Deux
ouvrages proches par leur titre Le défi du Christianisme du
cardinal Christoph Schönborn, et Sept défis pour l'Eglise de Mgr
Jean-Pierre Ricard mettent en scène deux visions de l'Eglise conciliaire.
Au
XVIIème siècle, « défi » est synonyme de provocation au
combat. Sans abandonner ce sens, Littré le prolonge en parlant d'une «
déclaration provocante par laquelle on exprime à quelqu'un qu'on le juge
hors d'état défaire quelque chose ». Par ce mot les deux évêques
ont peut-être inconsciemment voulu exprimer combien l'Eglise
d'aujourd'hui paraissait hors d'état de faire quelque chose que ce
soit...
La
révolution ecclésiastique précède la révolte de 1968
L'archevêque
de Vienne et celui de Bordeaux plongent leurs racines dans le catholicisme
de l'après-guerre. La vie chrétienne soutenue dans les familles, les
paroisses et de multiples institutions donnent de nombreuses vocations. A
18 ans, Christoph Schönborn entre au noviciat des dominicains, nous
sommes en 1963 « dernière année d'un noviciat très classique,
préconciliaire ». Austérité et beauté se conjuguent. Pas pour
longtemps, un an plus tard il assiste à « l'explosion de la crise ».
Les anciens sont déboussolés, les jeunes gagnés par le marxisme
s'en vont. Ici encore la révolution ecclésiastique précède la révolte
de 1968. C'est dans l'abandon de la prière que le jeune dominicain
discerne la cause prochaine d'une agitation où les religieux fidèles
font figure d'anormaux. Au Saulchoir « en pleine déconfiture » il
s'isole. Ceux qui étaient les maîtres du changement dans les années
cinquante font maintenant figure de conservateurs. Il sera leur disciple ;
le Père Le Guillou dirige sa thèse, Congar, Chenu, de Lubac sont des
modèles enviés. L'abandon du thomisme, un tournant « pas
entièrement inutile » lui laisse le regret de n'avoir pas reçu
l'apport instrumental de saint Thomas. Cet outil donnant « aux
apprentis théologiens une structure d'analyse et de pensée » lui
fait défaut. Sa découverte de saint Thomas sera donc clandestine. A
Fribourg, il enseigne aux Allemands, disciple de Küng, mais la section
française lui offre « un thomisme ouvert et spirituel ». Pendant
ces années « la barque de Pierre tanguait beaucoup... Les baptisés
avaient le mal de mer ».
Ordonné
en 1968, Jean-Pierre Ricard a « bu le lait de la théologie avec le
concile ». Homme de bureaux, après un cours passage en paroisse, il
accède à l'épiscopat. La clarté intellectuelle de sa définition de
l'épiscopat « communion spirituelle » résume sa formation. Mgr
Ricard « en charge de l'animation et de la coordination des évêques
de France » se décrit comme « celui qui aide à ce que l'on vive
ensemble le mystère de l'Eglise, alors que chacun, qu'il s'agisse des
individus ou des groupes peut tenter de se refermer sur soi, en pensant
que sa position est la meilleure ». Tentation à laquelle il a
succombé dans l'affaire de Saint Eloi, perdant, dit-on, dans ce mauvais
pas de clerc, le chapeau de cardinal. D'où son premier défi : «
Accepter d'être évêque aujourd'hui ».
«
Rendre la foi crédible au XXIème siècle »
Christoph
Schönborn est l'homme du catéchisme de l'Eglise catholique. Le cardinal
Ratzinger lui confie la tentative de fusion entre la doctrine
traditionnelle et Vatican II. L'épiscopat récompense son travail et le
voici cardinal archevêque de Vienne, certains l'imaginant sur le siège
de Pierre.
Si
l'on en croit Mgr Ricard, le discours de l'Eglise avant le concile portait
surtout sur la mort et l'au-delà ; « un travail d'harmonisation » le
remplace avantageusement. Le cardinal regrette pourtant l'hésitation des
théologiens « à aborder le sujet de l'immortalité » passant
pour « antisocial et non biblique ». En conséquence « un
prédicateur n 'a plus guère envie de prêcher sur la vie éternelle » quand
il faudrait réapprendre aux chrétiens à vivre en vue de l'éternité.
