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Jésus et les juifs

Abbé Guillaume de Tanoüarn

Pacte n°84 - 26 mars 2004

Sous ce titre, l'hebdomadaire emblématique de la gauche caviar nous propose des « observations » très politiquement correctes (et pas particulièrement «nouvelles» il faut le dire). Les trois auteurs du dossier surfent sur la vague qu'est censé produire l'arrivée en France du film de Mel Gibson « La passion ». Ils sont allés chercher Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, les auteurs d'une série télévisée intitulée en latin Corpus Christi. Ces deux journalistes ont passé l'Evangile à la moulinette de la critique historique au point que bien évidemment il n'en reste rien. Corpus Christi ayant été plutôt une bonne affaire financière ; nos deux larrons remettent le couvert cette année avec un feuilleton sur l'origine du christianisme, du même acabit que la première série. Du coup, ils deviennent les spécialistes du Christ. Leur parole, parce qu'elle est consensuelle, fait autorité. Plus besoin d'interroger de vrais chercheurs. Pensez ! A eux tout seuls, ils en ont interviewé trente. Qui dit mieux ? Prieur, Mordillât, trente chercheurs, deux séries télé et tout cela donne l'avis autorisé, la référence incontournable, bref la bible de tous ceux qui s'intéressent à la Bible…

Pourquoi fallait-il ce concentré de notre vérité moderne criticiste et laïque, surplombant avec autorité toute lecture des Evangiles ? Officiellement l'autorité de Prieur et de Mordillât vient des trente chercheurs qu'ils ont rencontrés et dont ils ont compulsé les œuvres... Mais en réalité, quand on lit de près leur déposition dans le Nouvel Observateur, on découvre que toutes leurs analyses proviennent d'un unique principe, objet d'une sorte de foi des critiques : « Les Evangiles, lancent-ils froidement, ce ne sont pas des faits, c'est de la théologie » II est vrai que c'est là le point de départ de toute l'école de la démythisation, qui a fait florès chez les catholiques comme chez les protestants. Le cardinal Kasper, l'actuel bras gauche du pape, tient le même genre de discours dans son livre Jésus le Christ : « Le Christ réel, c'est le Christ prêché » affirme-t-il par exemple. Et bien sûr, cela signifie dans son esprit qu'au cours de l'histoire du christianisme, une prédication chasse l'autre. Il n'y a plus de référence objective.

On comprend que ces intellectuels ne comprennent rien à la tentative de Mel Gibson, qui a voulu, lui, représenter en images la réalité évangélique. Pour ces épigones de la recherche contemporaine, il n'y a pas de «réalité évangélique» ou plutôt : la réalité évangélique n'est pas connaissable. Le Christ c'est de l'interprétation sur toute la ligne. Même l'Evangile est déjà une forme d'interprétation, à laquelle il est possible de substituer d'autres interprétations, tout aussi « chrétiennes » que le texte originel...

Walter Kasper et ses pairs ne se rendent pas compte qu'en affirmant cela ils vident l'Evangile de toute spécificité. Le christianisme n'a pas d'impact historique propre : il constitue simplement une interprétation particulière du judaïsme, comme le pense le cardinal Lustiger et comme il l'explique dans son dernier livre La Promesse, une part simplement de « l'alliance unique et indivise » entre Dieu et les hommes. Si l'on veut poser le problème du rapport entre Jésus et les juifs dans les termes dans lesquels il se pose pour un spécialiste aujourd'hui, ce sont ces paramètres qu'il faut mettre en avant.

Pourquoi les juifs sont nos frères cadets

II faut savoir qu'il existe aujourd'hui un spécialiste qui a consacré sa vie à contrer ces lieux communs de la théologie, c'est André Paul. Historien de la Palestine au premier siècle, il explique que le Christ représente une véritable rupture dans l'histoire des religions [Voir entre autres A. PAUL, Leçons paradoxales sur les juifs et les chrétiens, éd. DDB 1992 et Jésus, la rupture, éd. Bayard novembre 2001.]. Il démontre qu'il est bien le fondateur d'une nouvelle ecclesia, fondée sur des principes nouveaux. Et il va plus loin : selon lui, le judaïsme actuel n'est pas le frère aîné du christianisme, mais son frère cadet. Au concile de Yamnia en 110, alors que le Temple apparaît comme définitivement ruiné et que le christianisme s'étend déjà sur tout le pourtour de la Méditerranée, la Synagogue se recompose autour du mouvement pharisien. Le culte de la Loi remplace définitivement le culte de Yavhé dans son Temple. Mais cette recomposition s'opère de manière symétrique à la jeune fondation de l'Eglise chrétienne. Ce mimétisme des juifs face aux chrétiens dans cette période décisive du 1er siècle, où l'on assiste en fait à une refondation du judaïsme, permet de comprendre la formule paradoxale d'André Paul : les juifs ne sont pas les frères aînés des chrétiens mais leurs frères cadets.

Bien entendu, une telle thèse est aujourd'hui « historiquement incorrecte », alors même qu'elle n'a jamais été réfutée...

Quel rapport avec le film de Gibson, me direz-vous ? Gibson auquel Jérôme Prieur attribue « le niveau zéro de la réflexion » sans même avoir vu son film, se fonde sur l'idée que la vie de Jésus est un fait attesté par ces quatre "biographies à l'antique" que sont aussi les Evangiles, il n'a pas d'autre ambition que de nous montrer ce fait évangélique. Il casse donc (involontairement sans doute) le système critique qui prévaut depuis 150 ans et qui considère l'Evangile a priori comme une pure interprétation. La seule idée qu'on puisse affirmer que ce que racontent les quatre évangiles corresponde à une réalité historique suffit à mettre en transe les intellectuels d'aujourd'hui. Avec un fait, on ne peut pas tricher ou biaiser. On est pour ou on est contre. Il est tellement plus commode d'imaginer que dans l'Evangile tout est interprétation... Et que le christianisme n'est lui-même qu'une vaste interprétation du judaïsme...

On peut discuter à l'infini de la non-culpabilité des juifs dans la mort du Christ. Le vrai problème n'est pas là. Depuis toujours l'Eglise enseigne que le Christ a été crucifié par les péchés des hommes. On lui fait donc un faux procès, en entretenant la polémique sur ce point. Le vrai procès est ailleurs : le christianisme pourrait y laisser jusqu'à son identité et sa spécificité s'il ne se défend pas de l'immense tentative d'absorption dont il est victime depuis le milieu du XIXème siècle. Au slogan : tout est interprétation, il faut répondre : allons aux faits. Et nous pouvons dire aujourd'hui grâce à Mel Gibson : voyons les images !