’antisémitisme et le
sadomasochisme. La représentation de la Croix n’est pas neutre, elle n’est
plus possible aujourd’hui sans créer du scandale… On peut donc
interpréter le corps sanglant du crucifié comme un encouragement à l’antisémitisme
et aussi comme une invitation à la pratique du sadomasochisme : rien que
ça ! Nos seigneurs sont très sensibles à ce genre d’ambiguïté,
semble-t-il. Ils l’étaient moins l’an dernier lorsqu’ils
organisèrent, sur internet, une galerie de photos prétendues
artistiques, parmi lesquelles on pouvait voir les photos de plusieurs
femmes nues, attachées dans des poses soi-disant suggestives, avec la
bénédiction écrite de Mgr Rouet,
évêque de Poitiers. Malgré les plaintes, ces images sont restées
plusieurs mois sur le site officiel des évêques, sans que l’on trouve
la moindre mise en garde
à ce sujet. Cette fois, à propos du Crucifié, nous avons eu
droit à de grandes invitations à la prudence face à d’éventuelles « corrélations sadomasochistes », Nos Seigneurs auraient eu
avantage, avant de se prononcer avec tant de réserve à relire saint Paul
aux Corinthiens : «Nous
prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les
grecs, mais pour ceux qui ont été appelés, juifs ou Grecs, force de
Dieu et sagesse de Dieu ».
Mais
le plus drôle, c’est qu’au moment même où un obscur théologien
endossait cette mise en garde contre un film qui a fait et qui fera tant
de bien, il fallait parler haut et fort contre une série télé qui avait
fait, qui fait et qui fera le plus grand mal. Jérôme Prieur et Gérard
Mordillat avaient choisi la semaine pascale pour nous asséner sur la
chaîne Arte un véritable contre
Evangile. Mgr Jean Louis
Bruguès, évêque d’Angers, dominicain, ancien prédicateur à
Notre-Dame-de-Paris signe une mise au point au nom de la Commission
doctrinale des évêques de France. Tout son raisonnement est fondé
sur la différence entre la vision positive (ou positiviste, c’est la
même chose) de l’événement historique Jésus-Christ, et ce qu’il
appelle « une démarche confessante » (sic), c’est-à-dire fidèle à la
foi de l’Eglise. On l’avait connu mieux inspiré ! Voilà que pour
répondre à Prieur et à Mordillat, il se retranche derrière la
distinction usée jusqu’à la corde du Christ de l’histoire et du
Christ de la foi. Il tombe bien entendu ici sous le coup du serment
antimoderniste ! le pape saint Pie X en effet a souvent mis en garde contre cette distinction, qui
voudrait que le Jésus des croyants ne soit pas le même que le Jésus de
l’histoire. Si on fait du Christ un pur objet de croyance, on développe
une mythologie, qui est le contraire de la foi ! Oh ! Bien entendu, il
fait quelques critiques (surtout formelles) à nos deux athées, mais il
reprend leur thèse fondamentale : il n’y a entre la lecture juive et la
lecture chrétienne aucune véritable contradiction : «
la lecture chrétienne ne conteste pas la lecture juive, chacune ayant son
propre registre d’interprétation. Que l’une ait raison n’entraîne
pas que l’autre ait tort ». Nous touchons là à un point de
doctrine fondamental qui est en train de devenir une banalité
non-critiquable : l’Evangile lui-même est une interprétation du
Premier Testament (comme on dit maintenant) et il nous est loisible d’interpréter
l’Evangile pour aujourd’hui, comme l’Evangile a interprété la
Bible hier.
Si
Mgr Bruguès adopte la thèse fondamentale de Prieur et Mordillat, il ne
faut pas s’étonner qu’il reconnaisse au final le caractère
globalement positif de leur démarche : «
la présentation de cette enquête, au-delà de ses effets
déstabilisants, invite à un sain travail d’intelligence théologique
qui conduira à revisiter la tradition et l’histoire de l’élaboration
des dogmes chrétiens pour mieux les entendre et en vivre ». Quel
contraste entre cette grande compréhension et la sévérité avec
laquelle les évêques se sont prononcés contre le film de Gibson :
cherchez l’erreur ! Plus que jamais sans doute, on peut se demander si
nos évêques ont gardé la religion catholique... |