Mgr
Ricard veut « rendre la foi crédible au XXIème siècle ».
Tout en se déclarant incapable « de démontrer que la foi s'impose à
moi comme une évidence ». Au mieux elle peut « rendre compte du chemin
d'humanisation qu'elle méfait vivre ». C'est du vécu à partager, une
expérience : « Je découvre qu'avec le Christ quelque chose dans
l'édification de mon être me fait approcher du bonheur. » La conscience
individuelle de Mgr Ricard est seule juge de la foi. Elle est le fruit de
la vérité de son expérience, maître mot de son vocabulaire. La
religion de l'archevêque de Bordeaux comble ses désirs naturels,
sentiments, utilité, émotion et piété n'ont pas besoin de la
Révélation. Où rejoindre le cœur du « message chrétien » pour
entendre « une parole de Dieu sur le bonheur de l'homme » ?
«
L'absence massive des 20-40 ans dans les églises »
Le
décor s'assombrit en Autriche et en France : l'Eglise n'intéresse plus
les jeunes. A Vienne « la fréquentation des églises s'est réduite de
moitié au cours des quinze dernières années ». A Bordeaux c'est «
l'absence massive des 20-40 ans dans les églises ». Christoph Schönborn
ne le cache pas : « nous nous sommes retirés nous-même de l'espace
public ». Deux exemples : « beaucoup de prêtres ne sont plus
reconnaissables à leurs habits » et les églises sont fermées ôtant
aux fidèles « le plus précieux ». Les catholiques autrichiens
marginalisés sont devenus une minorité promise à l'exclusion sociale.
La France fait ici figure d'avant-garde. « Pendant plusieurs décennies,
constate Mgr Ricard, nous avons eu la mystique de l'enfouissement et de la
présence au monde : le chrétien témoignait en partageant la vie des
autres ». Avec l'effet obligatoire de cette approche totalement
subjective : « la religion est dissociée des responsabilités
familiales, professionnelles et sociales ». Le diagnostic se veut
rassurant : on n'est « pas sûr qu 'il y ait un désintérêt global pour
toute proposition ecclésiale » malgré l'absence « d'entrée massive
».
Piètre
consolation !
La
concurrence religieuse, la revendication de visibilité de l'Islam
embarrasse Jean-Pierre Ricard : « Dans une société pluraliste, il
faut que l'on sache qui vous êtes. Si vous n'êtes pas identifiés, vous
disparaissez. » Avec l'Islam, les catholiques pratiquent les règles
de la liberté de conscience et de la liberté religieuse déterminées au
Concile. Chrétiens et musulmans échangeront sur leurs « expériences
spirituelles respectives ». Les musulmans finiront par entrer dans la
société civile comme les catholiques se sont ralliés à la république.
Le consensus se fera sur la laïcité.
Une
solution : l'alter-mondialisation
A
Vienne, on voit dans IV intense engagement des laïques » le plus
beau fruit du concile, ne dépassant pas toutefois les murs des
sacristies. A Bordeaux, la crainte s'installe côté laïcs « la
génération des 60-80 ans » ne voit pas la relève. A Vienne, du
côté du sacerdoce, la crise des vocations a un effet bénéfique : elle
provoque à « des changements théologiques et liturgiques ». La
cause à Bordeaux est mathématique : «Aujourd'hui l'Eglise est en
contact avec beaucoup moins de jeunes qu'autrefois. » L'archevêque
est « un peu » inquiet de l'absence d'entrées dans les
séminaires mais garde confiance dans sa pastorale des jeunes et dans ses
communautés. A Bordeaux on se propose de réfléchir « à la forme de
vie sacerdotale qui pourrait attirer les jeunes » Mais se demande
Jean-Pierre Ricard « nos communautés osent-elles appeler ? » En
face d'un clergé manifestant « une espèce de paralysie », il
prône une « écologie des vocations ».
