Accueil
Articles en ligne

Centre St Paul

MetaBlog

TradiNews

Avec ou sans voile ?

Abbé de Tanoüarn

Pacte n°81 - 30 décembre 2003

Le 11 décembre 2003, la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République a remis son rapport ; le 17 décembre suivant, le président Chirac en avalisait la plupart des conclusions. Il proposait que l'on fasse une loi pour interdire aux filles de porter le voile islamique à l'école. Il ne pouvait se résoudre néanmoins à suivre les "sages" qui lui conseillaient d'instaurer - pour tous les Français - une fête de l'Aïd-el-Kébir (égorgement rituel du mouton chez les musulmans) et une fête de Kippour (le grand pardon juif). Comment justifie-t-il son refus ? Il évoque « la diversité des croyances dans cette vieille terre de chrétienté ». Oui, vous avez bien lu. Oh ! C'est au détour d'une phrase, mais la France est bel et bien qualifiée par notre président de « vieille terre de chrétienté ». Dans le Rapport Stasi, en lisant bien, on trouve une allusion similaire : « Il ne s'agit pas de remettre en cause la place historique que tiennent la culture et les confessions chrétiennes dans la société » (p. 60). On ne parlait pas ainsi au début du XXème siècle dans les cénacles républicains. L'article 2 de la loi de 1905 était catégorique : « La République ne reconnaît aucun culte ». Il n'est pas mauvais qu'un siècle plus tard, cette même République reconnaisse l'importance historique du christianisme : les sages, ce disant, sont sur la bonne voie. Malheureusement, cette remarque est loin de constituer une ligne de force de leur propos. Il faut attendre 60 pages bien tassées pour qu'ils s'avisent du fait !

C'est la laïcité qui se dévoile...

Quelle est la perspective de ces sages ? Quelle est leur vision politique de la laïcité ? Le titre de leur Rapport l'indique : il s'agit d'ériger la laïcité en principe. Pas seulement en principe constitutionnel : cela a déjà été affirmé dans le préambule des constitutions de la IVème et de la Vème République. Selon nos experts, la laïcité n'est pas seulement le moyen d'une sorte d’hygiène politique, garantissant la paix civile par la neutralité de l'Etat. C'est bien plus que cela : la laïcité, à les entendre, devient un principe social. « Elle traduit une conception du bien commun » (p. 7). « L'ensemble des composantes de la société se rallie au pacte laïc » (p. 10). « C'est une valeur, partagée par tous au sein du pacte républicain » (p. 10). En le défendant « l'Etat permet la consolidation de valeurs communes qui fondent le lien social dans ce pays », « l'Etat défend les valeurs communes de la société dont il est issu » (p. 13). « La laïcité peut être le levain de l'intégration de tous dans la société » (p. 16).

Ces formules répétitives doivent être expliquées. Un peu de philosophie politique ne ferait pas de mal, mais malheureusement ce n'est pas ici le lieu de philosopher. Prenons les choses autrement. Cette image par exemple : la laïcité est un levain d'intégration, elle ne vous rappelle rien ? Incontestablement, elle provient de l'Evangile. Le Christ exhortait ses disciples à devenir le sel de la terre ou le levain qui fait lever la pâte humaine. Approprier cette image du levain à la laïcité, ce n'est pas un simple larcin sans importance. Cela signifie que la modernité doit vivre à l'heure d'une sorte d'évangile Me, créateur de lien social et garant de paix civile. Dans l'esprit des sages, la laïcité a remplacé la chrétienté. Aux mêmes conditions. On n'ose pas encore parler de religion civile, mais lorsqu'on dit et répète que la laïcité dessine et dessine seule l'ébauche de nos valeurs communes, on se trouve tout près de cette bonne vieille idée républicaine, que Rousseau naguère voulut réhabiliter. Oui, il s'agit de nous imposer une sorte de dogme commun, dans lequel tous les Français, quelle que soit leur origine, quelles que soient leurs pratiques religieuses, puissent se retrouver - ensemble.

Quel est ce dogme, direz-vous ? Les rédacteurs du Rapport n'ont pas été très bavards là-dessus. Ils ont dit et répété que la laïcité, aujourd'hui « ne se réduisait pas à la neutralité de l'Etat » (p. 10). L'Etat laïc n'est pas neutre, en effet, puisqu'il doit défendre la liberté des individus vis-à-vis de toutes les traditions religieuses. Entre ces deux impératifs, l'impératif de la neutralité de l'Etat, qui traditionnellement définit la laïcité et l'impératif de l'éducation du citoyen à la liberté de conscience, qui s'impose aujourd'hui au législateur, « l'articulation est délicate » (p. 25).

Cette problématique est vieille comme la Révolution française, elle remonte même sans doute aux sociniens, aux arminiens et aux remontrants, elle exprime la crise de la conscience européenne que l'on peut faire remonter à la fin du XVIIème siècle. Mais elle n'a rien à voir avec la Loi de 1905. Jamais il n'a été question, en 1905, d'assurer positivement la liberté individuelle comme base nouvelle de toutes les valeurs religieuses. La loi de 1905 ne s'en prend pas aux personnes, elle ne prétend pas assurer l'éducation du citoyen. C'est une loi qui privatise les religions. Point c'est tout.

Si l'on suit les sages, on sacrifie la lettre de cette loi de 1905 et l'on s'oriente vers une laïcité agressive, qui se réserverait à elle-même le monopole de la vérité.

