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Passion du Christ : nos évêques n’aiment pas le scandale

Abbé G. de Tanoüarn

Pacte n°85 - avril 2004

Le Christ est à la mode. On ne parle que de lui. Des livres paraissent et reparaissent et chacun tente d’expliquer à sa manière la plus belle histoire du monde... C’est l’occasion pour nos évêques de l’évoquer eux aussi, cette histoire sainte, eux qui en parlent si peu, eux qui parlent si souvent d’autre chose.

Ils nous ont mis en garde contre Mel Gibson par la voix autorisée du Père Vallin, dans une note doctrinale extrêmement précise, d’où l’on pouvait retirer l’idée que, nonobstant ses motivations personnelles – que le Père Vallin ne voulait pas sonder – il était normal de tout reprocher à Mel Gibson et à son film, La Passion du Christ. Tout ? Oui, tout : l’antisémitisme et le sadomasochisme. La représentation de la Croix n’est pas neutre, elle n’est plus possible aujourd’hui sans créer du scandale… On peut donc interpréter le corps sanglant du crucifié comme un encouragement à l’antisémitisme et aussi comme une invitation à la pratique du sadomasochisme : rien que ça ! Nos seigneurs sont très sensibles à ce genre d’ambiguïté, semble-t-il. Ils l’étaient moins l’an dernier lorsqu’ils organisèrent, sur internet, une galerie de photos prétendues artistiques, parmi lesquelles on pouvait voir les photos de plusieurs femmes nues, attachées dans des poses soi-disant suggestives, avec la bénédiction écrite de Mgr Rouet, évêque de Poitiers. Malgré les plaintes, ces images sont restées plusieurs mois sur le site officiel des évêques, sans que l’on trouve la moindre mise en garde à ce sujet. Cette fois, à propos du Crucifié, nous avons eu droit à de grandes invitations à la prudence face à d’éventuelles « corrélations sadomasochistes », Nos Seigneurs auraient eu avantage, avant de se prononcer avec tant de réserve à relire saint Paul aux Corinthiens : «Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les grecs, mais pour ceux qui ont été appelés, juifs ou Grecs, force de Dieu et sagesse de Dieu ».

Mais le plus drôle, c’est qu’au moment même où un obscur théologien endossait cette mise en garde contre un film qui a fait et qui fera tant de bien, il fallait parler haut et fort contre une série télé qui avait fait, qui fait et qui fera le plus grand mal. Jérôme Prieur et Gérard Mordillat avaient choisi la semaine pascale pour nous asséner sur la chaîne Arte un véritable contre Evangile. Mgr Jean Louis Bruguès, évêque d’Angers, dominicain, ancien prédicateur à Notre-Dame-de-Paris signe une mise au point au nom de la Commission doctrinale des évêques de France. Tout son raisonnement est fondé sur la différence entre la vision positive (ou positiviste, c’est la même chose) de l’événement historique Jésus-Christ, et ce qu’il appelle « une démarche confessante » (sic), c’est-à-dire fidèle à la foi de l’Eglise. On l’avait connu mieux inspiré ! Voilà que pour répondre à Prieur et à Mordillat, il se retranche derrière la distinction usée jusqu’à la corde du Christ de l’histoire et du Christ de la foi. Il tombe bien entendu ici sous le coup du serment antimoderniste ! le pape saint Pie X en effet a souvent mis en garde contre cette distinction, qui voudrait que le Jésus des croyants ne soit pas le même que le Jésus de l’histoire. Si on fait du Christ un pur objet de croyance, on développe une mythologie, qui est le contraire de la foi ! Oh ! Bien entendu, il fait quelques critiques (surtout formelles) à nos deux athées, mais il reprend leur thèse fondamentale : il n’y a entre la lecture juive et la lecture chrétienne aucune véritable contradiction : « la lecture chrétienne ne conteste pas la lecture juive, chacune ayant son propre registre d’interprétation. Que l’une ait raison n’entraîne pas que l’autre ait tort ». Nous touchons là à un point de doctrine fondamental qui est en train de devenir une banalité non-critiquable : l’Evangile lui-même est une interprétation du Premier Testament (comme on dit maintenant) et il nous est loisible d’interpréter l’Evangile pour aujourd’hui, comme l’Evangile a interprété la Bible hier.

Si Mgr Bruguès adopte la thèse fondamentale de Prieur et Mordillat, il ne faut pas s’étonner qu’il reconnaisse au final le caractère globalement positif de leur démarche : « la présentation de cette enquête, au-delà de ses effets déstabilisants, invite à un sain travail d’intelligence théologique qui conduira à revisiter la tradition et l’histoire de l’élaboration des dogmes chrétiens pour mieux les entendre et en vivre ». Quel contraste entre cette grande compréhension et la sévérité avec laquelle les évêques se sont prononcés contre le film de Gibson : cherchez l’erreur ! Plus que jamais sans doute, on peut se demander si nos évêques ont gardé la religion catholique...