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« Politique et poésie à Saint Denis »

Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°82 - 31 janvier 2004

Dans la série « Quinze questions à l'Eglise, un évêque répond », Mgr Henri de Berranger s'est vu adjuger la politique. Résultat : un recueil flou, une compilation d'anecdotes où il parle avantageusement de lui, un livre pour plaire. Une recette garantie mêlant les bienfaits de la laïcité, la souveraineté de la conscience et de la liberté religieuse, le tout sur fond de mondialisme assaisonné de quelques injures contre le Front national. Mais de la nature de la science politique, de l'homme animal social, du bien commun nommé ici ou là, du rôle de l'autorité dans la cité, vous n'apprendrez rien. Les journalistes, pense-t-il, ont voulu faire de lui « un Caillot bis », un évêque typiquement de gauche. Tout y contribuait dès son enfance où ses relations l'ont fait « flirter avec un courant progressiste ». Séduit par « certains aspects fascinant dans le marxisme », il échappe au communisme. Il le reconnaît avec Pie XI « intrinsèquement pervers » dans sa forme marxiste léniniste, mais avec le Concile, le nouveau code de droit canon et le catéchisme de l'Eglise catholique, on ne parle plus de condamnations. Après les interdits de Pie XII, les assouplissements de Jean XXIII permettaient la collaboration avec les communistes. L'évêque de Saint-Denis peut donc se situer comme « toujours proche d'un terrain favorable à la gauche sinon au communisme ». L'influence d'Emmanuel Mounier, ce déniaiseur de catholiques en matière politique fut prépondérante. Elle fait d'Henri de Berranger un partisan de Mitterrand. L'anarchie de 1968 cadrant mal avec son idolâtrie de l'Etat de droit, il fut d'abord poussé dans les bras du gaullisme. Pourtant Mai 68 a été son printemps : « J'ai participé à l'enthousiasme ambiant, (...)Je vibrais avec les grévistes... » II leur porte du pain comme les enfants s'amusant avec les canards du Bois de Boulogne, mais un soir quelque chose cloche : « Je me suis retrouvé à voter à main levée une motion que j'ai regrettée dans la seconde qui a suivi. » Sévère sur sa propre attitude, il appréhende ce romantisme révolutionnaire comme le bouillon de culture de la terreur. L'évêque le comprend : « II est quasiment impossible de flirter avec la révolution sans déraper vers le terrorisme. » Les chrétiens généreux d'Amérique latine aboutissent à « la négation des présupposés et des principes de la foi ». L'Eglise soumise aux autorités légitimes refusera les autorités illégitimes. Aussi dut-elle au XXème siècle « s'opposer au totalitarisme ». Malgré le ralliement, au moins des évêques, à la République, le traumatisme de la révolution pèse encore sur beaucoup de catholiques français. Hélas, ils en demeurent « plus à l'aise » avec un pouvoir de droite. Et presque incroyable, il y aurait selon Mgr de Berranger encore des royalistes. Cependant, ajoute-t-il «je n'en ai quasiment jamais rencontré ». Information à vérifier. S'ils existaient, ils ne seraient « ni dangereux, ni méprisables ». Sauf à les découvrir « de tendance maurrassienne ». Les maurrassiens ? Un courant terrifiant : « Ces gens-là se sont crus et se croient toujours plus intelligents que les papes. » C'est qu'ils sont à la remorque de Charles Maurras, « un danger pour l'Eglise » selon Henri de Berranger. Saint Pie X, pape contemporain de Maurras avait pourtant osé l'appeler « un beau défenseur de la foi ». Sur ce point Henri de Berranger est sans doute plus intelligent que le pape.

Berranger est fier de notre laïcité, « un peu étriquée il est vrai mais qui constitue un barrage efficace au "confessionnalisme" »

