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Une contribution d'Eugenio Corti au débat actuel sur la religion

Propos recueillis par Joël Prieur

Pacte n°81 - 30 décembre 2003

L'auteur du Cheval rouge est là devant moi, au sous-sol des éditions de l'Age d'homme, avec Vladimir Dimitriévitch, son éditeur. Choisissant ses mots l'un après l'autre, il parle un français lent mais extrêmement précis. Encouragé par le succès inespéré rencontré par ce roman de plus de mille pages auprès du public français, François Livi, son traducteur, vient de publier dans notre langue un autre texte de Corti, paru pour la première fois en Italie dès 1947, et intitulé La plupart ne reviendront plus. Fascinant document sur la retraite de l'armée italienne dans le terrible hiver russe, ce journal de guerre signé par un des plus grands romanciers vivants, constitue une prodigieuse leçon de vie.

Eugenio Corti, votre œuvre tourne tout entière autour de la Deuxième Guerre mondiale, que vous avez faite d'abord sur le front de l'Est dans l'armée italienne, qui participait à l'offensive allemande contre Staline et puis, ensuite, du côté des alliés, au Mont Cassin... Mais dans le même temps, vous vous définissez vous-même comme "un romancier catholique"... N'est-ce pas un peu contradictoire d'être un homme de guerre catholique ?

Non pas du tout ! On peut dire que « je viens de h guerre »... J'avais une forme d'esprit préparée par et dans le christianisme. Mais la guerre a renforcé extraordinairement cette forme d'esprit, je me suis confirmé dans la vision chrétienne, pendant la guerre, et je conserve cette vision, priant Dieu que je ne la perde pas... Vous savez lorsque saint Paul déclare fièrement : « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi », on sent bien que lui-même aurait pu la perdre, cette foi... Alors nous...

Selon vous, la foi se perd en Europe...

J'avais des amis dont je pensais qu'il était absolument impossible qu'ils perdent la foi. Eh bien ! Aujourd'hui, ils ne l'ont plus, à cause des idées modernes. Maritain ! Maritain a apporté au monde chrétien une ouverture terrible vers les erreurs modernes. A partir de son livre Humanisme intégral (publié en 1944 NDLR), son œuvre - encore plus importante en Italie qu'en France peut-être - est un concentré d'erreurs, une ouverture au marxisme, au communisme et à la philosophie radicale. Cela a constitué un vrai désastre pour le monde catholique chez nous...

J'ai lu que vous pensiez qu'aujourd'hui la révolution viendrait plutôt de Freud ?

Je pensais effectivement qu'après la chute de Lénine, le grand danger pour l'humanité pouvait venir de freud. Mais je me rends compte aujourd'hui que le marxisme n'est pal fini. Le stalinisme est fini, le stalinisme qui donnait la mort à ceux qui ne voulaient pas de lui. Cela a été une grande libération pour l'humanité. Mais pas une libération définitive. Aujourd'hui il existe un nouveau communisme qui est en expansion dans le monde entier. Gramsci (théoricien italien du communisme NDLR) avait compris cela avant tout le monde : il expliquait que le développement du communisme venait et viendrait non pas de la classe ouvrière comme Lénine le pensait encore, mais de la classe supérieure. Ce sont les intellectuels qui diffusent le communisme. Depuis la fin du Moyen Age, remarquait Gramsci, le progrès du communisme est toujours le fait des intellectuels. Actuellement, avec le développement du Politiquement correct, le nouveau communisme ne condamne plus les opposants à la mort physique, mais au moins les condamne-t-il à la mort civile...

Qu'appelez-vous "politiquement correct" ?

On pourrait dire beaucoup de choses de cela, mais si l'on voulait résumer il faudrait dire que le politiquement correct est devenu quelque chose qui porte à la mort civile tous ceux qui ne sont pas pour la proclamation de la mort de Dieu...

Vous opposez souvent dans votre œuvre la civilisation et la barbarie. Qu'entendez-vous par là ?

Pour répondre à une telle question, il importe d'être complet. Pour moi, la civilisation est née à Athènes, puis elle s'est développée à Rome, au cours du Moyen Age chrétien et enfin dans les nations de l'Occident moderne. La route du développement de la civilisation est là. L'unique lieu où il y a liberté parmi les hommes est là, et, vous le remarquez, l'origine n'est pas chrétienne.

Les Grecs sont partis de la beauté. Pour édifier leur société, ils n'ont pas suivi la route de l'économie. C'est pour cela qu'ils ont pu bâtir quelque chose où il y a la liberté des hommes. Les Romains ont diffusé les découvertes des Grecs dans tout l'Oikouméné d'alors et ce développement a perduré durant tout le Moyen Age chrétien...

Quel est l'apport propre du christianisme à la civilisation ?

L'apport majoritaire du christianisme à la civilisation, ce fut la liberté des femmes et l'affranchissement des esclaves. La grande civilisation gréco-romaine voyait les femmes en position servile et on ne serait jamais sorti de cet état d'esprit sans le christianisme. La révélation de Dieu nous a enseigné que toute la création est le produit d'un acte gratuit de Dieu, et, à la tête de la création, il y a le genre humain. Tous les hommes sont donc dignes de la plus grande considération, parce que Dieu, en les créant, les a choisis et les a aimés.

A partir de quand selon vous l'histoire entre-t-elle en involution ? Certains contre-révolutionnaires font remonter la régression à la Renaissance...

C'est totalement faux : la Renaissance est chrétienne ! Regardez en Italie ces trois grands artistes, sommet de la civilisation, Raphaël, Léonard de Vinci et Michel-Ange : ce sont des chrétiens. Leur art est un art chrétien, qui poursuit l'élan de l'art médiéval.

Mais d'où vient la barbarie du XXème siècle ?

Parmi les nations de l'Occident moderne, nous en avons deux, au XXeme siècle, qui, officiellement, ont fait de la déchristianisation un programme, l'Allemagne et la Russie. Et c'est par ces deux nations que nous avons assisté à un retour de la barbarie, une réapparition de l'esclavage, avec un nombre énorme de tués. Durant la guerre, nos jeunes soldats italiens, en voyant les Allemands, ressentaient cette impression de barbarie. Attention : je ne dis pas que le simple soldat allemand était un barbare. On ne peut pas coller le discours du mal absolu à tout un peuple. La barbarie était dans l'esprit, c'était l'esprit nazi ou l'esprit communiste... Quant au fascisme italien, ce n'était pas quelque chose d'enthousiasmant, mais ce n'était pas la barbarie...

Alors la barbarie...

La barbarie, c'est le reniement de tout ce qui fait progresser l'homme. Il y a plusieurs manières de renier, il y a des petites barbaries et des grandes barbaries. Il faut toujours aller du côté de la vérité, il faut aller vers ce qui nous rend libres. La route de l'homme est déjà tracée : elle mène à Dieu.

Eugenio Corti, La plupart ne reviendront pas éd. De Fallois, L'Age d'homme, 250 pp, sept. 2003,19 euros.