Ordonné
prêtre en 1956, Mgr Daniel
Labille, évêque
de Créteil est un survivant de l'ultime génération de prêtres formée
avant le Concile. Son récit autobiographique Il
nous précède en Galilée est
le résultat d'entretiens avec un prêtre de son diocèse et un
responsable diocésain de la communication. Nous l'avons retenu pour sa
banalité, celle d'un évêque moyen, « accompagnateur » de service, «
pilote » de dossiers etc. Ce genre littéraire possède son vocabulaire
propre, que l'on retrouve évidemment ici. Il est bien entendu que
l'évêque issu de Vatican II a en charge l'humanisation de la société,
l'autonomie du sujet croyant et la liberté de conscience. A Assises, il a
reçu un esprit qui exclut tout prosélytisme.
L'itinéraire
de Daniel Labille est classique, il naît dans une société dont les
repères sont encore chrétiens, la pratique va de soi. Enfant, il se
lève tôt pour assister comme enfant de chœur à des messes matinales. A
sept ou huit ans la vue du prêtre à l'autel éveille en lui le désir du
sacerdoce. L'appel se précise avec la question de l'aumônier du lycée. «
As-tu jamais pensé à être prêtre ? ». Sa réponse le conduit au
petit séminaire à l'heure des « recherches pédagogiques ». Puis
au grand séminaire où il retrouve quatorze de ses trente-cinq compagnons
de quatrième. Avec l'ordination sous-diaconale, le choix du célibat est
une grâce. Cependant dans l'euphorie de l'après-guerre le supérieur
sulpicien branche ses séminaristes « sur toutes les recherches de
l'époque ». Les innovations liturgiques parviennent « jusqu’aux
paroisses », le catéchisme progressif du Père Colomb,
rejeté
par Rome, offre des « formes adaptées » pour rejoindre les
jeunes « dans leur vie ». Cette génération est convaincue :
l'Eglise a « besoin d'évoluer ». L'annonce du Concile ne la
surprend pas : « C'était déjà tout ce qu’on vivait ». Son
rappel sous les drapeaux anticipe son ordination sacerdotale, il la
conçoit comme une marque de confiance et un risque. Il continue
d'étudier à Paris, à l'Institut catholique mais surtout à la Sorbonne.
Dans une paroisse, il confesse et s'occupe des enfants. De retour à
Reims, il enseigne dans différents établissements avant de rejoindre en
1970 le grand séminaire « en mutation ». En une phrase, il
balaie cette période : « Les séminaristes s'appropriaient le concile
positivement, nous apprenions à ne pas regarder trop en arrière ». Son
expérience pastorale s'effectue dans une paroisse périphérique de
Reims. Plus que jamais, le Père Labille se sent bien, il découvre «
comment l'Eglise n’a de sens que dans une proximité avec les gens ».
En
1978, il est nommé auxiliaire du « Père » Bannwarth,
évêque
de Soissons. Le diocèse est en grande partie déchristianisé. Au sud «
la pratique chrétienne était tombée pratiquement à zéro », le
seul homme de Château-Thierry à faire ses pâques se rendait à Paris «
pour ne pas se faire remarquer »... En 1984, devenu évêque de ce
diocèse, il entreprend une visite pastorale, concrétisant son ministère
de rencontres : « Nous sommes des personnes qui recherchent le Christ
ensemble et dont les expériences doivent servir à l'enrichissement des
uns et des autres. ».
Il
se doit aussi d'assurer la communion « avec les croyants qui sont
différents de nous », il fait vivre les « chrétiens en
mouvement »
avec
les « chrétiens en paroisse », dans l'objectif d'« une
démarche synodale qui appelle ». En vingt ans, le diocèse a connu
huit ordinations et les prêtres sont passés de 280 à 105. Les 850
paroisses dans la nécessité de « ne pas enfermer les paroisses
autour du clocher » sont réduites à 43 et toutes n'ont pas de
prêtre résident. La conversion des chrétiens passe par l'acceptation du
« décalage entre l'Eglise dont nous rêvons pour nous et l'Eglise qui
cherche à accueillir de nouveaux fidèles ».
En
1998, il est envoyé à Créteil, il donne la confirmation dans les
gymnases : « C'était nouveau... ». Ainsi il est au fait du
vécu, la vie associative tient lieu de vie sociale, les conseils donnent
l'occasion de partager, les secteurs d'accompagner. L'apothéose,
ce sont les « temps forts », les grands rassemblements du stade
où « les stands consacrés à la prière ont attiré beaucoup de
personnes de façon significative. »
Avec
tout cela, le Père Labille croyait « que l'on était parvenu ces
dernières années à une laïcité ouverte et tolérante ». Hélas !
« le comportement agressif de quelque minorité religieuse » pourrait
réveiller « la suspicion et la peur chez nous, précipiter les uns et
les autres dans un communautarisme fermé et faire croire que la
répression même légale pourrait venir à bout de ces excès ». « Je
ne souhaite pas, continue-t-il, que l'Eglise catholique vive comme
une citadelle qui voudrait lancer ses troupes à l'assaut des autres ».
« Les gens m'intéressent » avoue-t-il naïvement. Leur rencontre
est une dimension de sa foi, il a besoin « de leur expérience d'homme
et de femme ».
C'est
à propos de l'école catholique que se pose de manière aiguë le
problème de la liberté de conscience. Pour Daniel Labille, la question
la plus importante est de savoir « comment d'un côté sauvegarder la
liberté de conscience des enfants au sein d'établissements
confessionnels, comment d'un autre côté initier les enfants aux valeurs
de la République s'ils ne sont pas formés dans des institutions qui ont
sa caution ». Il est entendu, pour lui, que le dénominateur commun
aux systèmes scolaires publics ou privés est « l'ouverture à tous
» et « l'éducation à la citoyenneté ». Il voit aussi une
convergence du christianisme et de la modernité dans IV acquis
important » de l'autonomie de la conscience. Selon lui, le véritable
défi de notre temps se formulerait ainsi : « comment faire en sorte
que la liberté de conscience ne détruise pas les liens sociaux ? ». Sans
ambiguïté, il répond immédiatement à cette question : « par la
démocratie ». Et il poursuit sa leçon, apprise depuis longtemps : «
le rapport à soi est le domaine de la liberté de conscience, le rapport
aux autres du domaine de la démocratie ».
Mais
il est beaucoup moins assuré dans le domaine religieux : « Quelque
chose est possible après la mort. Nous ne savons pas ce que cela sera
exactement. Si vraiment Dieu aime les hommes, il ne peut pas nous faire un
mauvais coup... » |