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Chronique de la débâcle épiscopale

De Vienne à Bordeaux : la crise et le défi

Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°80 - 30 novembre 2003

Deux ouvrages proches par leur titre Le défi du Christianisme du cardinal Christoph Schönborn, et Sept défis pour l'Eglise de Mgr Jean-Pierre Ricard mettent en scène deux visions de l'Eglise conciliaire.

Au XVIIème siècle, « défi » est synonyme de provocation au combat. Sans abandonner ce sens, Littré le prolonge en parlant d'une « déclaration provocante par laquelle on exprime à quelqu'un qu'on le juge hors d'état défaire quelque chose ». Par ce mot les deux évêques ont peut-être inconsciemment voulu exprimer combien l'Eglise d'aujourd'hui paraissait hors d'état de faire quelque chose que ce soit...

La révolution ecclésiastique précède la révolte de 1968

L'archevêque de Vienne et celui de Bordeaux plongent leurs racines dans le catholicisme de l'après-guerre. La vie chrétienne soutenue dans les familles, les paroisses et de multiples institutions donnent de nombreuses vocations. A 18 ans, Christoph Schönborn entre au noviciat des dominicains, nous sommes en 1963 « dernière année d'un noviciat très classique, préconciliaire ». Austérité et beauté se conjuguent. Pas pour longtemps, un an plus tard il assiste à « l'explosion de la crise ». Les anciens sont déboussolés, les jeunes gagnés par le marxisme s'en vont. Ici encore la révolution ecclésiastique précède la révolte de 1968. C'est dans l'abandon de la prière que le jeune dominicain discerne la cause prochaine d'une agitation où les religieux fidèles font figure d'anormaux. Au Saulchoir « en pleine déconfiture » il s'isole. Ceux qui étaient les maîtres du changement dans les années cinquante font maintenant figure de conservateurs. Il sera leur disciple ; le Père Le Guillou dirige sa thèse, Congar, Chenu, de Lubac sont des modèles enviés. L'abandon du thomisme, un tournant « pas entièrement inutile » lui laisse le regret de n'avoir pas reçu l'apport instrumental de saint Thomas. Cet outil donnant « aux apprentis théologiens une structure d'analyse et de pensée » lui fait défaut. Sa découverte de saint Thomas sera donc clandestine. A Fribourg, il enseigne aux Allemands, disciple de Küng, mais la section française lui offre « un thomisme ouvert et spirituel ». Pendant ces années « la barque de Pierre tanguait beaucoup... Les baptisés avaient le mal de mer ».

Ordonné en 1968, Jean-Pierre Ricard a « bu le lait de la théologie avec le concile ». Homme de bureaux, après un cours passage en paroisse, il accède à l'épiscopat. La clarté intellectuelle de sa définition de l'épiscopat « communion spirituelle » résume sa formation. Mgr Ricard « en charge de l'animation et de la coordination des évêques de France » se décrit comme « celui qui aide à ce que l'on vive ensemble le mystère de l'Eglise, alors que chacun, qu'il s'agisse des individus ou des groupes peut tenter de se refermer sur soi, en pensant que sa position est la meilleure ». Tentation à laquelle il a succombé dans l'affaire de Saint Eloi, perdant, dit-on, dans ce mauvais pas de clerc, le chapeau de cardinal. D'où son premier défi : « Accepter d'être évêque aujourd'hui ».

« Rendre la foi crédible au XXIème siècle »

Christoph Schönborn est l'homme du catéchisme de l'Eglise catholique. Le cardinal Ratzinger lui confie la tentative de fusion entre la doctrine traditionnelle et Vatican II. L'épiscopat récompense son travail et le voici cardinal archevêque de Vienne, certains l'imaginant sur le siège de Pierre.

Si l'on en croit Mgr Ricard, le discours de l'Eglise avant le concile portait surtout sur la mort et l'au-delà ; « un travail d'harmonisation » le remplace avantageusement. Le cardinal regrette pourtant l'hésitation des théologiens « à aborder le sujet de l'immortalité » passant pour « antisocial et non biblique ». En conséquence « un prédicateur n 'a plus guère envie de prêcher sur la vie éternelle » quand il faudrait réapprendre aux chrétiens à vivre en vue de l'éternité.

