Dans
la série « Quinze questions à l'Eglise, un évêque répond », Mgr
Henri de Berranger s'est vu adjuger la politique. Résultat : un recueil
flou, une compilation d'anecdotes où il parle avantageusement de lui, un
livre pour plaire. Une recette garantie mêlant les bienfaits de la
laïcité, la souveraineté de la conscience et de la liberté religieuse,
le tout sur fond de mondialisme assaisonné de quelques injures contre le
Front national. Mais de la nature de la science politique, de l'homme
animal social, du bien commun nommé ici ou là, du rôle de l'autorité
dans la cité, vous n'apprendrez rien. Les journalistes, pense-t-il, ont
voulu faire de lui « un Caillot bis », un évêque typiquement de
gauche. Tout y contribuait dès son enfance où ses relations l'ont fait «
flirter avec un courant progressiste ». Séduit par « certains
aspects fascinant dans le marxisme », il échappe au communisme. Il
le reconnaît avec Pie XI « intrinsèquement pervers » dans sa
forme marxiste léniniste, mais avec le Concile, le nouveau code de droit
canon et le catéchisme de l'Eglise catholique, on ne parle plus de
condamnations. Après les interdits de Pie XII, les assouplissements de
Jean XXIII permettaient la collaboration avec les communistes. L'évêque
de Saint-Denis peut donc se situer comme « toujours proche d'un
terrain favorable à la gauche sinon au communisme ». L'influence
d'Emmanuel Mounier, ce déniaiseur de catholiques en matière politique
fut prépondérante. Elle fait d'Henri de Berranger un partisan de
Mitterrand. L'anarchie de 1968 cadrant mal avec son idolâtrie de l'Etat
de droit, il fut d'abord poussé dans les bras du gaullisme. Pourtant Mai
68 a été son printemps : « J'ai participé à l'enthousiasme
ambiant, (...)Je vibrais avec les grévistes... » II leur porte du
pain comme les enfants s'amusant avec les canards du Bois de Boulogne,
mais un soir quelque chose cloche : « Je me suis retrouvé à voter à
main levée une motion que j'ai regrettée dans la seconde qui a suivi. »
Sévère sur sa propre attitude, il appréhende ce romantisme
révolutionnaire comme le bouillon de culture de la terreur. L'évêque le
comprend : « II est quasiment impossible de flirter avec la
révolution sans déraper vers le terrorisme. » Les chrétiens
généreux d'Amérique latine aboutissent à « la négation des
présupposés et des principes de la foi ». L'Eglise soumise aux
autorités légitimes refusera les autorités illégitimes. Aussi dut-elle
au XXème siècle « s'opposer au totalitarisme ». Malgré
le ralliement, au moins des évêques, à la République, le traumatisme
de la révolution pèse encore sur beaucoup de catholiques français.
Hélas, ils en demeurent « plus à l'aise » avec un pouvoir de
droite. Et presque incroyable, il y aurait selon Mgr de Berranger encore
des royalistes. Cependant, ajoute-t-il «je n'en ai quasiment jamais
rencontré ». Information à vérifier. S'ils existaient, ils ne
seraient « ni dangereux, ni méprisables ». Sauf à les
découvrir « de tendance maurrassienne ». Les maurrassiens ? Un
courant terrifiant : « Ces gens-là se sont crus et se croient
toujours plus intelligents que les papes. » C'est qu'ils sont à la
remorque de Charles Maurras, « un danger pour l'Eglise » selon
Henri de Berranger. Saint Pie X, pape contemporain de Maurras avait
pourtant osé l'appeler « un beau défenseur de la foi ». Sur ce
point Henri de Berranger est sans doute plus intelligent que le pape.
Berranger
est fier de notre laïcité, « un peu étriquée il est vrai mais qui
constitue un barrage efficace au "confessionnalisme" »
La
lassitude des Chrétiens confrontés aux « affaires » et à une
politique « à la remorque de l'économie » ne doit pas faire oublier
les « belles éclaircies entre les deux tours de la dernière élection
présidentielle ». En évêque, il se propose de veiller aux tentations
de rejet et de méfiance spontanée excluant « d'emblée la possibilité
d'un engagement politique ». On n'est pas loin de l'idée d'une charité
politique attribuée à saint Augustin et reprise par l'enseignement des
papes. Lui-même aurait constaté cette charité politique lors des JMJ
entraînant les jeunes à une fraternité « au-delà de toutes les
barrières linguistiques, culturelles ou nationales ». L'Evêque
considère comme péché de se moquer de la politique et invoque une
miséricorde due aux hommes politiques malfaisants. Voyant dans le
politicien « quelqu'un qui a le sens du collectif, du bien de l'humanité
», il en vient à se demander s'il n'exerce pas à sa façon un
sacerdoce. Il y a en lui quelque chose de « christifiant » laissant
place à une « estime à priori ». Pourtant une génération de
politiciens agace l’évêque car « on a l'impression qu 'ils continuent
de faire de la politique comme si elle coulait de source de l'Evangile ».
