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Rome et la messe, encore une fois

Abbé G. de Tanoüarn

Pacte n°85 - avril 2004

La dernière encyclique du pape Jean Paul II Ecclesia de eucharistia, signée le 17 avril 2003, était consacrée au Mystère de l’eucharistie. Le pape proposait un enseignement fondamental sur la messe, où l’on retrouvait tout ce qui fait le charme ambigu de son pontificat : une quête désespérée de Tradition jointe à une volonté désespérée de sauver le Concile, tout le Concile et rien que lui. Contradiction ? Dans les faits, bien sûr. Et cette contradiction, on la retrouve évidemment de nouveau dans Redemptionis sacramentum, l’instruction publiée un an plus tard, le 25 mars 2004 par la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements dont le président est le cardinal nigérian Francis Arinze.

L’objectif manifeste du gouvernement romain est de mettre de l’ordre. Pour cela, pas de doute, seul le recours à la Tradition est incontestable. Mais en même temps, il s’agit de sauver l’œuvre du Concile. Reprenant le diagnostic de Jean Paul II dans Ecclesia de eucharistia, la Congrégation pour le culte divin commence par un satisfecit, que l’on voudrait lire par manière d’antiphrase, mais qu’il faut se contenter d’énoncer au premier degré : « Il n’y a pas de doute que la réforme liturgique du Concile a produit de grands bénéfices de participation plus consciente, plus active et plus fructueuse des fidèles au saint Sacrifice de l’autel. » Suit l’inévitable correctif à ce jugement irénique : « Les ombres ne manquent pas ».

Ces ombres, à plusieurs reprises, le document les appelle des «abus ». Rome a enfin une certitude sur le problème liturgique : il y a eu et il y a encore aujourd’hui beaucoup d’abus. C’était l’idée que soutenait Michel de Saint-Pierre, en 1976, lorsqu’il publia ce recueil des abus postconciliaires qui s’appelait Les fumées de Satan. On peut dire qu’en 2004, Rome en est là : il aura fallu un quart de siècle pour que ce terme d’abus, qui revient 30 fois dans ces pages, ait en quelque sorte droit de cité parmi les catholiques. Ce n’est plus un acte de méfiance vis-à-vis de Rome que de dire qu’il y a eu des abus puisque désormais, à Rome même, on emploie ce langage.

Mais qu’est-ce qu’un abus ? Le dictionnaire note bien que l’abus se définit toujours par rapport à une norme, par rapport à un droit, par rapport à une mesure. Eh bien ! La mesure, la norme, le droit, c’est le concile Vatican II en général, et c’est en particulier, le rite rénové dit de Paul VI. Il n’est pas question d’autre rite latin dans ce texte. Il n’est pas question de ce que pourrait apporter la célébration du rite traditionnel à ceux qui célèbrent habituellement le rite nouveau. En revanche, il est stipulé qu’« il est permis aux prêtres de célébrer la messe en latin en tout lieu et à tout moment » (n°112). On trouve dans ce silence d’une part, dans cette concession d’autre part, la véritable réponse de Rome à Mgr Fellay, le supérieur de la Fraternité-Saint-Pie-X. La Fraternité Saint-Pierre et l’Institut du Christ Roi devraient méditer sur ce silence (assurément méprisant) et sur cette concession, qui représente la possibilité ultime du nouveau système liturgique en vigueur : oui à la messe de Paul VI en latin, le reste relevant d’indults, de privilèges ou de la reconnaissance bienveillante d’un droit subjectif. Dans ce document entièrement consacré à la remise en ordre de l’Eglise, il n’est d’ailleurs question des groupes traditionnels ralliés au Vatican qu’une seule fois, c’est pour rappeler qu’ils doivent être soumis en tout à l’évêque, « hormis les droits qui leur ont été légitimement concédés ». Rome croit donc plus que jamais que le Concile suffit à tout pourvu qu’il soit correctement interprété.

Il faudra, au moins pour son salut mental, que Rome choisisse une bonne fois

Qu’elle est douloureuse, parfois, cette interprétation cependant ! Un vrai pilpoul talmudique. Que faire des grands thèmes du concile comme l’adaptation ou la participation active, qui ont été les fers de lance de la destruction rituelle et culturelle durant les quarante dernières années. Comment éviter que les adversaires de la Remise en ordre voulue par Rome n’utilisent le Concile contre la Congrégation pour le Culte divin et contre l’instruction Redemptionis sacramentum ? On accordera que le staff du cardinal a manœuvré avec une grande subtilité, pour éviter tous les brisants. Le problème, c’est que cette finesse argumentative contribue à rendre le propos illisible. Exemple : la question du ministre du sacrement de l’eucharistie dans le nouveau rite. Il paraissait acquis après le document Missale romanum (1969) que le ministre de l’Eucharistie c’est l’assemblée chrétienne, présidée par le prêtre. Une telle perspective évidemment est insoutenable au regard de la tradition catholique. Elle explique la crise liturgique de l’après concile. Dans sa démarche nouvelle de valorisation de la Tradition liturgique (n° 4, 7 et 9), la Congrégation pour le Culte divin a essayé de sortir de l’ornière, mais tout en reprenant l’enseignement de Vatican II sur le sacerdoce des laïcs. Le résultat est surréaliste, simplement contradictoire. D’une part on interdit solennellement d’utiliser l’expression «assemblée célébrante » en soulignant l’importance essentielle du sacerdoce ministériel (n°42). Mais d’autre part, moyennant un contre-sens volontaire sur le texte de Thomas d’Aquin, on rappelle (conformément à la lettre du concile dans Lumen gentium) que «les fidèles sont députés au culte de la religion chrétienne », ce qui revient à leur reconnaître une part active dans l’accomplissement de ce culte religieux (ou liturgique) (n°37). Mais pourquoi, si les fidèles ont une part active dans le culte faudrait-il se priver d’utiliser l’expression « assemblée célébrante » ? Ce manque de rigueur est incompréhensible... Il faudra (au moins pour son salut mental) que Rome choisisse une bonne fois : ou bien le Concile, sa doctrine et ses ruines, ou bien la reprise en main et la remise en ordre. Le tiers est exclu ! La troisième voie impraticable, surtout par une autorité qui voudrait bien être suivie par l’ensemble du troupeau...

On nous dit que désormais les fidèles ont le droit de se plaindre des abus et d’en appeler à Rome ! (n°184) Tant mieux, mais cela ne les sauvera pas des contradictions et du double discours, toujours en vigueur décidément.