Autre
défi bordelais : la modernisation du langage de la famille confronté à
la fragilité de la vie conjugale et à l'affaiblissement de la « figure
» paternelle. L'Eglise « ne participe pas au mouvement général
d'acceptation fataliste des ruptures » et l'archevêque se doit de «
défendre fermement la conception chrétienne du mariage ». L'avortement
et l'euthanasie sont des crimes, la clarté des propos viennois est
privée d'impact chez les chrétiens divisés. Le cardinal le déplore, il
voudrait les chrétiens « capables de faire front dans l'unité et de
résister. Mais cette résistance suppose que tous dans l'Eglise soient
persuadés de cette urgence ».
Un
malheureux plaidoyer pour une démocratie, selon lui, héritière de la
vieille chrétienté encombre l'ouvrage du cardinal. La pensée
européenne a inventé le « sécularisme démocratique qui dans la forme
s'est avéré de tous les systèmes politiques celui qui peut le mieux
assurer le respect de la personne humaine, de sa vie, de ses engagements
». Il le répète : « le système démocratique représente, selon
l'Eglise, la forme de gouvernement qui garantit le mieux ses droits à
l'homme ». Le couronnement de ce chef-d'œuvre d'amnésie historique
est dans le souhait d'un engagement des chrétiens selon la formule des
catholiques libéraux en faveur « d'une Eglise libre dans un Etat
libre ». Les deux extrêmes de l'Etat confessionnel et de la
séparation radicale l'imposent. A Vienne la dialectique absurde : la
société pour l'homme ou l'homme pour la société appelle la solution
personnaliste. Seule l'Eglise, selon le cardinal, à ce qu'il faut «
pour réussir une démocratie » et elle seule pourra la sauver et lui
donner une âme. Mgr Ricard est plus modeste. Pour sortir d'un système «
idolâtre qui ne peut que détruire l'homme et la société » il
se contente d'en appeler à la capacité d'invention et de réflexion des
chrétiens. Il l'espère par exemple de ceux qui « se sont investis
dans les Assises de la mondialisation à Porto-Alegre ». L'alter-mondialisme
comme solution à la crise, il fallait y penser !
Surtout
ne pas changer de chemin : garder le concile quand même
Apôtre
de la mondialisation, lui aussi, le cardinal de Vienne se désole de
constater l'état de crise partout : crise de l'Eglise et de la société,
crise de la foi et de la morale, de l'économie et de l'emploi, crise des
vocations et crise de la médecine... Or : « on ne remédie pas à une
crise, qu'elle touche les individus ou les choses, en la niant ou en
refusant de voir les difficultés par peur ou par indifférence. » Le
défi du christianisme est celui d'une identité à retrouver « dont
dépend la vie ou la mort selon la décision que l'on prend ». Le
cardinal refuse la ligne de partage entre les novateurs et les
conservateurs. Pourtant avec ses amis charismatiques, il appartient à
ceux qui « croient avec confiance que la crise se réglera
raisonnablement si on poursuit résolument le chemin sur lequel on s'est
engagé ». U le constate « l'on revient beaucoup à certaines
coutumes chrétiennes oubliées ». D'autres exigent « que l'on
change radicalement de façon de penser et que l'on s'écarte
définitivement d'un chemin qui s'avère dangereux. » Mais le
cardinal dénonce ces déviationnistes, suspects d'intégrisme.
A
Bordeaux, Mgr Ricard, il le craignait, flotte dans son habit trop grand
S'il
faut faire un bilan, l'archevêque de Bordeaux concède que l'analyse de
la société faite lors de Vatican II pour adapter la pastorale a été «
une illusion à laquelle je n'ai moi-même pas échappé. » Ceux « qui
mettent Vatican II en accusation et le rendent responsable de ce mouvement
de sécularisation » sont coupables d'une « profonde erreur ». Selon
Mgr Ricard, il faut se situer entre la carapace intégriste et les
démissions systématiques d'une Eglise qui se vivrait dans le pluralisme.
Il importe donc de ne pas rejeter « une demande plus identitaire ». Témoin
cette conférence épiscopale où, au milieu de leurs divergences, les
évêques arrivent à se retrouver « sur un certain nombre de points
essentiels de la foi ».
A
Bordeaux, Mgr Ricard, il le craignait, flotte dans son habit trop grand ;
à Vienne, le cardinal se sent incompris et indésirable. Seigneur Venez ! |