Le
Cardinal Paul Poupard nous entraîne « au cœur du Vatican de Jean
XXIII à Jean Paul II » au fil d'entretiens avec Marie-Joëlle
Guillaume. Après Vienne et Bordeaux où nous avons fait escale le mois
dernier, nous retrouvons à Rome les constantes de notre chronique : la
crise, et spécialement celle du sacerdoce, l’« affaire Lefebvre » et
la question de la liberté religieuse, le primat de la conscience. Le
cardinal aujourd'hui président du conseil pontifical de la Culture,
familier de Jean-Paul II est représentatif de la face convenable du parti
conciliaire. On pourra donc prendre au sérieux son jugement sur Vatican
II, à la fin du Concile : « Nous étions croyions-nous sous le soleil
d'Austerlitz. Et puis, très vite, nous avons eu le sentiment d'un
Waterloo ». Le concile fut un événement « d'essence spirituelle
» soudain envahi par la « mutation culturelle » et dominé
par « la contestation radicale de toute autorité et de tout dogme ».
Un tel diagnostic sur Vatican II ne nous surprend pas, mais venant
d'un cardinal, il vaut qu'on s'y arrête
Donnons
deux exemples d'évolution. A la veille du centenaire de la loi de
Séparation de 1905, le cardinal en salue le « bienfait
incommensurable pour l'Eglise ». Pour saint Pie X, en revanche, cette
loi représentait « la négation très claire de l'ordre surnaturel
», une loi mauvaise en elle-même, fondée sur des principes
néfastes pour l'Eglise comme pour la société politique.
Etudiant,
Paul Poupard avait « découvert Maurice Blondel avec émerveillement
». Pour le Carême 2003 à Notre Dame de Paris, il en fait un saint
pour le XXIème siècle. En face de son génie, il s'écrie : «
Comment ne pas penser à un saint Thomas d'Aquin ? » C'est le
philosophe en son temps condamné à Rome par le pape saint Pie X pour son
modernisme qui, selon Poupard aujourd'hui, « nous a ouvert la voie et
montré le chemin du discernement nécessaire au milieu des ambiguïtés.
» Maurice Blondel parangon de clarté, on espère que ce jugement
ironique ne l'est qu'involontairement.
En
tout cas, l'enthousiasme blondelien du cardinal est sans nuage.
Pour
lui, Vatican II a enfin donné les bonnes réponses aux trois questions
des modernistes : « L'Eglise avec l'aide de l'Esprit a pu reprendre
ces questions sur la Révélation, la liberté religieuse, la Tradition...
» Qu'on en juge ! Pour ce qui est de la révélation divine tout
d'abord : selon Vatican II, c'est le Christ qui est la seule source de la
révélation, mais en même temps il restera toujours un mystère
inconnaissable. L'agnosticisme stigmatisé chez les modernistes par saint
Pie X, se trouve dans la lettre de Vatican II. La liberté
religieuse ? Celle qu'enseigne Vatican II s'identifie à la
liberté de conscience condamnée comme un délire par le pape Grégoire
XVI. La tradition ? C'est la tradition vivante et évolutive,
enseignée par Maurice Blondel, et non le dépôt irréformable dont parle
saint Paul. Malgré la modération du cardinal, le mal est fait. Le mal
est là !
Vatican
II : une religion de la conscience
A
la lecture de ce livre, on perçoit pourtant que le cardinal Poupard n'a
rien d'un révolutionnaire. Il est classique.
Comment
expliquer cet itinéraire si commun ? Côté racines, le cardinal plonge
dans la Vendée angevine, survivance contre-révolutionnaire d'une
Chrétienté résistante. Une solide famille paysanne riche de ses
fidélités. Il nous donne de belles pages sur la vie rurale, les
solidarités sociales s'alimentant aux vertus théologales. Au centre le
prêtre aimé et admiré. Paul Poupard le revoit « immobile avec son
bréviaire devant le confessionnal. Si quelqu'un venait se confesser, il
le confessait ; si personne ne venait, il continuait sa prière. C'est la
force de cette image qui m'a orienté vers le sacerdoce : un homme de
prière et un homme de Dieu parmi les hommes ». Il fait de bonnes
études : petit et grand séminaire, université catholique d'Angers, le
conduisent au sacerdoce pour la Noël 1954. Aujourd'hui, nostalgique d'un
séminaire comptant 250 séminaristes et n'existant plus, le cardinal
s'interroge à partir des événements de 1968 sur la crise de l'identité
sacerdotale : « J'ai vu, écrit-il, des clercs jeter la
cléricature pardessus bord ; et c'était pour devenir libre. »
Evoquant
l'étroitesse de vue de la formation des années 50, il attribue le
départ de ses confrères « à une formation qui ne s'était pas
confrontée en profondeur à la culture dominante ». A défaut, ces
prêtres « ont revendiqué la liberté de la femme, du travail salarié,
du parti politique ». Ces choix ne sont pas ceux du cardinal mais «je
les respecte et je les admire » dit-il. Il reconnaît pourtant « la
crise de la conscience sacerdotale ». « La volonté d'apparaître comme
un laïc » manifeste chez beaucoup de prêtres un malaise profond et
durable, Paul Poupard ne le cache pas. « Quand je regarde les choses à
plus de trente ans de distance malgré les discours lénifiants, je pense
que nous n 'en sommes pas sortis - un ressort s'est brisé dans notre
Occident chrétien. »
II
peut donc affirmer comprendre la démarche intellectuelle de Mgr Lefebvre
comme Paul VI la comprenait. Dès 1959, Paul Poupard, appelé à Rome,
assiste au Concile en observateur enthousiaste. Proche de Paul VI, il
partage avec lui les angoisses de Maritain sur « le dévoiement de
l'ouverture au monde ». Devenu collaborateur de Jean Paul II ? Il
salue en lui l'« ardent promoteur de la déclaration sur la liberté
religieuse ». Passage obligé vers une anthropologie formulée «
au nom de la conscience ».
