Le
2 février a eu lieu, à Rome, une conférence de presse exceptionnelle de
Mgr Bernard Fellay. Le supérieur de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie
X a tenu à présenter officiellement dans la capitale de la chrétienté,
dans la Ville éternelle, une étude sur l'œcuménisme, concluant à une
opposition fondamentale entre l'Eglise œcuménique et l'Eglise
catholique.
Pourquoi
cette polarisation soudaine de la Fraternité Saint Pie X sur l'œcuménisme
? La nomination, le 3 mars 2001, de Walter Kasper comme responsable de la
Congrégation romaine pour l'unité des chrétiens n'est pas étrangère
à l'entreprise de Mgr Fellay. On sait que ce personnage, grande figure de
l'épiscopat allemand, est un théologien d'envergure, mais, hélas qu'il
est aussi l'un de ceux dont on doit, en toute sécurité, déclarer qu'il
a officiellement rompu avec l'orthodoxie catholique. Assistant du
professeur Hans Küng au début des années soixante, son livre sur Jésus
contient plusieurs hérésies formelles. Une récente conférence de
Kasper sur les perspectives de l'œcuménisme est un peu comme la goutte
d'eau qui a fait déborder le vase. Dici, l'agence de presse officielle de
la Fraternité Saint Pie X l'a abondamment diffusée pour que chacun
puisse en juger.
Souhaitant
jouer à plein son rôle naturel d'instance critique des dérives
conciliaires, la Fraternité Saint Pie X a envoyé une lettre à tous les
cardinaux, prenant occasion des vingt-cinq ans du pontificat de Jean Paul
n pour manifester Urbi et orbi la nocivité profonde de la
nouvelle religion issue du Concile : « Dans fe but avoué de
réaliser une unité nouvelle, au nom d'une volonté de "regarder
davantage ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise ", on
prétend mettre de côté les éléments spécifiquement catholiques qui
apparaissent comme cause de division » déclare très fortement Mgr
Fellay à l'attention de leurs Eminences.
Dans
un entretien donné à Dici, le supérieur de la Fraternité Saint
Pie X précise que la critique doctrinale des errements conciliaires et
post-conciliaires constitue l'un des objectifs à long terme de la
Fraternité Saint Pie X. A l'appui de son propos, il mentionne les deux
symposiums de théologie qui se sont tenus à Paris en 2002 et en 2003 et
le dernier Congrès de Si si, No no qui a eu lieu à Rome, au
début du mois de janvier 2004. Point commun de ces diverses
manifestations : une critique serrée du Concile.
Il
est clair que l'attitude de la Fraternité Saint Pie X, résistant
publiquement à l'autorité ecclésiastique en refusant le Novus Ordo s'enracine
depuis le début dans un diagnostic doctrinal extrêmement ferme. En juin
1976, alors que Mgr Lefebvre se dispose à faire les premières
ordinations à Ecône contre la volonté expresse du pape Paul VI, il
s'exclame sans mollir : « Le rite nouveau suppose une autre conception
de la religion catholique, une autre religion ». On retrouve ce
thème de la « religion nouvelle » dans la préface qu'il a voulu
donner à son livre testament Itinéraire spirituel... Dans sa
pensée, c'est bien cette nouvelle religion, officiellement différente de
la religion catholique traditionnelle qu'il est du devoir de tout
chrétien de dénoncer sans états d'âme.
Que
signifie cette idée de « religion nouvelle » ? Elle est
apparemment radicale, elle sonne comme excessive. Lorsqu'on y regarde de
près, au contraire, elle définit en toute modération le malaise qui
s'étend sur l'Eglise depuis le concile. Les chrétiens doivent faire face
à une subversion interne de la catholicité. Il s'agit d'une nouvelle
doctrine, qui s'interpose désormais entre les fidèles et le dogme. Ce
corps étranger se présente comme une sorte de "règle
philosophique" indexée à la foi et qui la transforme en "foi
conciliaire".
En
se fondant sur la Déclaration finale du premier symposium de Paris en
2002, on peut commodément résumer en... trois points cette religion
nouvelle. Disons d'abord que cette religion nouvelle tend à enraciner la
foi dans la conscience humaine plutôt que dans la Parole de Dieu,
historiquement transmise à l'Eglise. Disons ensuite que la nouvelle
pratique chrétienne est fondée sur l'inversion de la notion chrétienne
de service : l'Eglise se sent désormais au service de l'homme (et non
l'homme au service de Dieu et au service de l'Eglise). Disons enfin que
toute la vision du monde qui est issue du Concile est sous-tendue par ce
dogme nouveau de l'unité spirituelle du genre humain... au mépris de
toute la tradition et au mépris de l'Evangile, qui enseigne sans cesse
que les bénis ne sont pas les maudits devant le Père éternel.
Il
ne s'agit donc pas d'un procès en hérésie, dans les formes classiques
auxquelles nous a habitué le Tribunal de la sainte Inquisition. L'objet
matériel de la foi reste indemne... Mais la foi est profondément "conciliarisée"
par ces trois dogmes philosophiques nouveaux qui constituent la nouvelle
norme spéculative-pratique pour les aspirants croyants. Le long travail
sur l'œcuménisme proposé par Mgr Fellay peut être considéré comme
une étape importante dans la grande entreprise de déblaiement que le
concile Vatican II a rendu nécessaire pour toute l'Eglise. |