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Le scoop du cardinal Poupard : Vatican II, Waterloo de l'Eglise

Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°81 - 30 décembre 2003

Le Cardinal Paul Poupard nous entraîne « au cœur du Vatican de Jean XXIII à Jean Paul II » au fil d'entretiens avec Marie-Joëlle Guillaume. Après Vienne et Bordeaux où nous avons fait escale le mois dernier, nous retrouvons à Rome les constantes de notre chronique : la crise, et spécialement celle du sacerdoce, l’« affaire Lefebvre » et la question de la liberté religieuse, le primat de la conscience. Le cardinal aujourd'hui président du conseil pontifical de la Culture, familier de Jean-Paul II est représentatif de la face convenable du parti conciliaire. On pourra donc prendre au sérieux son jugement sur Vatican II, à la fin du Concile : « Nous étions croyions-nous sous le soleil d'Austerlitz. Et puis, très vite, nous avons eu le sentiment d'un Waterloo ». Le concile fut un événement « d'essence spirituelle » soudain envahi par la « mutation culturelle » et dominé par « la contestation radicale de toute autorité et de tout dogme ». Un tel diagnostic sur Vatican II ne nous surprend pas, mais venant d'un cardinal, il vaut qu'on s'y arrête

Donnons deux exemples d'évolution. A la veille du centenaire de la loi de Séparation de 1905, le cardinal en salue le « bienfait incommensurable pour l'Eglise ». Pour saint Pie X, en revanche, cette loi représentait « la négation très claire de l'ordre surnaturel », une loi mauvaise en elle-même, fondée sur des principes néfastes pour l'Eglise comme pour la société politique.

Etudiant, Paul Poupard avait « découvert Maurice Blondel avec émerveillement ». Pour le Carême 2003 à Notre Dame de Paris, il en fait un saint pour le XXIème siècle. En face de son génie, il s'écrie : « Comment ne pas penser à un saint Thomas d'Aquin ? » C'est le philosophe en son temps condamné à Rome par le pape saint Pie X pour son modernisme qui, selon Poupard aujourd'hui, « nous a ouvert la voie et montré le chemin du discernement nécessaire au milieu des ambiguïtés. » Maurice Blondel parangon de clarté, on espère que ce jugement ironique ne l'est qu'involontairement.

En tout cas, l'enthousiasme blondelien du cardinal est sans nuage.

Pour lui, Vatican II a enfin donné les bonnes réponses aux trois questions des modernistes : « L'Eglise avec l'aide de l'Esprit a pu reprendre ces questions sur la Révélation, la liberté religieuse, la Tradition... » Qu'on en juge ! Pour ce qui est de la révélation divine tout d'abord : selon Vatican II, c'est le Christ qui est la seule source de la révélation, mais en même temps il restera toujours un mystère inconnaissable. L'agnosticisme stigmatisé chez les modernistes par saint Pie X, se trouve dans la lettre de Vatican II. La liberté religieuse ? Celle qu'enseigne Vatican II s'identifie à la liberté de conscience condamnée comme un délire par le pape Grégoire XVI. La tradition ? C'est la tradition vivante et évolutive, enseignée par Maurice Blondel, et non le dépôt irréformable dont parle saint Paul. Malgré la modération du cardinal, le mal est fait. Le mal est là !

Vatican II : une religion de la conscience

A la lecture de ce livre, on perçoit pourtant que le cardinal Poupard n'a rien d'un révolutionnaire. Il est classique.

Comment expliquer cet itinéraire si commun ? Côté racines, le cardinal plonge dans la Vendée angevine, survivance contre-révolutionnaire d'une Chrétienté résistante. Une solide famille paysanne riche de ses fidélités. Il nous donne de belles pages sur la vie rurale, les solidarités sociales s'alimentant aux vertus théologales. Au centre le prêtre aimé et admiré. Paul Poupard le revoit « immobile avec son bréviaire devant le confessionnal. Si quelqu'un venait se confesser, il le confessait ; si personne ne venait, il continuait sa prière. C'est la force de cette image qui m'a orienté vers le sacerdoce : un homme de prière et un homme de Dieu parmi les hommes ». Il fait de bonnes études : petit et grand séminaire, université catholique d'Angers, le conduisent au sacerdoce pour la Noël 1954. Aujourd'hui, nostalgique d'un séminaire comptant 250 séminaristes et n'existant plus, le cardinal s'interroge à partir des événements de 1968 sur la crise de l'identité sacerdotale : « J'ai vu, écrit-il, des clercs jeter la cléricature pardessus bord ; et c'était pour devenir libre. »

Evoquant l'étroitesse de vue de la formation des années 50, il attribue le départ de ses confrères « à une formation qui ne s'était pas confrontée en profondeur à la culture dominante ». A défaut, ces prêtres « ont revendiqué la liberté de la femme, du travail salarié, du parti politique ». Ces choix ne sont pas ceux du cardinal mais «je les respecte et je les admire » dit-il. Il reconnaît pourtant « la crise de la conscience sacerdotale ». « La volonté d'apparaître comme un laïc » manifeste chez beaucoup de prêtres un malaise profond et durable, Paul Poupard ne le cache pas. « Quand je regarde les choses à plus de trente ans de distance malgré les discours lénifiants, je pense que nous n 'en sommes pas sortis - un ressort s'est brisé dans notre Occident chrétien. »

II peut donc affirmer comprendre la démarche intellectuelle de Mgr Lefebvre comme Paul VI la comprenait. Dès 1959, Paul Poupard, appelé à Rome, assiste au Concile en observateur enthousiaste. Proche de Paul VI, il partage avec lui les angoisses de Maritain sur « le dévoiement de l'ouverture au monde ». Devenu collaborateur de Jean Paul II ? Il salue en lui l'« ardent promoteur de la déclaration sur la liberté religieuse ». Passage obligé vers une anthropologie formulée « au nom de la conscience ».