Dès
le début, l'opposition de Mgr Lefebvre et des siens apparaît « au
nom de l'idée que l'erreur n'a pas de droits », le décret Dignitatis
Humanae est lu dans « le sens d'un anti-syllabus ». Pour Paul
Poupard, Mgr Lefebvre n'a pas voulu comprendre la liberté religieuse
comme la liberté de croire assortie de l'absence de toute contrainte. Le
cardinal confond la liberté de l'acte de foi, qui est admise par tous et
surtout par Mgr Lefebvre, avec cet enseignement nouveau du Concile : le
droit civil à la liberté religieuse présentée comme une exigence du
droit naturel et de la Révélation. Il lui est facile, après cette
confusion, de reprocher à Mgr Lefebvre « une interprétation erronée
» du texte conciliaire. Il est vraiment trop simple pour justifier le
cafouillage post-conciliaire de blanchir les textes en invoquant « ce
vent de folie qui a soufflé après le concile dans les années qui ont
suivi ».
Au
moins cette folie post-conciliaire est-elle clairement dénoncée : le
cardinal n'a pas supporté de retrouver du jour au lendemain la table de
communion de son église natale chez le brocanteur. Et il enfonce le clou
: « les fantaisies liturgiques, devenues rares aujourd'hui, grâce à
Dieu, n'ont fait venir personne à l'Eglise, mais elles ont plutôt fait
fuir certains fidèles ». La fuite semble continuer pourtant.
D'après le cardinal lui-même, « dans certains diocèses, la moitié
des enfants n 'est pas catéchisée », des chrétiens « se
demandent si Jésus-Christ est Dieu », la Hollande ne compte
pratiquement plus de pratiquants...
N'y
tenant plus, Paul Poupard évoque devant le pape Jean Paul II la gravité
de la crise en France. Il ne rencontre aucune compréhension de la part du
souverain pontife. Au contraire : le pape s'insurge et se contente de
répondre « Non ! ce n 'est pas possible ».
Pendant
ce temps, on assiste en Amérique Latine à la prolifération des sectes,
signe d'alarme pour l'Eglise et « mise en évidence d'un manquement de
sa pan, d'une sorte d'impuissance à remplir sa mission ». La
lucidité de Paul Poupard a quelque chose de touchant mais il s'arrête en
chemin. Selon lui les traditionalistes sont beaucoup trop sévères à
l'endroit de Jean-Paul U. Mgr Lefebvre et « quelques autres » mettent
en cause Assise et le sommet inter religieux qu'y a organisé le pape. Ce
sera pour eux « la goutte d'eau qui a conduit à la séparation ». Ils
y voient la preuve d'un nouvel « indifférentisme entre les religions
».
Tel
n'est pas l'avis du cardinal Poupard. Selon lui, cet événement revêt «
une grande importance pour l'évolution de la conscience de l'humanité
», Jean Paul II ce faisant a rencontré « une adhésion unanime ».
C'est que l'intuition qui a conduit à cet acte se fonde « sur
l'unité au principe et à la fin de la famille humaine » et donc «
sur le sens et la valeur des religions non-chrétiennes ».
Le
cardinal n'a pas supporté de retrouver la table de communion de son
église natale chez un brocanteur
Tout
à son admiration pour Emmanuel Mounier ou pour le Père de Lubac, le
cardinal Poupard oppose au marxisme et aux totalitarismes le
personnalisme. A la racine d'une culture chrétienne européenne, il tient
à poser « la décision souveraine de l'homme en la vérité de sa
conscience comme l'ultime fondement des décisions souveraines des Etats
». La culture est son refuge et en même temps, croit-il « un
moyen puissant d'incarner l'Evangile en notre temps ». Même s'il est
obligé de tenir compte d'« une sorte de déculturation évangélique
dans les mœurs et dans les institutions ».
Le
cardinal, de caractère heureux, occupe son temps dans des dîners, des
colloques, il va au cinéma, voyage à travers le monde. Pas de panique : «
il n'y a pas de dépérissement du religieux mais un affaiblissement des
pratiques religieuses dans les grandes religions ».
Témoin,
explique le cardinal « la difficulté que des prêtres éprouvent à
parler de la Résurrection » et sa conséquence « la croyance dans la
Réincarnation ».
Le
cardinal Poupard se réfugie dans le tout culturel dont son Dictionnaire
des Religions est une expression. Quel sens donner à son désir de
reconstituer une culture chrétienne « à partir d'un tissu chrétien,
là où il demeure » ? Le cardinal n'est guère explicite, il nous
livre simplement quelques distinctions : hier situations de chrétienté,
aujourd'hui foi chrétienne ; prise en compte de la sécularisation ou
sécularisme systématique ; acceptation de la laïcité ou zèle
laïciste...
Au
nom du « primat de l'éthique de la conscience », il en appelle à «
une autorité mondiale nécessaire ». Tels sont les combats du cardinal
et sa confiance puisée à Rome car « les papes de notre temps
apparaissent comme la conscience d'une humanité inquiète, mais qui ;
malgré tout, garde l'espérance. »
Le
message de l'ange, la nuit de Noël est plus simple, c'est la grande joie
de la naissance du Sauveur. |