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« Je m'intéresse aux gens »

Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°84 - 26 mars 2004

Ordonné prêtre en 1956, Mgr Daniel Labille, évêque de Créteil est un survivant de l'ultime génération de prêtres formée avant le Concile. Son récit autobiographique Il nous précède en Galilée est le résultat d'entretiens avec un prêtre de son diocèse et un responsable diocésain de la communication. Nous l'avons retenu pour sa banalité, celle d'un évêque moyen, « accompagnateur » de service, « pilote » de dossiers etc. Ce genre littéraire possède son vocabulaire propre, que l'on retrouve évidemment ici. Il est bien entendu que l'évêque issu de Vatican II a en charge l'humanisation de la société, l'autonomie du sujet croyant et la liberté de conscience. A Assises, il a reçu un esprit qui exclut tout prosélytisme.

L'itinéraire de Daniel Labille est classique, il naît dans une société dont les repères sont encore chrétiens, la pratique va de soi. Enfant, il se lève tôt pour assister comme enfant de chœur à des messes matinales. A sept ou huit ans la vue du prêtre à l'autel éveille en lui le désir du sacerdoce. L'appel se précise avec la question de l'aumônier du lycée. « As-tu jamais pensé à être prêtre ? ». Sa réponse le conduit au petit séminaire à l'heure des « recherches pédagogiques ». Puis au grand séminaire où il retrouve quatorze de ses trente-cinq compagnons de quatrième. Avec l'ordination sous-diaconale, le choix du célibat est une grâce. Cependant dans l'euphorie de l'après-guerre le supérieur sulpicien branche ses séminaristes « sur toutes les recherches de l'époque ». Les innovations liturgiques parviennent « jusqu’aux paroisses », le catéchisme progressif du Père Colomb, rejeté par Rome, offre des « formes adaptées » pour rejoindre les jeunes « dans leur vie ». Cette génération est convaincue : l'Eglise a « besoin d'évoluer ». L'annonce du Concile ne la surprend pas : « C'était déjà tout ce qu’on vivait ». Son rappel sous les drapeaux anticipe son ordination sacerdotale, il la conçoit comme une marque de confiance et un risque. Il continue d'étudier à Paris, à l'Institut catholique mais surtout à la Sorbonne. Dans une paroisse, il confesse et s'occupe des enfants. De retour à Reims, il enseigne dans différents établissements avant de rejoindre en 1970 le grand séminaire « en mutation ». En une phrase, il balaie cette période : « Les séminaristes s'appropriaient le concile positivement, nous apprenions à ne pas regarder trop en arrière ». Son expérience pastorale s'effectue dans une paroisse périphérique de Reims. Plus que jamais, le Père Labille se sent bien, il découvre « comment l'Eglise n’a de sens que dans une proximité avec les gens ».

En 1978, il est nommé auxiliaire du « Père » Bannwarth, évêque de Soissons. Le diocèse est en grande partie déchristianisé. Au sud « la pratique chrétienne était tombée pratiquement à zéro », le seul homme de Château-Thierry à faire ses pâques se rendait à Paris « pour ne pas se faire remarquer »... En 1984, devenu évêque de ce diocèse, il entreprend une visite pastorale, concrétisant son ministère de rencontres : « Nous sommes des personnes qui recherchent le Christ ensemble et dont les expériences doivent servir à l'enrichissement des uns et des autres. ».

Il se doit aussi d'assurer la communion « avec les croyants qui sont différents de nous », il fait vivre les « chrétiens en mouvement » avec les « chrétiens en paroisse », dans l'objectif d'« une démarche synodale qui appelle ». En vingt ans, le diocèse a connu huit ordinations et les prêtres sont passés de 280 à 105. Les 850 paroisses dans la nécessité de « ne pas enfermer les paroisses autour du clocher » sont réduites à 43 et toutes n'ont pas de prêtre résident. La conversion des chrétiens passe par l'acceptation du « décalage entre l'Eglise dont nous rêvons pour nous et l'Eglise qui cherche à accueillir de nouveaux fidèles ».

En 1998, il est envoyé à Créteil, il donne la confirmation dans les gymnases : « C'était nouveau... ». Ainsi il est au fait du vécu, la vie associative tient lieu de vie sociale, les conseils donnent l'occasion de partager, les secteurs d'accompagner. L'apothéose, ce sont les « temps forts », les grands rassemblements du stade où « les stands consacrés à la prière ont attiré beaucoup de personnes de façon significative. »

Avec tout cela, le Père Labille croyait « que l'on était parvenu ces dernières années à une laïcité ouverte et tolérante ». Hélas ! « le comportement agressif de quelque minorité religieuse » pourrait réveiller « la suspicion et la peur chez nous, précipiter les uns et les autres dans un communautarisme fermé et faire croire que la répression même légale pourrait venir à bout de ces excès ». « Je ne souhaite pas, continue-t-il, que l'Eglise catholique vive comme une citadelle qui voudrait lancer ses troupes à l'assaut des autres ». « Les gens m'intéressent » avoue-t-il naïvement. Leur rencontre est une dimension de sa foi, il a besoin « de leur expérience d'homme et de femme ».

C'est à propos de l'école catholique que se pose de manière aiguë le problème de la liberté de conscience. Pour Daniel Labille, la question la plus importante est de savoir « comment d'un côté sauvegarder la liberté de conscience des enfants au sein d'établissements confessionnels, comment d'un autre côté initier les enfants aux valeurs de la République s'ils ne sont pas formés dans des institutions qui ont sa caution ». Il est entendu, pour lui, que le dénominateur commun aux systèmes scolaires publics ou privés est « l'ouverture à tous » et « l'éducation à la citoyenneté ». Il voit aussi une convergence du christianisme et de la modernité dans IV acquis important » de l'autonomie de la conscience. Selon lui, le véritable défi de notre temps se formulerait ainsi : « comment faire en sorte que la liberté de conscience ne détruise pas les liens sociaux ? ». Sans ambiguïté, il répond immédiatement à cette question : « par la démocratie ». Et il poursuit sa leçon, apprise depuis longtemps : « le rapport à soi est le domaine de la liberté de conscience, le rapport aux autres du domaine de la démocratie ».

Mais il est beaucoup moins assuré dans le domaine religieux : « Quelque chose est possible après la mort. Nous ne savons pas ce que cela sera exactement. Si vraiment Dieu aime les hommes, il ne peut pas nous faire un mauvais coup... » 

Daniel Coffigny et André Jondeau. Entretiens avec Mgr Daniel Labille, évêque de Créteil, Il nous précède en Galilée, Bry sur Marne, La Toison d'or, décembre 2003, 157 pages, 15 euros.