Voici du reste, comment les sages énoncent ce monopole : « Chacun doit pouvoir, dans une société laïque, prendre de la distance vis-à-vis de la Tradition. Il n'y a là aucun reniement de soi mais un mouvement individuel de liberté, permettant de se définir par rapport à ses références culturelles ou spirituelles, sans y être assujetti » (p. 15). Le voilà le nouveau dogme ! Distance de tous et de chacun vis-à-vis de la tradition religieuse d'origine ! Il sera loisible, désormais, de « se définir par rapport à ses références culturelles ou spirituelles », mais il sera interdit de se laisser définir par elles. Il faudra placer avant la vérité religieuse, la liberté du choix, qui autorise toutes les références du moment qu'elles sont le fruit d'un libre examen individuel. Effectivement, un Etat qui professe une telle idéologie et qui veut en faire « l'une des composantes du pacte social » n'est pas un Etat neutre. Au moins les sages ont-ils eu l'honnêteté de le reconnaître.

Les raisons de la dégradation de la situation

Comment expliquer une telle dérive ? « Les raisons de la dégradation de la situation n'ont pas besoin d'être rappelées » note Bernard Stasi, en introduction au Rapport qu'il a remis au président. Il les détaille tout de même, en énumérant « les difficultés de l'intégration de ceux qui sont arrivés sur le territoire national au cours des dernières décennies, les conditions de vie dans de nombreuses banlieues de nos villes, le chômage, le sentiment éprouvé par beaucoup de ceux qui habitent sur notre territoire d'être l'objet de discriminations, voire d'être rejetés en dehors de la communauté nationale, (tout cela) explique qu 'ils prêtent une oreille bienveillante à ceux qui les incitent à combattre ce que nous appelons, nous, les valeurs de la République ». Bernard Stasi semble surtout mettre en cause les réactions des Français de souche pour expliquer les difficultés de l'intégration, ce qui paraît un peu léger !

De façon plus précise, le Rapport lui-même note : « L'islam, religion la plus récemment implantée en France et qui compte de nombreux fidèles, est parfois présenté comme inconciliable avec la laïcité », même si les sages se déclarent persuadés que « la culture musulmane peut trouver dans son histoire les ressources lui permettant de s'accommoder à un cadre laïc » (p. 14). Le mot n'est pas prononcé, mais il est clair qu'en orientant les musulmans vers une relecture de leur histoire, la commission n'hésite pas à envisager la nécessité d'une réforme intérieure de l'islam, qui lui permette de « s'accommoder à un cadre laïc ». Les sages offrent en modèle d'intégration laïque l'Église catholique : cette dernière « craignait avoir tout à perdre. Sa résignation, son acceptation et finalement son adhésion au cadre laïc ont été essentielles pour l'apaisement de notre société » (p. 14).

Il s'agit donc de faire passer la religion musulmane au laminoir de la laïcité agressive. Que restera-t-il de l'islam après un tel traitement ? Sans doute pas grand-chose, mais peu importe. Seul ce cadre laïc permet d'imaginer « un espace public que tous peuvent partager » (ibid.) et au fond c'est bien là la seule chose qui importe en République. Cela dit, pour imposer à tous cette "laïcisation de l'islam", il faudra concevoir la laïcité comme offensive, comme fondatrice du pacte social, comme religion de substitution... Il faudra créer, immédiatement, au sein de la société, à travers les écoles, les hôpitaux et même les entreprises, des « sanctuaires de la laïcité » comme dit le président Chirac dans son discours, des lieux où l'on mette son identité au placard pour être seulement, tous ensemble « des fils et des filles de la République, comme le sont tous les enfants de France » quelle que soit leur origine. Voilà la perspective que nous offre le pacte républicain : devenir « des fils et des filles de la République », renforcer la République, faire appel « au plus profond de notre conscience » pour devenir tous ensemble des citoyens, découvrant dans « le principe de laïcité le faisceau de leurs valeurs communes ». Jacques Chirac dépasse ici les précautions de la Commission Stasi. Pourquoi s'en encombrer ? La République est en danger, mais c'est la République seule qui nous sauvera de ce que Chirac nomme pudiquement "le communautarisme" : « le communautarisme ne saurait être un choix de la France, elle y perdrait son âme ». Succulente expression dans ce contexte, lorsqu'on sait que les évêques ne veulent plus l'utiliser dans le leur... Chirac explique benoîtement que la solution du problème social actuel, c'est de donner à tous les Français la religion de la République.

Dévoiler pour tuer

Et voilà pourquoi il importe d'interdire le port du voile aux jeunes filles scolarisées par la République : « L'Ecole est l'instrument par excellence d'enracinement de l'idée républicaine » ajoute le président tel saint Jean Bouche d'Or. C'est à l'Ecole que devra commencer un nouvel enseignement, vraiment libérateur, qui permette à tous les Français, quelle que soit leur origine, non seulement de vivre ensemble mais de faire de la laïcité "le principe" préalable qui organise leur vie et gouverne leurs convictions.

Que deviennent les religions dans un tel contexte ? Elles ont un accès réglementé à l'espace public, où les évêques, les pasteurs, les imams interviennent à titre d'experts ou de consultants en éthique sociale. Mais elles n'ont plus accès à la société réelle, à l'école, à l'hôpital, à l'entreprise : « La laïcité est incompatible avec toute conception de la religion qui souhaiterait régenter le système social, au nom des principes supposés de celle-ci » (p. 11). Il est évident que séparer "en principe" les religions de l'espace social, c'est les tuer, c'est détruire leur champ d'expression naturel. Et on les tuera d'autant plus efficacement qu'on leur concédera une place dans quelque commission d'éthique et autres think tanks purement consultatifs... Et socialement virtuels...