Laurent
Marie, après avoir réalisé avec beaucoup de sensibilité un certain
nombre des photos de notre album Saint-Nicolas-du-Chardonnet,
l'expérience de la Tradition, vous avez enfin pu mettre à exécution un
vieux rêve : faire un film (vidéo) sur le pèlerinage de Chartres. Un
vrai film, pas une succession de plans filmés! A l'heure où l'on nous
annonce que le lundi de Pentecôte ne sera plus considéré dans les
entreprises comme un jour chômé, on peut dire que votre film montre le
dernier pèlerinage de la Pentecôte. Qualité et nostalgie, voilà un
cocktail détonnant ! Mais quel était votre objectif initial ?
Je
voulais d'abord foire un film qui ne soit pas un simple documentaire, un
film qui raconte le pèlerinage comme une histoire, avec un commencement
et une fin. Pour donner un rythme à cette succession d'images, il a fallu
d'abord éviter les temps de "méditations filmées",
véritables temps morts pour le spectateur, qui, bien entendu, ne s'est
pas mis, lui, devant son poste de télévision pour prier. Il a fallu
aussi varier les séquences : dans ce but, nous avons fait un entretien
exclusif avec Mgr Tissier de Mallerais. Quelques minutes plus statiques
dans la longue marche des pèlerins ! Et puis, cette longue marche, j'ai
voulu montrer, avec des images, comment elle s'inscrit dans la plus longue
histoire de l'Eglise romaine...
Vous
montrez, je crois quelques très belles photos d'archivé de différents
papes du début du siècle et même, en exclusivité, un film réalisé
sur le pape Léon XIII, dans tes toutes premières années du XXe siècle
?
J'ai
réussi à me procurer effectivement ce film de Léon XIII, bénissant à
la romaine, assis sur sa cathèdre pontificale. Le geste est émouvant !
Il s'adresse à nous, cette bénédiction parvient jusqu'à nous dans
l'intemporalité du m/stère de l'Eglise, j'aurais préféré un film sur
son successeur le pape saint Pie X, mais bizarrement cela n'existe pas !
Peu importe ! Il s'agissait de montrer que tous ces marcheurs
marchent pour l'Eglise,
sans polémiques inutiles. Leur élan le plus profond vient de
Rome et y retourne. Les images que l'on peut voir sont indissociablement
celles de l'Eglise d'hier et de l'Eglise d'aujourd'hui. On comprend
qu'elles sont aussi celles de l'Eglise de demain. C'était un peu le
thème de ce film, montrer ce qu'il y a de profondément concret, de
cuisant (nous sommes déjà dans la fameuse canicule), mais montrer aussi
que ce pèlerinage est une sorte de miracle intemporel. C'est cela la
Tradition au fond quand on y réfléchit : non pas le passé mais ce qui
reste du temps qui passe !
Quelle
est votre ambition pour ce travail ? Sur quels critères avez-vous
sélectionné ces images ?
Vous
avez raison d'insister sur cette sélection. À l'arrivée, après trois
jours de prises de vue dans la bonne humeur et la plus grande
liberté de mouvement, nous avions près de neuf heures de
matériau brut, où se mêlent les visages et les chants des pèlerins,
les paysages, les messes, les sermons, les veillées, les bivouacs... En
sélectionnant ces images, j'ai voulu montrer avant tout que la Tradition
n'était pas ringarde, que les pèlerins n'étaient pas des dinosaures
nostalgiques d'une messe qui n'aurait plus cours que dans leurs souvenirs.
La jeunesse a répondu présent à l'appel des organisateurs, elle est
là, nombreuse et enthousiaste ! je n'ai pas cherché à me faire plaisir
avec des "photos souvenirs" plus ou moins personnelles. Je crois
que le cinéma, c'est toujours un spectacle. Ce qui m'a intéressé, c'est
de retrouver l'élan qui pousse ces pèlerins durant trois jours, chaque
année, sur les routes de Chartres. Contrairement à d'autres films du
même genre, je n'ai pas cherché à montrer le sacré : montrer le
sacré, c'est prendre le risque de la parodie, j'ai essayé simplement
de présenter la Tradition sous son vrai jour, pour donner à tous l'envie
de participer à cet élan joyeux et généreux, où il reste vrai que «
l'essentiel est invisible pour les yeux. » L'essentiel est intérieur. |