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Jean Paul II et son successeur...

Joël Prieur

Pacte n°79 - Octobre 2003

On a beaucoup parlé, autour du 16 octobre dernier, des vingt-cinq ans de l'homme en blanc, qui, à Rome, préside aux destinées d'un milliard de catho­liques. Un quart de siècle de pouvoir person­nel. A l'heure où les individus semblent devoir s'effacer devant les structures, pour en être de simples représentants, fiers de dire, à la première occasion, qu'ils sont « respon­sables mais pas coupables », Jean Paul II, lui, a fait la démarche inverse. Jamais la papauté n'avait été aussi médiatisée en la personne même du Pontife. Jamais un pape n'avait ainsi parcouru le monde pour y por­ter la bonne parole, effectuant 102 voyages officiellement recensés, mais aussi plus de 300 visites dans les paroisses de Rome, qui est, ne l'oublions pas, le diocèse du pape. Le pontife polonais a prononcé des milliers de discours, il a signé des centaines de documents sur tous les aspects de la vie de l'Eglise et du monde. Non seulement, aujourd'hui, il exerce un pouvoir personnel, mais il le fait "en force", avec une efficacité que l'on ne connaissait pas à ses prédécesseurs. C'est autour de sa personne que l'on a vu se pro­duire ce qui restera sans doute comme le plus grand rassemblement de foules de toute l'histoire de l'humanité : 3,5 millions de per­sonnes l'ont acclamé, c'était à Manille aux Philippines en 1995. Les "cathopride" de Jean Paul II ont modifié considérablement l'atmosphère au sein d'une Eglise que le pontificat de Paul VI avait laissée exsangue et doutant d'elle-même.

Les proportions d'une telle œuvre sont gigantesques, l'homme semble déjà trop grand pour son siècle. Comment ne pas se perdre dans une existence aussi bien rem­plie ? La toute récente biographie de Bernard Lecomte, publiée chez Gallimard, est appelée à faire date, à cause de son extrême clarté. Délibérément, l'auteur, ancien journaliste à La Croix, aujourd'hui rédacteur en chef du Figaro Magazine, a choisi de traiter du pontificat selon un ordre thématique.

C'est plus simple de cette façon ! Par ailleurs, le livre se termine sur une chronolo­gie précise et possède (c'est le moins qu'on puisse faire dans un cas semblable) un index détaillé. Oh ! On trouvera sans doute beau­coup plus de détails dans l'énorme travail de George Weigel, publié en 1999 chez Lattes et qui n'est pas périmé (Jean Paul II, témoin de l'espérance). On trouvera moins de pusil­lanimité et plus d'idées dans l'œuvre monu­mentale du vaticaniste de gauche Luigi Accattoli, parue en français dès 1997 chez Bayard (Jean Paul II, l'homme du siècle).

Mais la timidité de Bernard Lecomte, per­ceptible dès qu'on aborde avec lui certains sujets brûlants, est en quelque sorte à l'ima­ge de l'ambivalence de son héros. Jean Paul II, c'est Janus, la guerre et la paix dans un seul personnage, à la fois conservateur lorsqu'il parle de morale et révolutionnaire lorsqu'il évoque une Eglise "rajeunie" où la papauté ne serait plus qu'un ministère d'amour. Le paradoxe de ce pontificat est là : l'exceptionnelle personnalité du pape, qui brille de tant de dons, ne doit pas faire ou­blier que, sous sa houlette, l'Eglise est restée en quelque sorte au milieu du gué, entre pro­gressisme et traditionalisme, sans jamais vraiment choisir entre les deux partis qui s'offrent à elle, entre les deux dynamiques qui pourraient la porter. Le risque ? Un im­mobilisme inattendu, pour une gigantesque institution bloquée dans une position im­probable, entre fidélité et ouverture, entre in­novation et conservation, entre ministère universel et exigence du dogme.

On peut d'ores et déjà considérer Jean Paul II comme un pape de transition... Il ap­partiendra à son successeur de faire claire­ment le choix que Wojtyla n'a  pas fait  entre l'héritage dissolvant de Vatican II (vers un catholicisme mondialisé) et les richesses cachées de la Tradition catholique (qu'il importera parfois de retrouver). Peut-être faudra-t-il, pour sortir de l'impasse dans laquelle l'Eglise se trouve actuellement, sa­crifier quelques vieux meubles au Vatican ? Peut-être faudra-t-il dire leur fait à tels ou tels vieux cardinaux, nostalgiques de la révolu­tion conciliaire ? Avec, à la clef, de vraies repentances en perspective...

Si l'Eglise prenait l'autre chemin qui s'offre à elle, le chemin politique qu'a esquissé le concile Vatican II, celui de la "temporalisation" de son message comme disait Jacques Maritain, alors elle risque fort de n'être plus qu'une gigantesque ONG spiritualiste au service de tout l'homme et de tous les hommes... Mgr Kurt Krenn, l'évêque de Sankt Pöten en Autriche, l'avait dit nettement, il y a déjà quelques années dans le mensuel Trente jours : « L'Eglise a-t-elle survécu parce qu 'elle était une section en faveur des droits de l'homme, même la plus active et efficace ? Beaucoup le pensent, mais cette vision conduit inévitablement à conclure que la situation actuelle — une plus grande liberté et un plus grand respect des droits — signifie qu'elle a épuisé sa mission, qu'elle ne possède plus aucun attrait et qu'elle est destinée à perdre beaucoup de fidèles » (Trente jours, nov. 91).

Bernard Lecomte, Jean-Paul II, collection Biographies Gallimard, septembre 2003, 638 pp. 28 euros.