Il y a pour l'évêque de Saint-Denis des essais de récupération de Dieu
pesant lourd sur la politique depuis Clovis et « nous les payons cher ».
A l'entendre cette tentative théocratique, interdite par nos institutions
actuelles a entraîné le rejet des Ecritures parce qu'elles ont été
assimilées à un régime politique.
Après
le « silence » de Dieu à Auschwitz, Henri de Berranger se pose la
question : « Dieu s'est-il absenté de l'histoire ou reste-t-il présent
à l'histoire ? » La réponse est dans la permanence des prophètes «
quelquefois vous en surprenez un ou une au détour du journal télévisé
». Qui a dit que la télévision concurrençait le catéchisme ? Karl
Barth « ce grand théologien luthérien, peut-être le plus grand
théologien du XXème siècle » avait pour sources « la Bible
et le journal ». Mais attention à une lecture fondamentaliste risquant
de faire de la Bible le pendant chrétien du petit livre rouge de Mao.
Après
cet essai de portrait épiscopal, allons avec lui à cette « quête
quotidienne du Bien Commun ». La présence de l'Eglise au jeu
politique est justifiée par sa défense des siens, mais bien plus c'est
l'humanité tout entière qu'elle défend au nom de la liberté de
conscience. Berranger retrouve là un pivot de la pensée pontificale
depuis Vatican II : « la conscience est comme la pierre de touche de
l'humanité dans son essence ». Elle l'emporte sur la loi naturelle
et sur la loi divine. Témoins : un Père Gaston Fessard s.j. ou un
pasteur Bonhoeffer, ils ont su résister « parce qu'un chrétien,
c'est une conscience qui dit non quand c'est nécessaire ». Mais
profond dilemme pour Berranger « il est juste d'affirmer que le
concile a voulu dire oui au monde ». Peut-on dire oui et non à la
fois ? Pas de problème pour l'évêque « à cause de la conscience
que nous avons de la dignité humaine » qui doit être défendue en
tout temps. Que se cache-t-il en fait derrière cette dignité humaine.
Berranger est plus lucide qu'il y paraît : les évêques, dit-il, doivent
être remerciés de leurs efforts « pour réhabiliter l'individualisme
aux yeux des catholiques ». Donnant sans vergogne dans le
personnalisme le plus basique, l'évêque de Saint-Denis insiste sur le
fait que c'est « notre rapport aux autres qui nous constitue comme
personnes ». Notre qualité personnelle se prendrait uniquement selon
lui de la qualité de notre rapport au monde. Et c'est notre degré de
conscience qui doit demeurer l'indicateur de notre réussite humaine.
La
rencontre de la croix peut se produire, l'exemple de saint Thomas More est
donné comme celui du martyr de la conscience souveraine. La loi morale
reviendra dans « une démocratie malade », par les « droits
et les devoirs imprescriptibles de la conscience » heureusement
substitués à la prédication moralisante des « anciens curés de
paroisses » — ceux d'avant le concile ! Mgr de Berranger est fier
de notre laïcité, un peu étriquée il est vrai mais qui constitue un
barrage efficace au « confessionnalisme ».
L'Eglise
trop puissante avait pu sous le nom de cléricalisme « exercer le
pouvoir de manière indue ». Certains s'y sont opposés « ce
refus, ce rejet sont estimables ». Par contre les évêques, comme
celui de Saint Denis apporteront à la démocratie quelques grands
principes, par exemple « la reconnaissance de l'autre (d'où l'importance
de la parité hommes et femmes), l'an du dialogue et du compromis,
la préférence du débat sur le combat... » En gros, les thèmes de
la Franc-maçonnerie. Mais ils ne donneront pas de conseils de vote, ils
l'ont trop fait « à l'époque de l'Etat français de Philippe Pétain
». Question à l'évêque : les historiens aimeront savoir à
l'occasion de quels scrutins... En avril 2002, tout bascule et, reconnaît
l'évêque, nous avons pu donner « parfois l'impression de quitter
notre réserve ». Mais c'est une impression, aussi Mgr de Berranger
qui ne donne pas de consigne de vote s'est « entendu » dire sur
Europe I « Oui, il faut voter Chirac ».