Mgr Ricard veut « rendre la foi crédible au XXIème siècle ». Tout en se déclarant incapable « de démontrer que la foi s'impose à moi comme une évidence ». Au mieux elle peut « rendre compte du chemin d'humanisation qu'elle méfait vivre ». C'est du vécu à partager, une expérience : « Je découvre qu'avec le Christ quelque chose dans l'édification de mon être me fait approcher du bonheur. » La conscience individuelle de Mgr Ricard est seule juge de la foi. Elle est le fruit de la vérité de son expérience, maître mot de son vocabulaire. La religion de l'archevêque de Bordeaux comble ses désirs naturels, sentiments, utilité, émotion et piété n'ont pas besoin de la Révélation. Où rejoindre le cœur du « message chrétien » pour entendre « une parole de Dieu sur le bonheur de l'homme » ?

« L'absence massive des 20-40 ans dans les églises »

Le décor s'assombrit en Autriche et en France : l'Eglise n'intéresse plus les jeunes. A Vienne « la fréquentation des églises s'est réduite de moitié au cours des quinze dernières années ». A Bordeaux c'est « l'absence massive des 20-40 ans dans les églises ». Christoph Schönborn ne le cache pas : « nous nous sommes retirés nous-même de l'espace public ». Deux exemples : « beaucoup de prêtres ne sont plus reconnaissables à leurs habits » et les églises sont fermées ôtant aux fidèles « le plus précieux ». Les catholiques autrichiens marginalisés sont devenus une minorité promise à l'exclusion sociale. La France fait ici figure d'avant-garde. « Pendant plusieurs décennies, constate Mgr Ricard, nous avons eu la mystique de l'enfouissement et de la présence au monde : le chrétien témoignait en partageant la vie des autres ». Avec l'effet obligatoire de cette approche totalement subjective : « la religion est dissociée des responsabilités familiales, professionnelles et sociales ». Le diagnostic se veut rassurant : on n'est « pas sûr qu 'il y ait un désintérêt global pour toute proposition ecclésiale » malgré l'absence « d'entrée massive ».

Piètre consolation !

La concurrence religieuse, la revendication de visibilité de l'Islam embarrasse Jean-Pierre Ricard : « Dans une société pluraliste, il faut que l'on sache qui vous êtes. Si vous n'êtes pas identifiés, vous disparaissez. » Avec l'Islam, les catholiques pratiquent les règles de la liberté de conscience et de la liberté religieuse déterminées au Concile. Chrétiens et musulmans échangeront sur leurs « expériences spirituelles respectives ». Les musulmans finiront par entrer dans la société civile comme les catholiques se sont ralliés à la république. Le consensus se fera sur la laïcité.

Une solution : l'alter-mondialisation

A Vienne, on voit dans IV intense engagement des laïques » le plus beau fruit du concile, ne dépassant pas toutefois les murs des sacristies. A Bordeaux, la crainte s'installe côté laïcs « la génération des 60-80 ans » ne voit pas la relève. A Vienne, du côté du sacerdoce, la crise des vocations a un effet bénéfique : elle provoque à « des changements théologiques et liturgiques ». La cause à Bordeaux est mathématique : «Aujourd'hui l'Eglise est en contact avec beaucoup moins de jeunes qu'autrefois. » L'archevêque est « un peu » inquiet de l'absence d'entrées dans les séminaires mais garde confiance dans sa pastorale des jeunes et dans ses communautés. A Bordeaux on se propose de réfléchir « à la forme de vie sacerdotale qui pourrait attirer les jeunes » Mais se demande Jean-Pierre Ricard « nos communautés osent-elles appeler ? » En face d'un clergé manifestant « une espèce de paralysie », il prône une « écologie des vocations ».

Autre défi bordelais : la modernisation du langage de la famille confronté à la fragilité de la vie conjugale et à l'affaiblissement de la « figure » paternelle. L'Eglise « ne participe pas au mouvement général d'acceptation fataliste des ruptures » et l'archevêque se doit de « défendre fermement la conception chrétienne du mariage ». L'avortement et l'euthanasie sont des crimes, la clarté des propos viennois est privée d'impact chez les chrétiens divisés. Le cardinal le déplore, il voudrait les chrétiens « capables de faire front dans l'unité et de résister. Mais cette résistance suppose que tous dans l'Eglise soient persuadés de cette urgence ».