Dès le début, l'opposition de Mgr Lefebvre et des siens apparaît « au nom de l'idée que l'erreur n'a pas de droits », le décret Dignitatis Humanae est lu dans « le sens d'un anti-syllabus ». Pour Paul Poupard, Mgr Lefebvre n'a pas voulu comprendre la liberté religieuse comme la liberté de croire assortie de l'absence de toute contrainte. Le cardinal confond la liberté de l'acte de foi, qui est admise par tous et surtout par Mgr Lefebvre, avec cet enseignement nouveau du Concile : le droit civil à la liberté religieuse présentée comme une exigence du droit naturel et de la Révélation. Il lui est facile, après cette confusion, de reprocher à Mgr Lefebvre « une interprétation erronée » du texte conciliaire. Il est vraiment trop simple pour justifier le cafouillage post-conciliaire de blanchir les textes en invoquant « ce vent de folie qui a soufflé après le concile dans les années qui ont suivi ».

Au moins cette folie post-conciliaire est-elle clairement dénoncée : le cardinal n'a pas supporté de retrouver du jour au lendemain la table de communion de son église natale chez le brocanteur. Et il enfonce le clou : « les fantaisies liturgiques, devenues rares aujourd'hui, grâce à Dieu, n'ont fait venir personne à l'Eglise, mais elles ont plutôt fait fuir certains fidèles ». La fuite semble continuer pourtant. D'après le cardinal lui-même, « dans certains diocèses, la moitié des enfants n 'est pas catéchisée », des chrétiens « se demandent si Jésus-Christ est Dieu », la Hollande ne compte pratiquement plus de pratiquants...

N'y tenant plus, Paul Poupard évoque devant le pape Jean Paul II la gravité de la crise en France. Il ne rencontre aucune compréhension de la part du souverain pontife. Au contraire : le pape s'insurge et se contente de répondre « Non ! ce n 'est pas possible ».

Pendant ce temps, on assiste en Amérique Latine à la prolifération des sectes, signe d'alarme pour l'Eglise et « mise en évidence d'un manquement de sa pan, d'une sorte d'impuissance à remplir sa mission ». La lucidité de Paul Poupard a quelque chose de touchant mais il s'arrête en chemin. Selon lui les traditionalistes sont beaucoup trop sévères à l'endroit de Jean-Paul U. Mgr Lefebvre et « quelques autres » mettent en cause Assise et le sommet inter religieux qu'y a organisé le pape. Ce sera pour eux « la goutte d'eau qui a conduit à la séparation ». Ils y voient la preuve d'un nouvel « indifférentisme entre les religions ».

Tel n'est pas l'avis du cardinal Poupard. Selon lui, cet événement revêt « une grande importance pour l'évolution de la conscience de l'humanité », Jean Paul II ce faisant a rencontré « une adhésion unanime ». C'est que l'intuition qui a conduit à cet acte se fonde « sur l'unité au principe et à la fin de la famille humaine » et donc « sur le sens et la valeur des religions non-chrétiennes ».

Le cardinal n'a pas supporté de retrouver la table de communion de son église natale chez un brocanteur

Tout à son admiration pour Emmanuel Mounier ou pour le Père de Lubac, le cardinal Poupard oppose au marxisme et aux totalitarismes le personnalisme. A la racine d'une culture chrétienne européenne, il tient à poser « la décision souveraine de l'homme en la vérité de sa conscience comme l'ultime fondement des décisions souveraines des Etats ». La culture est son refuge et en même temps, croit-il « un moyen puissant d'incarner l'Evangile en notre temps ». Même s'il est obligé de tenir compte d'« une sorte de déculturation évangélique dans les mœurs et dans les institutions ».

Le cardinal, de caractère heureux, occupe son temps dans des dîners, des colloques, il va au cinéma, voyage à travers le monde. Pas de panique : « il n'y a pas de dépérissement du religieux mais un affaiblissement des pratiques religieuses dans les grandes religions ».

Témoin, explique le cardinal « la difficulté que des prêtres éprouvent à parler de la Résurrection » et sa conséquence « la croyance dans la Réincarnation ».

Le cardinal Poupard se réfugie dans le tout culturel dont son Dictionnaire des Religions est une expression. Quel sens donner à son désir de reconstituer une culture chrétienne « à partir d'un tissu chrétien, là où il demeure » ? Le cardinal n'est guère explicite, il nous livre simplement quelques distinctions : hier situations de chrétienté, aujourd'hui foi chrétienne ; prise en compte de la sécularisation ou sécularisme systématique ; acceptation de la laïcité ou zèle laïciste...

Au nom du « primat de l'éthique de la conscience », il en appelle à « une autorité mondiale nécessaire ». Tels sont les combats du cardinal et sa confiance puisée à Rome car « les papes de notre temps apparaissent comme la conscience d'une humanité inquiète, mais qui ; malgré tout, garde l'espérance. »

Le message de l'ange, la nuit de Noël est plus simple, c'est la grande joie de la naissance du Sauveur.

Cardinal Paul Poupard, Au Cœur du Vatican, de Jean XXIII à Jean-Paul II, Perrin-Mame, Paris 2003, 385 pages, 21,50 euros.