Un
livre énigmatique dès sa présentation matérielle. Au dos, on lit : « Gérard
Daucourt, une vie d'évêque » et on croit à une autobiographie. Le
plat supérieur annonce « Gérard, une vie d'évêque Daucourt » ;
suit le nom de deux auteurs : Anne Sophie Andreu et Robert Masson. Ce
serait donc la biographie d'un certain Gérard, évêque d'un diocèse
disparu : Daucourt Mais en page de titre intérieur, outre les deux
précédents rédacteurs, s'ajoute le nom d'un troisième auteur : Gérard
Daucourt. Cette remarque formelle voire formaliste n'est pas inutile, elle
est révélatrice d'un exercice difficile : l'accord de la foi avec la
conception de l'Eglise issue de Vatican II. Si vous arrivez à la page 56
du livre, vous saurez qu'en fait, le livre compte trois parties, une par
auteur. La troisième consistant dans une anthologie de textes de Mgr
Gérard Daucourt.
Je
rencontrai pour la première fois Gérard Daucourt, alors évêque de
Troyes, en compulsant un entretien qu'il avait donné à l'hebdomadaire «
France catholique ». Son thème ? L'infaillibilité pontificale
fait obstacle à l'unité des chrétiens. Pour l'évêque, l'Eglise après
avoir proclamé, à Vatican I, le dogme de l'infaillibilité pontificale
pouvait bien faire un nouveau dogme - qui enseignerait le contraire. Nous
sommes au cœur de la crise conciliaire. Ces propos surprenants serviront
de marche pied à une carrière épiscopale : Troyes, Orléans et
aujourd'hui Nanterre aux portes de Paris. Né en Suisse, d'une famille
catholique pratiquante « une atmosphère chrétienne, une famille où
l'on prenait le temps de prier, où l'on avait la foi chevillée à l'âme
». S'il interrogeait sa mère sur les usages des réformés du
village, il s'entendait répondre : « Ainsi font les protestants, mais
ils ne sont pas dans la vérité. » Arrivent les réformes
conciliaires, « ce ne fut pas sans bouleverser la famille Daucourt,
son père surtout ». Aux yeux de Gérard, encore collégien à
Genève, le titre du journal annonçant Vatican II « Le pape convoque un
concile pour l'unité des chrétiens » résonne comme un appel. Il rentre
au séminaire dans les années 68, il fait partie « de cette
génération de prêtres qui ont été secoués dans leur fidélité ; un
simple fait en donne la mesure : la moitié de ceux qui furent ordonnés
en même temps que lui quittent le ministère en ces années-là ». Le
concile donnait ses premiers fruits.
Mais
pour Gérard « L'Eglise est tellement plus grande que ce qu'on en voit
», sa vocation est œcuménique dans le sens des propositions
énumérées de Vatican II. On pense par exemple à Lumen Gentium : « De
nombreux éléments de sanctification et de vérité se rencontrent en
dehors de la structure de l'Eglise, qui, comme dons propres de l'Eglise du
Christ, appellent l'unité catholique. » L'évêque nous invite à «
recevoir aussi des autres ce qui est insuffisamment vécu chez nous ». De
lui-même, il écrit : « J'ai beaucoup lu, souffert, prié, j'ai pris
beaucoup de contacts. Le moindre geste de ma vie prenait une dimension
œcuménique ». Sa route passe par Taizé. Supérieur au séminaire
interdiocésain de Franche-Comté, il pense à l'Iran mais il est appelé
à Rome au Conseil pour l'unité. Robert Masson le classe dans « cette
nouvelle générations d'évêques qui ont intégré l'enseignement de
Vatican II » La première génération, celle de la théologie de
l'enfouissement - malheureuse de n'être pas arrivée à faire
disparaître la visibilité de l'Eglise - se voit remplacée par une
nouvelle vague, avide de signes et soucieuse de communication.
Inlassablement Gérard Daucourt prend plaisir dans ses déplacements
épiscopaux à de longues séries de lavement des pieds à la symbolique
plus ou moins oecuménique. En revanche lorsque Rome tente de rétablir la
hiérarchie en Russie, il y voit un but noble mais il déplore un manque
de discernement. L'orthodoxie doit rester pour lui « l'Eglise-mère de
ces terres-là ». Pourtant voir une partie des gitans happés par des
sectes protestantes pratiquant un prosélytisme qu'il réprouve, cela lui
semble grave. Il s'interroge : Comment se fait-il qu'à Paris ou à Rome
« le départ de cent mille d'entre eux ne mobilise pas autant que la
rupture des partisans de Monseigneur Lefebvre ? » Il tient la réponse :
les traditionalistes « appartiennent quasiment tous aux couches aisées
et cultivées de la société ». Ils disposent de moyens « y compris
financiers pour faire entendre leur voix », ils ont des « cardinaux de
Curie, en générale la retraite »... Là bienveillance de l'évêque
trouve ici ses limites. Mais dans le même temps, « deux pères de
familles manouches ont prêché une retraite de la récollection de
carême aux prêtres de son diocèse ». L'Evêque, lui, en profite pour
se rendre à l'« ordination » d'un pasteur protestant. D vient comme
«parrain» et comme « évêque » sans pouvoir lui imposer les mains.
Par moments il est conscient de la gravité de la crise de la foi : 3 % de
pratique dominicale dans le diocèse de Moulins, cela l'inquiète,
l'indifférence d'une société sans Dieu aussi. Il ne veut pas justifier
« les liturgies ennuyeuses ou bavardes, ni les excès de nouveauté ou
les crispations sur le passé, ni les erreurs d'adaptations qui
célèbrent plus l'homme ou l'amitié que le sacrifice du Christ ou la
communion au mystère d'amour de Dieu ». Il l'admet, les jeunes ne sont
pas dans les églises « où il y a plus de cheveux blancs que de jeunes
chevelures », mais il se console en les rencontrant « dans des
rassemblements où ils se trouvent peut-être davantage chez eux. »
Il
y a de l'indécence dans ce livre, de la propagande dans ce panégyrique
répété : « il est l'ami des pauvres, des gitans, des handicapés, des
sans-papiers ». C'est un évêque gentil et pieux qui aime l'Eglise, mais
a-t-il raison de dire « que jamais il n'a trouvé l'Eglise plus belle
qu'aujourd'hui »? Ce livre fera les délices des amateurs de bouillie
ecclésiastique. Mais pas des catholiques se souvenant que Troyes fut l'évê-
ché de Saint Loup, Orléans celui de Saint Aignan et Nanterre la ville
d'une petite bergère : saint e Geneviève. Tous trois dans une période
où la barbarie menaçait, s'étaient fait les défenseurs de la cité.
Ils pensaient au bien des corps et surtout des âmes, ils n'avaient pas de
temps à perdre pour le dialogue inter religieux. Mgr Daucourt lirait
avantageusement le récent livre d'entretiens d'Emile Poulat Le
Christianisme à contre-histoire. Poulat s'y déclare frappé par la «
cécité du catholicisme français sur lui-même et sa propre histoire ».
Homme de prière et d'oraison, nous n'en doutons pas, Mgr Daucourt
pourrait, dans la lumière du Saint- Esprit, ouvrir les yeux de la foi. |
Anne
Sophie Andreu et Robert Masson, Gérard Daucourt, Une vie d'évêque, Parole
et Silence, 2003,247 pages, 16 euros.
Emile
Poulat Dominique Decherf, Le christianisme à contre-histoire, Editions
du Rocher, mai 2003, 205 pages, 20 euros. |