Un malheureux plaidoyer pour une démocratie, selon lui, héritière de la vieille chrétienté encombre l'ouvrage du cardinal. La pensée européenne a inventé le « sécularisme démocratique qui dans la forme s'est avéré de tous les systèmes politiques celui qui peut le mieux assurer le respect de la personne humaine, de sa vie, de ses engagements ». Il le répète : « le système démocratique représente, selon l'Eglise, la forme de gouvernement qui garantit le mieux ses droits à l'homme ». Le couronnement de ce chef-d'œuvre d'amnésie historique est dans le souhait d'un engagement des chrétiens selon la formule des catholiques libéraux en faveur « d'une Eglise libre dans un Etat libre ». Les deux extrêmes de l'Etat confessionnel et de la séparation radicale l'imposent. A Vienne la dialectique absurde : la société pour l'homme ou l'homme pour la société appelle la solution personnaliste. Seule l'Eglise, selon le cardinal, à ce qu'il faut « pour réussir une démocratie » et elle seule pourra la sauver et lui donner une âme. Mgr Ricard est plus modeste. Pour sortir d'un système « idolâtre qui ne peut que détruire l'homme et la société » il se contente d'en appeler à la capacité d'invention et de réflexion des chrétiens. Il l'espère par exemple de ceux qui « se sont investis dans les Assises de la mondialisation à Porto-Alegre ». L'alter-mondialisme comme solution à la crise, il fallait y penser !

Surtout ne pas changer de chemin : garder le concile quand même

Apôtre de la mondialisation, lui aussi, le cardinal de Vienne se désole de constater l'état de crise partout : crise de l'Eglise et de la société, crise de la foi et de la morale, de l'économie et de l'emploi, crise des vocations et crise de la médecine... Or : « on ne remédie pas à une crise, qu'elle touche les individus ou les choses, en la niant ou en refusant de voir les difficultés par peur ou par indifférence. » Le défi du christianisme est celui d'une identité à retrouver « dont dépend la vie ou la mort selon la décision que l'on prend ». Le cardinal refuse la ligne de partage entre les novateurs et les conservateurs. Pourtant avec ses amis charismatiques, il appartient à ceux qui « croient avec confiance que la crise se réglera raisonnablement si on poursuit résolument le chemin sur lequel on s'est engagé ». U le constate « l'on revient beaucoup à certaines coutumes chrétiennes oubliées ». D'autres exigent « que l'on change radicalement de façon de penser et que l'on s'écarte définitivement d'un chemin qui s'avère dangereux. » Mais le cardinal dénonce ces déviationnistes, suspects d'intégrisme.

A Bordeaux, Mgr Ricard, il le craignait, flotte dans son habit trop grand

S'il faut faire un bilan, l'archevêque de Bordeaux concède que l'analyse de la société faite lors de Vatican II pour adapter la pastorale a été « une illusion à laquelle je n'ai moi-même pas échappé. » Ceux « qui mettent Vatican II en accusation et le rendent responsable de ce mouvement de sécularisation » sont coupables d'une « profonde erreur ». Selon Mgr Ricard, il faut se situer entre la carapace intégriste et les démissions systématiques d'une Eglise qui se vivrait dans le pluralisme. Il importe donc de ne pas rejeter « une demande plus identitaire ». Témoin cette conférence épiscopale où, au milieu de leurs divergences, les évêques arrivent à se retrouver « sur un certain nombre de points essentiels de la foi ».

A Bordeaux, Mgr Ricard, il le craignait, flotte dans son habit trop grand ; à Vienne, le cardinal se sent incompris et indésirable. Seigneur Venez !

Cardinal Schönborn, Le défi du christianisme, Le Cerf, 2003,199 pages, 20 euros.

Mgr Jean-Pierre Ricard, Sept défis pour l'Eglise, Entretiens avec Yves Gentil-Baichis, Bayard 2003,149 pages, 18 euros.