La lassitude des Chrétiens confrontés aux « affaires » et à une politique « à la remorque de l'économie » ne doit pas faire oublier les « belles éclaircies entre les deux tours de la dernière élection présidentielle ». En évêque, il se propose de veiller aux tentations de rejet et de méfiance spontanée excluant « d'emblée la possibilité d'un engagement politique ». On n'est pas loin de l'idée d'une charité politique attribuée à saint Augustin et reprise par l'enseignement des papes. Lui-même aurait constaté cette charité politique lors des JMJ entraînant les jeunes à une fraternité « au-delà de toutes les barrières linguistiques, culturelles ou nationales ». L'Evêque considère comme péché de se moquer de la politique et invoque une miséricorde due aux hommes politiques malfaisants. Voyant dans le politicien « quelqu'un qui a le sens du collectif, du bien de l'humanité », il en vient à se demander s'il n'exerce pas à sa façon un sacerdoce. Il y a en lui quelque chose de « christifiant » laissant place à une « estime à priori ». Pourtant une génération de politiciens agace l’évêque car « on a l'impression qu 'ils continuent de faire de la politique comme si elle coulait de source de l'Evangile ». Il y a pour l'évêque de Saint-Denis des essais de récupération de Dieu pesant lourd sur la politique depuis Clovis et « nous les payons cher ». A l'entendre cette tentative théocratique, interdite par nos institutions actuelles a entraîné le rejet des Ecritures parce qu'elles ont été assimilées à un régime politique.

Après le « silence » de Dieu à Auschwitz, Henri de Berranger se pose la question : « Dieu s'est-il absenté de l'histoire ou reste-t-il présent à l'histoire ? » La réponse est dans la permanence des prophètes « quelquefois vous en surprenez un ou une au détour du journal télévisé ». Qui a dit que la télévision concurrençait le catéchisme ? Karl Barth « ce grand théologien luthérien, peut-être le plus grand théologien du XXème siècle » avait pour sources « la Bible et le journal ». Mais attention à une lecture fondamentaliste risquant de faire de la Bible le pendant chrétien du petit livre rouge de Mao.

Après cet essai de portrait épiscopal, allons avec lui à cette « quête quotidienne du Bien Commun ». La présence de l'Eglise au jeu politique est justifiée par sa défense des siens, mais bien plus c'est l'humanité tout entière qu'elle défend au nom de la liberté de conscience. Berranger retrouve là un pivot de la pensée pontificale depuis Vatican II : « la conscience est comme la pierre de touche de l'humanité dans son essence ». Elle l'emporte sur la loi naturelle et sur la loi divine. Témoins : un Père Gaston Fessard s.j. ou un pasteur Bonhoeffer, ils ont su résister « parce qu'un chrétien, c'est une conscience qui dit non quand c'est nécessaire ». Mais profond dilemme pour Berranger « il est juste d'affirmer que le concile a voulu dire oui au monde ». Peut-on dire oui et non à la fois ? Pas de problème pour l'évêque « à cause de la conscience que nous avons de la dignité humaine » qui doit être défendue en tout temps. Que se cache-t-il en fait derrière cette dignité humaine. Berranger est plus lucide qu'il y paraît : les évêques, dit-il, doivent être remerciés de leurs efforts « pour réhabiliter l'individualisme aux yeux des catholiques ». Donnant sans vergogne dans le personnalisme le plus basique, l'évêque de Saint-Denis insiste sur le fait que c'est « notre rapport aux autres qui nous constitue comme personnes ». Notre qualité personnelle se prendrait uniquement selon lui de la qualité de notre rapport au monde. Et c'est notre degré de conscience qui doit demeurer l'indicateur de notre réussite humaine.

La rencontre de la croix peut se produire, l'exemple de saint Thomas More est donné comme celui du martyr de la conscience souveraine. La loi morale reviendra dans « une démocratie malade », par les « droits et les devoirs imprescriptibles de la conscience » heureusement substitués à la prédication moralisante des « anciens curés de paroisses » — ceux d'avant le concile ! Mgr de Berranger est fier de notre laïcité, un peu étriquée il est vrai mais qui constitue un barrage efficace au « confessionnalisme ».

L'Eglise trop puissante avait pu sous le nom de cléricalisme « exercer le pouvoir de manière indue ». Certains s'y sont opposés « ce refus, ce rejet sont estimables ». Par contre les évêques, comme celui de Saint Denis apporteront à la démocratie quelques grands principes, par exemple « la reconnaissance de l'autre (d'où l'importance de la parité hommes et femmes), l'an du dialogue et du compromis, la préférence du débat sur le combat... » En gros, les thèmes de la Franc-maçonnerie. Mais ils ne donneront pas de conseils de vote, ils l'ont trop fait « à l'époque de l'Etat français de Philippe Pétain ». Question à l'évêque : les historiens aimeront savoir à l'occasion de quels scrutins... En avril 2002, tout bascule et, reconnaît l'évêque, nous avons pu donner « parfois l'impression de quitter notre réserve ». Mais c'est une impression, aussi Mgr de Berranger qui ne donne pas de consigne de vote s'est « entendu » dire sur Europe I « Oui, il faut voter Chirac ».

