Sous
ce titre, l'hebdomadaire emblématique de la gauche caviar nous propose
des « observations » très politiquement correctes (et pas
particulièrement «nouvelles» il faut le dire). Les trois auteurs du
dossier surfent sur la vague qu'est censé produire l'arrivée en France
du film de Mel
Gibson «
La passion ». Ils
sont allés chercher Gérard
Mordillat et
Jérôme
Prieur, les
auteurs d'une série télévisée intitulée en latin Corpus Christi. Ces
deux journalistes ont passé l'Evangile à la moulinette de la critique
historique au point que bien évidemment il n'en reste rien. Corpus
Christi ayant été plutôt une bonne affaire financière ; nos deux
larrons remettent le couvert cette année avec un feuilleton sur l'origine
du christianisme, du même acabit que la première série. Du coup, ils
deviennent les spécialistes du Christ. Leur parole, parce qu'elle est
consensuelle, fait autorité. Plus besoin d'interroger de vrais
chercheurs. Pensez ! A eux tout seuls, ils en ont interviewé trente. Qui
dit mieux ? Prieur, Mordillât, trente chercheurs, deux séries télé et
tout cela donne l'avis autorisé, la référence incontournable, bref la
bible de tous ceux qui s'intéressent à la Bible…
Pourquoi
fallait-il ce concentré de notre vérité moderne criticiste et laïque,
surplombant avec autorité toute lecture des Evangiles ? Officiellement
l'autorité de Prieur et de Mordillât vient des trente chercheurs qu'ils
ont rencontrés et dont ils ont compulsé les œuvres... Mais en réalité,
quand on lit de près leur déposition dans le Nouvel Observateur, on
découvre que toutes leurs analyses proviennent d'un unique principe,
objet d'une sorte de foi des critiques : « Les Evangiles, lancent-ils
froidement, ce ne sont pas des faits, c'est de la théologie » II
est vrai que c'est là le point de départ de toute l'école de la
démythisation, qui a fait florès chez les catholiques comme chez les
protestants. Le cardinal Kasper, l'actuel bras gauche du pape, tient le
même genre de discours dans son livre Jésus le Christ : « Le Christ
réel, c'est le Christ prêché » affirme-t-il par exemple. Et bien
sûr, cela signifie dans son esprit qu'au cours de l'histoire du
christianisme, une prédication chasse l'autre. Il n'y a plus de
référence objective.
On
comprend que ces intellectuels ne comprennent rien à la tentative de Mel
Gibson, qui a voulu, lui, représenter en images la
réalité évangélique.
Pour ces épigones de la recherche contemporaine, il n'y a pas de
«réalité évangélique» ou plutôt : la réalité évangélique n'est
pas connaissable. Le Christ c'est de l'interprétation sur toute la ligne.
Même l'Evangile est déjà une forme d'interprétation, à laquelle il
est possible de substituer d'autres interprétations, tout aussi «
chrétiennes » que le texte originel...
Walter
Kasper et
ses pairs ne se rendent pas compte qu'en affirmant cela ils vident
l'Evangile de toute spécificité. Le christianisme n'a pas d'impact
historique propre : il constitue simplement une interprétation
particulière du judaïsme, comme le pense le cardinal Lustiger et comme
il l'explique dans son dernier livre La Promesse, une part
simplement de « l'alliance unique et indivise » entre Dieu et les
hommes. Si l'on veut poser le problème du rapport entre Jésus et les
juifs dans les termes dans lesquels il se pose pour un spécialiste
aujourd'hui, ce sont ces paramètres qu'il faut mettre en avant.
Pourquoi
les juifs sont nos frères
cadets
II
faut savoir qu'il existe aujourd'hui un spécialiste qui a consacré sa
vie à contrer ces lieux communs de la théologie, c'est André
Paul. Historien
de la Palestine au premier siècle, il explique que le Christ représente
une véritable rupture dans l'histoire des religions [Voir entre autres A.
PAUL, Leçons
paradoxales sur les juifs et les chrétiens, éd.
DDB 1992 et Jésus, la rupture, éd. Bayard novembre 2001.]. Il
démontre qu'il est bien le fondateur d'une nouvelle ecclesia, fondée
sur des principes nouveaux. Et il va plus loin : selon lui, le judaïsme
actuel n'est pas le frère aîné du christianisme, mais son frère cadet.
Au concile de Yamnia en 110, alors que le Temple apparaît comme
définitivement ruiné et que le christianisme s'étend déjà sur tout le
pourtour de la Méditerranée, la Synagogue se recompose autour du
mouvement pharisien. Le culte de la Loi remplace définitivement le culte
de Yavhé dans son Temple. Mais cette recomposition s'opère de manière
symétrique à la jeune fondation de
l'Eglise
chrétienne. Ce mimétisme des juifs face aux chrétiens dans cette
période décisive du 1er siècle, où l'on assiste en fait à une
refondation du judaïsme, permet de comprendre la formule paradoxale
d'André Paul : les juifs ne sont pas les frères aînés des chrétiens
mais leurs frères cadets.
Bien
entendu, une telle thèse est aujourd'hui « historiquement
incorrecte », alors même qu'elle n'a jamais été réfutée...
Quel
rapport avec le film de Gibson, me direz-vous ? Gibson auquel Jérôme
Prieur attribue « le niveau zéro de la réflexion » sans même
avoir vu son film, se fonde sur l'idée que la vie de Jésus est un fait
attesté par ces quatre "biographies à l'antique" que sont
aussi les Evangiles, il n'a pas d'autre ambition que de nous montrer ce
fait évangélique. Il casse donc (involontairement sans doute) le
système critique qui prévaut depuis 150 ans et qui considère l'Evangile
a priori comme une pure interprétation. La seule idée qu'on puisse
affirmer que ce que racontent les quatre évangiles corresponde à une
réalité historique suffit à mettre en transe les intellectuels
d'aujourd'hui. Avec un fait, on ne peut pas tricher ou biaiser. On est
pour ou on est contre. Il est tellement plus commode d'imaginer que dans
l'Evangile tout est interprétation... Et que le christianisme n'est
lui-même qu'une vaste interprétation du judaïsme...
On
peut discuter à l'infini de la non-culpabilité des juifs dans la mort du
Christ. Le vrai problème n'est pas là. Depuis toujours l'Eglise enseigne
que le Christ a été crucifié par les péchés des hommes. On lui fait
donc un faux procès, en entretenant la polémique sur ce point. Le vrai
procès est ailleurs : le christianisme pourrait y laisser jusqu'à son
identité et sa spécificité s'il ne se défend pas de l'immense
tentative d'absorption dont il est victime depuis le milieu du XIXème
siècle. Au slogan : tout est interprétation, il faut répondre : allons
aux faits. Et nous pouvons dire aujourd'hui grâce à Mel Gibson : voyons
les images ! |