De
novembre 2003 à février 2004, les évêques des quinze nouvelles
provinces ecclésiastiques de France ont effectué à Rome leur visite « ad
limina ». En principe tous les cinq ans, même si la dernière visite
des évêques français remontait à 1997, les épiscopats viennent rendre
compte de leur diocèse. Les échanges de discours entre les
représentants des évêques et le souverain pontife donnent une image
renvoyant à ce que nous appelons avec tristesse «
la débâcle épiscopale ». Au-delà de la banalité des adresses
épiscopales et des réponses de Jean
Paul II appelant à « dépasser
la crise actuelle », s’impose la réalité d’un désarroi. Face
à ce trouble, Mgr Jordan
avoue : «Nous
tâtonnons encore, pourquoi le cacher ? »
Un
bilan embarrassé
Pour
le cardinal Philippe
Barbarin, «
il ne faut pas cacher que le moral n’est pas au beau fixe ». Liant
avec raison la perte de la pratique religieuse et la disparition des
vocations, il en fait «
une question et même une angoisse, pour les chrétiens comme pour leurs
pasteurs. » A Bordeaux, Mgr Ricard
s’afflige de «
baisses numériques ». Parmi elles la « baisse
du nombre de prêtres, de séminaristes, de pratiquants, de catéchistes,
de laïcs militants. » Que reste-t-il ? A Paris, le cardinal Lustiger
déplore la «
réduction bientôt au dixième du nombre des prêtres actifs ». Il
ajoute : « la
perte des habitudes chrétiennes » et la «
sécularisation des mœurs». A Toulouse, c’est « la
baisse constante des enfants catéchisés », à Besançon le déclin
de toute pratique «
notamment chez les jeunes ». L’archevêque parle de l’effondrement
des «
indicateurs traditionnels ». Un exemple : Verdun, un diocèse
réduit à vingt paroisses, un seul prêtre pour desservir «
trente ou quarante villages avec autant d’églises ». De Reims, Mgr
Jordan juge les méthodes d’apostolat en inéquation avec le
quotidien : «
les mots de la foi ne trouvent pas l’écho qui était traditionnellement
le leur ». Le cardinal Panafieu
voit son ministère épiscopal «
rendu souvent aride dans le contexte de sécularisation ». Dans ce
contexte, «
la mission est-elle devenue trop lourde ? » A cette question Mgr
Jordan répond oui car « les
ouvriers de la moisson sont moins nombreux… Les ressources en tout
domaine trouvent leurs limites ». L’archevêque propose une recette
pour accommoder les restes : «
refonder une anthropologie chrétienne accessible à nos contemporains ».
Encore de beaux désastres pastoraux en perspective !
Le
désastre sacerdotal
L’Etat
des lieux épiscopal a pour pivot la crise des vocations. Mgr Marcus,
affolé de voir le nombre des prêtres diminuer, consulte des
statistiques. Elles sont « alarmantes
», révélatrices de «
situations de rupture » et tout cela «
depuis bientôt quarante ans, dans le sillage du concile Vatican II ».
Fini le rêve de la fin du sacerdoce, même si, reconnaît l’archevêque
«
le soupçon s’exprime ici ou là que l’on préparerait une Eglise sans
prêtre. » L’admirable pastorale des vocations serait gâchée par
un étrange climat : il règnerait «
dans notre société comme une sorte d’interdit sur les vocations ».
Selon Mgr Marcus, «
l’idée même de vocation… semble devenue suspecte. » Dans un
monde pétri d’engagements «
ponctuels et provisoires», les jeunes peuvent difficilement « envisager
le ministère sacerdotal ». Pour le primat des Gaules, les effectifs «
de ceux qui rentrent dans les noviciats et les séminaires fondent à vue
d’œil ». Ce n’est pas tout : «Plusieurs
de nos diocèses ont vu récemment de jeunes prêtres quitter le
ministère. Nous n’arrivons pas à comprendre… ». Retenons avec
Mgr Lacrampe
quelques chiffres de ce naufrage : «
60 décès de prêtres diocésains à Nancy pour 2 ordinations en 4
ans ; 63 décès à Saint Claude en 8 ans sans aucune ordination ».
