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De la débâcle à la détresse : l’épiscopat français à Rome

Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°85 - avril 2004

De novembre 2003 à février 2004, les évêques des quinze nouvelles provinces ecclésiastiques de France ont effectué à Rome leur visite « ad limina ». En principe tous les cinq ans, même si la dernière visite des évêques français remontait à 1997, les épiscopats viennent rendre compte de leur diocèse. Les échanges de discours entre les représentants des évêques et le souverain pontife donnent une image renvoyant à ce que nous appelons avec tristesse « la débâcle épiscopale ». Au-delà de la banalité des adresses épiscopales et des réponses de Jean Paul II appelant à « dépasser la crise actuelle », s’impose la réalité d’un désarroi. Face à ce trouble, Mgr Jordan avoue : «Nous tâtonnons encore, pourquoi le cacher ? »

Un bilan embarrassé

Pour le cardinal Philippe Barbarin, « il ne faut pas cacher que le moral n’est pas au beau fixe ». Liant avec raison la perte de la pratique religieuse et la disparition des vocations, il en fait « une question et même une angoisse, pour les chrétiens comme pour leurs pasteurs. » A Bordeaux, Mgr Ricard s’afflige de « baisses numériques ». Parmi elles la « baisse du nombre de prêtres, de séminaristes, de pratiquants, de catéchistes, de laïcs militants. » Que reste-t-il ? A Paris, le cardinal Lustiger déplore la « réduction bientôt au dixième du nombre des prêtres actifs ». Il ajoute : « la perte des habitudes chrétiennes » et la « sécularisation des mœurs». A Toulouse, c’est « la baisse constante des enfants catéchisés », à Besançon le déclin de toute pratique « notamment chez les jeunes ». L’archevêque parle de l’effondrement des « indicateurs traditionnels ». Un exemple : Verdun, un diocèse réduit à vingt paroisses, un seul prêtre pour desservir « trente ou quarante villages avec autant d’églises ». De Reims, Mgr Jordan juge les méthodes d’apostolat en inéquation avec le quotidien : « les mots de la foi ne trouvent pas l’écho qui était traditionnellement le leur ». Le cardinal Panafieu voit son ministère épiscopal « rendu souvent aride dans le contexte de sécularisation ». Dans ce contexte, « la mission est-elle devenue trop lourde ? » A cette question Mgr Jordan répond oui car « les ouvriers de la moisson sont moins nombreux… Les ressources en tout domaine trouvent leurs limites ». L’archevêque propose une recette pour accommoder les restes : « refonder une anthropologie chrétienne accessible à nos contemporains ». Encore de beaux désastres pastoraux en perspective !

Le désastre sacerdotal

L’Etat des lieux épiscopal a pour pivot la crise des vocations. Mgr Marcus, affolé de voir le nombre des prêtres diminuer, consulte des statistiques. Elles sont « alarmantes », révélatrices de « situations de rupture » et tout cela « depuis bientôt quarante ans, dans le sillage du concile Vatican II ». Fini le rêve de la fin du sacerdoce, même si, reconnaît l’archevêque « le soupçon s’exprime ici ou là que l’on préparerait une Eglise sans prêtre. » L’admirable pastorale des vocations serait gâchée par un étrange climat : il règnerait « dans notre société comme une sorte d’interdit sur les vocations ». Selon Mgr Marcus, « l’idée même de vocation… semble devenue suspecte. » Dans un monde pétri d’engagements « ponctuels et provisoires», les jeunes peuvent difficilement « envisager le ministère sacerdotal ». Pour le primat des Gaules, les effectifs « de ceux qui rentrent dans les noviciats et les séminaires fondent à vue d’œil ». Ce n’est pas tout : «Plusieurs de nos diocèses ont vu récemment de jeunes prêtres quitter le ministère. Nous n’arrivons pas à comprendre… ». Retenons avec Mgr Lacrampe quelques chiffres de ce naufrage : « 60 décès de prêtres diocésains à Nancy pour 2 ordinations en 4 ans ; 63 décès à Saint Claude en 8 ans sans aucune ordination ». Pourtant, reconnaît Mgr Ricard « il n’y a pas d’Eglise sans prêtres et sans un certain nombre de prêtres.». Certains, comme l’archevêque de Toulouse en voudraient même beaucoup.

L’appel du pape à l’identité sacerdotale

La longueur et la gravité de la crise permettent à Jean Paul II d’évoquer « une sorte de traversée du désert » accompagnée d’«une véritable épreuve dans la foi». Les efforts de la pastorale des vocations « n’ont pas encore donné tous leurs fruits et la crise est toujours là ». Selon le pape, s’appuyant sur le rapport de la visite pastorale des séminaires français, ceux-ci sont « dans l’ensemble des instruments sûrs et bien adaptés ». Perte des vocations garantie, fermeture proche : quelle entreprise pourrait se permettre un tel exercice.

Les séminaires mis hors de cause, Jean Paul II est tout de même conscient de la perte de l’identité sacerdotale. Il invite les prêtres à « raffermir cette identité ». Pour le pape, « les contours » du ministère sacerdotal « semblent encore flous, difficilement repérables pour les jeunes et manquant de stabilité. » Les prêtres de la génération présente « donnent l’impression d’un ministère éclaté et n’incitent pas toujours des jeunes à suivre leurs devanciers ». Le pape désire voir les prêtres enraciner « leur mission sur une vie de prière régulière et fidèle et dans la pratique du sacrement de pénitence ».

Le pape est aussi conscient de la crise traversée par les instituts de vie consacrée. Les congrégations apostoliques sont les plus touchées par le vieillissement, l’absence de recrutement, la diminution « progressive et constante » du nombre de leurs membres. Les nouvelles communautés peuvent faire illusion, elles sont appelées à « faire preuve de discernement en matière de vocation. » Jean Paul II met en garde sur la tentation de boucher les trous par les étrangers guidés par un « attrait possible de la vie occidentale au détriment de la mission de leur Eglise locale ».

En lisant les rapports épiscopaux, la diminution du nombre des laïcs n’a pas échappé à Jean Paul II. Constatant des effectifs vieillissants qui ne permettent pas la relève, soulignant l’absence des jeunes générations, Jean-Paul II tente une explication : « la messe dominicale n’a pas la place qui lui revient.». C’est l’occasion de redire « le sens de l’obligation dominicale» et la nécessité pour participer à la mission de l’Eglise de vivre « en conformité avec les prescriptions de l’Eglise. »

Vers une liturgie festive et soignée

Dire comme le cardinal Barbarin : « la foi ne va pas de soi dans les familles et les milieux traditionnellement chrétiens » ne suffit pas. Se réjouir des baptêmes d’adultes non plus. Le plus souvent, il s’agit de rares rescapés des centaines de milliers d’enfants privés de la grâce sanctifiante dès leur naissance au nom de la pastorale d’ensemble. Le « redéploiement des paroisses » correspond à leur suppression. Reste le diaconat permanent et les souvenirs inoubliables des JMJ, moissons consolatrices incertaines pour l’avenir.

Les évêques sont sans projet. Même si à Bordeaux, Mgr Ricard espère lancer la « proposition de la vie ecclésiale » et « une liturgie festive et soignée. » Mgr Lacrampe met peut-être le point final de la pastorale post-conciliaire en sentant « la nécessité de passer d’une pastorale de l’accueil à une proposition de la foi ». Il suffisait d’y penser !

Les textes intégraux des discours des évêques de France et les réponses de Jean Paul II sont parus dans la « Documentation catholique », n° 2305, 2306, 2308, 2309, 2310.