Berranger
goûte dans la mondialisation « un fruit délicieux »
Henri
de Berranger a un modèle politique : Jacques Delors, il voit dans cet
homme de gauche « une résonance chrétienne, une expérience humaine
exceptionnelle, et une droiture que nous aurions envie de retrouver » !
Il n'est pas comme les « petites gens » du Front national...ceux qui le
traitent « d'évêque communiste à intervalles réguliers ». L'évêque
de Poitiers, en refusant le baptême à un militant du Front national, a
fait un geste prophétique salué par son collègue de Saint-Denis.
Pauvres « petites gens » du Front national, « qui ont des choses à
dire, mais qui n 'ont pas été entendus ». C'est un problème
ethnologique, mais en attendant on ne peut être chrétien et voter Front
national. L'Evêque va trouver des réponses pour faire de ces méchants
électeurs des « sujets responsables ». Il maintient son non possumus à
des hommes et des femmes se réclamant de l'Evangile en faveur d'un parti
« héritier d'une tradition totalitaire et antichrétienne ». Difficile
de faire mieux en matière de calomnie. Pourtant, ces « petites gens »
inquiets de la nouveauté, tentés par le « repli identitaire » ou le
vote « populiste », à la recherche de racine préservant de la
mondialisation peuvent faire peur. Ce « vieux fond de conservatisme »
porte la menace d’« accidents de parcours regrettables ».
Mais
promis, il se tient prêt « à les corriger et à les rectifier ».
A
l'opposé, les altermondialistes, chrétiens ou non, méritent le respect
malgré le soupçon d'« un parfum de suffisance occidentale ». Fierté
de l'évêque : depuis Jean XXIII, l'Eglise est en avance sur « la
vision d'une gouvernance mondiale ». La colonisation, grâce aux
missions a « ses titres de noblesse », il reste à l'Eglise à
effacer « l'idéologie missionnaire » et à l'Europe à se
disposer au « dialogue des civilisations ». Mgr de Berranger
goûte dans la mondialisation « un fruit délicieux ». Pour
affermir la communion attendue 'des cultures, le concile de 1961 (sic) est
bien loin. Décidément l'évêque « ne sait pas à quoi l'Eglise est
appelée... » En face des défis de l'éthique ou de l'écologie,
l'Eglise « n'est pas aux avant-postes ». La vision de
l'anthropologie chrétienne apprise de Mounier comporte une erreur avoue
l'évêque, l'homme au centre de la création est devenu centre
de la création et détourné de Dieu. Occasion pour l'évêque de se
raccrocher à la post-modernité : « Je ne suis pas de ceux qui
croient encore à une progression inéluctable de l'humanité vers je ne
sais quel avenir radieux ». On ne peut exclure « les régressions
mortifères ». « Un éclair de la conscience » permettra peut-être
d'échapper à ce pessimisme et à la barbarie. Un jour viendra où
l'homme séparé de Dieu aura des comptes à rendre de sa gestion des
choses visibles devant le conduire à l'invisible. L'évêque attend de
l'Eglise une résistance à temps et à contre-temps face à «
l'urgence du mystère de l'Etre ». Plongé dans des courants le
sensibilisant « à la relativité de la pensée chrétienne »,
lisant saint Thomas corrigé par le Père Chenu, il ressent une sorte
d'angoisse. Ses maîtres personnalistes l'ont orienté vers un pseudo
existentialisme chrétien. Il songe devant ce « très grand chantier
à penser » à « cet éclair de la conscience, cette luminosité
profonde de l'homme à lui-même » qui risque en réalité d'être
orage et ténèbres. Son appel à une « fraternité cosmique » de
saint François d'Assise à Teilhard de Chardin, malheureusement « au
purgatoire des auteurs célèbres » annonce bien des difficultés, il
le sent et conclut son livre en disant : « la poésie sauvera le monde
plus sûrement que la politique ». |