Pourtant, reconnaît Mgr Ricard «
il n’y a pas d’Eglise sans prêtres et sans un certain nombre de
prêtres.». Certains, comme l’archevêque de Toulouse en voudraient
même beaucoup.
L’appel
du pape à l’identité sacerdotale
La
longueur et la gravité de la crise permettent à Jean Paul II d’évoquer
« une sorte de traversée du désert » accompagnée d’«une
véritable épreuve dans la foi». Les efforts de la pastorale des
vocations « n’ont
pas encore donné tous leurs fruits et la crise est toujours là ».
Selon le pape, s’appuyant sur le rapport de la visite pastorale des
séminaires français, ceux-ci sont «
dans l’ensemble des instruments sûrs et bien adaptés ». Perte des
vocations garantie, fermeture proche : quelle entreprise pourrait se
permettre un tel exercice.
Les
séminaires mis hors de cause, Jean Paul II est tout de même conscient de
la perte de l’identité sacerdotale. Il invite les prêtres à « raffermir
cette identité ». Pour le pape, « les
contours » du ministère sacerdotal «
semblent encore flous, difficilement repérables pour les jeunes et
manquant de stabilité. » Les prêtres de la génération présente «
donnent l’impression d’un ministère éclaté et n’incitent pas
toujours des jeunes à suivre leurs devanciers ». Le pape désire
voir les prêtres enraciner « leur
mission sur une vie de prière régulière et fidèle et dans la pratique
du sacrement de pénitence ».
Le
pape est aussi conscient de la crise traversée par les instituts de vie
consacrée. Les congrégations apostoliques sont les plus touchées par le
vieillissement, l’absence de recrutement, la diminution « progressive
et constante » du nombre de leurs membres. Les nouvelles communautés
peuvent faire illusion, elles sont appelées à «
faire preuve de discernement en matière de vocation. » Jean Paul II
met en garde sur la tentation de boucher les trous par les étrangers
guidés par un « attrait
possible de la vie occidentale au détriment de la mission de leur Eglise
locale ».
En
lisant les rapports épiscopaux, la diminution du nombre des laïcs n’a
pas échappé à Jean Paul II. Constatant des effectifs vieillissants qui
ne permettent pas la relève, soulignant l’absence des jeunes
générations, Jean-Paul II tente une explication : «
la messe dominicale n’a pas la place qui lui revient.». C’est l’occasion
de redire « le
sens de l’obligation dominicale» et la nécessité pour participer
à la mission de l’Eglise de vivre «
en conformité avec les prescriptions de l’Eglise. »
Vers
une liturgie festive et soignée
Dire
comme le cardinal Barbarin : « la
foi ne va pas de soi dans les familles et les milieux traditionnellement
chrétiens » ne suffit pas. Se réjouir des baptêmes d’adultes non
plus. Le plus souvent, il s’agit de rares rescapés des centaines de
milliers d’enfants privés de la grâce sanctifiante dès leur naissance
au nom de la pastorale d’ensemble. Le
« redéploiement des paroisses » correspond à leur suppression.
Reste le diaconat permanent et les souvenirs inoubliables des JMJ,
moissons consolatrices incertaines pour l’avenir.
Les
évêques sont sans projet. Même si à Bordeaux, Mgr Ricard espère
lancer la « proposition
de la vie ecclésiale » et «
une liturgie festive et soignée. » Mgr Lacrampe met peut-être le
point final de la pastorale post-conciliaire en sentant « la
nécessité de passer d’une pastorale de l’accueil à une proposition
de la foi ». Il suffisait d’y penser ! |