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L'énigme de Nanterre

 Abbé Bruno Schaeffer

Pacte n°78 - septembre 2003

Un livre énigmatique dès sa présentation matérielle. Au dos, on lit : « Gérard Daucourt, une vie d'évêque » et on croit à une autobiographie. Le plat supérieur annonce « Gérard, une vie d'évêque Daucourt » ; suit le nom de deux auteurs : Anne Sophie Andreu et Robert Masson. Ce serait donc la biographie d'un certain Gérard, évêque d'un diocèse disparu : Daucourt Mais en page de titre intérieur, outre les deux précédents rédacteurs, s'ajoute le nom d'un troisième auteur : Gérard Daucourt. Cette remarque formelle voire formaliste n'est pas inutile, elle est révélatrice d'un exercice difficile : l'accord de la foi avec la conception de l'Eglise issue de Vatican II. Si vous arrivez à la page 56 du livre, vous saurez qu'en fait, le livre compte trois parties, une par auteur. La troisième consistant dans une anthologie de textes de Mgr Gérard Daucourt.

Je rencontrai pour la première fois Gérard Daucourt, alors évêque de Troyes, en compulsant un entretien qu'il avait donné à l'hebdomadaire « France catholique ». Son thème ? L'infaillibilité pontificale fait obstacle à l'unité des chrétiens. Pour l'évêque, l'Eglise après avoir proclamé, à Vatican I, le dogme de l'infaillibilité pontificale pouvait bien faire un nouveau dogme - qui enseignerait le contraire. Nous sommes au cœur de la crise conciliaire. Ces propos surprenants serviront de marche pied à une carrière épiscopale : Troyes, Orléans et aujourd'hui Nanterre aux portes de Paris. Né en Suisse, d'une famille catholique pratiquante « une atmosphère chrétienne, une famille où l'on prenait le temps de prier, où l'on avait la foi chevillée à l'âme ». S'il interrogeait sa mère sur les usages des réformés du village, il s'entendait répondre : « Ainsi font les protestants, mais ils ne sont pas dans la vérité. » Arrivent les réformes conciliaires, « ce ne fut pas sans bouleverser la famille Daucourt, son père surtout ». Aux yeux de Gérard, encore collégien à Genève, le titre du journal annonçant Vatican II « Le pape convoque un concile pour l'unité des chrétiens » résonne comme un appel. Il rentre au séminaire dans les années 68, il fait partie « de cette génération de prêtres qui ont été secoués dans leur fidélité ; un simple fait en donne la mesure : la moitié de ceux qui furent ordonnés en même temps que lui quittent le ministère en ces années-là ». Le concile donnait ses premiers fruits.

Mais pour Gérard « L'Eglise est tellement plus grande que ce qu'on en voit », sa vocation est œcuménique dans le sens des propositions énumérées de Vatican II. On pense par exemple à Lumen Gentium : « De nombreux éléments de sanctification et de vérité se rencontrent en dehors de la structure de l'Eglise, qui, comme dons propres de l'Eglise du Christ, appellent l'unité catholique. » L'évêque nous invite à « recevoir aussi des autres ce qui est insuffisamment vécu chez nous ». De lui-même, il écrit : « J'ai beaucoup lu, souffert, prié, j'ai pris beaucoup de contacts. Le moindre geste de ma vie prenait une dimension œcuménique ». Sa route passe par Taizé. Supérieur au séminaire interdiocésain de Franche-Comté, il pense à l'Iran mais il est appelé à Rome au Conseil pour l'unité. Robert Masson le classe dans « cette nouvelle générations d'évêques qui ont intégré l'enseignement de Vatican II » La première génération, celle de la théologie de l'enfouissement - malheureuse de n'être pas arrivée à faire disparaître la visibilité de l'Eglise - se voit remplacée par une nouvelle vague, avide de signes et soucieuse de communication. Inlassablement Gérard Daucourt prend plaisir dans ses déplacements épiscopaux à de longues séries de lavement des pieds à la symbolique plus ou moins oecuménique. En revanche lorsque Rome tente de rétablir la hiérarchie en Russie, il y voit un but noble mais il déplore un manque de discernement. L'orthodoxie doit rester pour lui « l'Eglise-mère de ces terres-là ». Pourtant voir une partie des gitans happés par des sectes protestantes pratiquant un prosélytisme qu'il réprouve, cela lui semble grave. Il s'interroge : Comment se fait-il qu'à Paris ou à Rome « le départ de cent mille d'entre eux ne mobilise pas autant que la rupture des partisans de Monseigneur Lefebvre ? » Il tient la réponse : les traditionalistes « appartiennent quasiment tous aux couches aisées et cultivées de la société ». Ils disposent de moyens « y compris financiers pour faire entendre leur voix », ils ont des « cardinaux de Curie, en générale la retraite »... Là bienveillance de l'évêque trouve ici ses limites. Mais dans le même temps, « deux pères de familles manouches ont prêché une retraite de la récollection de carême aux prêtres de son diocèse ». L'Evêque, lui, en profite pour se rendre à l'« ordination » d'un pasteur protestant. D vient comme «parrain» et comme « évêque » sans pouvoir lui imposer les mains. Par moments il est conscient de la gravité de la crise de la foi : 3 % de pratique dominicale dans le diocèse de Moulins, cela l'inquiète, l'indifférence d'une société sans Dieu aussi. Il ne veut pas justifier « les liturgies ennuyeuses ou bavardes, ni les excès de nouveauté ou les crispations sur le passé, ni les erreurs d'adaptations qui célèbrent plus l'homme ou l'amitié que le sacrifice du Christ ou la communion au mystère d'amour de Dieu ». Il l'admet, les jeunes ne sont pas dans les églises « où il y a plus de cheveux blancs que de jeunes chevelures », mais il se console en les rencontrant « dans des rassemblements où ils se trouvent peut-être davantage chez eux. »

Il y a de l'indécence dans ce livre, de la propagande dans ce panégyrique répété : « il est l'ami des pauvres, des gitans, des handicapés, des sans-papiers ». C'est un évêque gentil et pieux qui aime l'Eglise, mais a-t-il raison de dire « que jamais il n'a trouvé l'Eglise plus belle qu'aujourd'hui »? Ce livre fera les délices des amateurs de bouillie ecclésiastique. Mais pas des catholiques se souvenant que Troyes fut l'évê- ché de Saint Loup, Orléans celui de Saint Aignan et Nanterre la ville d'une petite bergère : saint e Geneviève. Tous trois dans une période où la barbarie menaçait, s'étaient fait les défenseurs de la cité. Ils pensaient au bien des corps et surtout des âmes, ils n'avaient pas de temps à perdre pour le dialogue inter religieux. Mgr Daucourt lirait avantageusement le récent livre d'entretiens d'Emile Poulat Le Christianisme à contre-histoire. Poulat s'y déclare frappé par la « cécité du catholicisme français sur lui-même et sa propre histoire ». Homme de prière et d'oraison, nous n'en doutons pas, Mgr Daucourt pourrait, dans la lumière du Saint- Esprit, ouvrir les yeux de la foi.

Anne Sophie Andreu et Robert Masson, Gérard Daucourt, Une vie d'évêque, Parole et Silence, 2003,247 pages, 16 euros.

Emile Poulat Dominique Decherf, Le christianisme à contre-histoire, Editions du Rocher, mai 2003, 205 pages, 20 euros.