Berranger goûte dans la mondialisation « un fruit délicieux »

Henri de Berranger a un modèle politique : Jacques Delors, il voit dans cet homme de gauche « une résonance chrétienne, une expérience humaine exceptionnelle, et une droiture que nous aurions envie de retrouver » ! Il n'est pas comme les « petites gens » du Front national...ceux qui le traitent « d'évêque communiste à intervalles réguliers ». L'évêque de Poitiers, en refusant le baptême à un militant du Front national, a fait un geste prophétique salué par son collègue de Saint-Denis. Pauvres « petites gens » du Front national, « qui ont des choses à dire, mais qui n 'ont pas été entendus ». C'est un problème ethnologique, mais en attendant on ne peut être chrétien et voter Front national. L'Evêque va trouver des réponses pour faire de ces méchants électeurs des « sujets responsables ». Il maintient son non possumus à des hommes et des femmes se réclamant de l'Evangile en faveur d'un parti « héritier d'une tradition totalitaire et antichrétienne ». Difficile de faire mieux en matière de calomnie. Pourtant, ces « petites gens » inquiets de la nouveauté, tentés par le « repli identitaire » ou le vote « populiste », à la recherche de racine préservant de la mondialisation peuvent faire peur. Ce « vieux fond de conservatisme » porte la menace d’« accidents de parcours regrettables ».

Mais promis, il se tient prêt « à les corriger et à les rectifier ».

A l'opposé, les altermondialistes, chrétiens ou non, méritent le respect malgré le soupçon d'« un parfum de suffisance occidentale ». Fierté de l'évêque : depuis Jean XXIII, l'Eglise est en avance sur « la vision d'une gouvernance mondiale ». La colonisation, grâce aux missions a « ses titres de noblesse », il reste à l'Eglise à effacer « l'idéologie missionnaire » et à l'Europe à se disposer au « dialogue des civilisations ». Mgr de Berranger goûte dans la mondialisation « un fruit délicieux ». Pour affermir la communion attendue 'des cultures, le concile de 1961 (sic) est bien loin. Décidément l'évêque « ne sait pas à quoi l'Eglise est appelée... » En face des défis de l'éthique ou de l'écologie, l'Eglise « n'est pas aux avant-postes ». La vision de l'anthropologie chrétienne apprise de Mounier comporte une erreur avoue l'évêque, l'homme au centre de la création est devenu centre de la création et détourné de Dieu. Occasion pour l'évêque de se raccrocher à la post-modernité : « Je ne suis pas de ceux qui croient encore à une progression inéluctable de l'humanité vers je ne sais quel avenir radieux ». On ne peut exclure « les régressions mortifères ». « Un éclair de la conscience » permettra peut-être d'échapper à ce pessimisme et à la barbarie. Un jour viendra où l'homme séparé de Dieu aura des comptes à rendre de sa gestion des choses visibles devant le conduire à l'invisible. L'évêque attend de l'Eglise une résistance à temps et à contre-temps face à « l'urgence du mystère de l'Etre ». Plongé dans des courants le sensibilisant « à la relativité de la pensée chrétienne », lisant saint Thomas corrigé par le Père Chenu, il ressent une sorte d'angoisse. Ses maîtres personnalistes l'ont orienté vers un pseudo existentialisme chrétien. Il songe devant ce « très grand chantier à penser » à « cet éclair de la conscience, cette luminosité profonde de l'homme à lui-même » qui risque en réalité d'être orage et ténèbres. Son appel à une « fraternité cosmique » de saint François d'Assise à Teilhard de Chardin, malheureusement « au purgatoire des auteurs célèbres » annonce bien des difficultés, il le sent et conclut son livre en disant : « la poésie sauvera le monde plus sûrement que la politique ».

Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis, La Politique, collection « 15 questions à l'Eglise, un évêque répond ». Mame-Plon, Paris, septembre 2003.