En
France, le sentiment religieux serait sur le point de revenir. Aussi vite
que la nature : au galop. Mais il s'agit plus de rechercher un peu de
sens, que de servir la Vérité acceptée sans discussion. On retrouve
quelque chose de la religion de Vatican II dans cette sacralité light...
A
-t-on remarqué la couverture frappante du numéro d'été du « mensuel
de l'économie », Enjeux Les Echos ? Elle disait : « Dieu, la valeur qui
monte », sous-titré « Les religions reviennent enfonce. Dans nos
sociétés, dans l'économie, dans l'entreprise. » Cette annonce d'aspect
sensationnel et vendeur est la formulation claire de ce que l'on ressent
de moins en moins confusément : il existe un retour du religieux. Nos
gouvernants, toujours dans le sens du vent, ont d'ailleurs repéré ce
courant grâce auquel les journées du patrimoine, les 20 et 21 septembre,
se sont officiellement tournées vers le « spirituel ». Pour motiver son
choix, notre ministre de la Culture explique que nos concitoyens ont une
attitude paradoxale vis-à-vis du patrimoine religieux : « Les lieux de
culte sont très présents dans le paysage de notre pays. Mais ils restent
souvent méconnus, voire inconnus » en raison de « la dégradation de la
culture religieuse », cause d'une « cécité à l'égard du patrimoine
religieux, une incapacité à le lire », selon des propos publiés dans
La Croix du 12 septembre. Encore mieux : M. Aillagon se défend sans
trembler lorsqu'on lui rappelle la « neutralité » de l'Etat-en matière
de culte : « La République, fidèle au principe de la laïcité, doit
s'interroger sur sa part de responsabilité dans la diffusion de la
culture religieuse ». Dans le monde du show-business et de la culture en
place, on se tourne aussi vers Dieu et on le fait savoir. C'est le
chanteur Yves Duteil, par exemple, qui nous donne sa façon de croire : «
Si Dieu est à l'origine du monde, les artisans de l'avenir s'appellent
Pasteur, Fleming, Luther-King, Gandhi. (...) Alors faut-il accuser Dieu
pour les maux de la Terre ou le remercier d'avoir semé en nous l'envie
d'y résister et la force d'y croire ? »
Chaque
semaine ou presque, Famille Chrétienne rend témoignage de cette nouvelle
attraction du divin sur la société : dans le numéro du 9 août, par
exemple, Luc Adrian se laisse attendrir par quelques prostituées du Bois
de Boulogne qui, sans avoir la volonté de changer de vie, ont retrouvé,
non sans une profonde émotion, le chemin du confessionnal et de la table
de communion. Ces petits faits, reflets de milliers d'autres, attestent de
l'incontestable attrait des mentalités pour les choses du divin. Certains
intellectuels en vue, neutres ou pas à l'égard de ces changements, les
analysent et sont parfois pleins d'espoir pour la Foi chrétienne. Dans Le
Figaro du 23 août, Chantal Delsol, intellectuelle catholique déclare :
«Aujourd'hui, tout laisse à penser que nous allons faire notre
coming-out (...) parce que l'étau des idéologies du Progrès (...) s'est
relâché avec la fin du socialisme réel. Parce que la force de la
pression antireligieuse a atteint des sommets de ridicule que dénoncent
même des non-croyants. » Chantal Delsol formule ensuite ses espérances
: « Envisagé dans son rôle social et intellectuel, le christianisme a
pour mission de maintenir le socle de l'unité de l'espèce humaine, car
cette certitude, sur laquelle sont fondés les droits de l'homme, ne vient
que de lui et ne peut tenir que sur lui ».
Une
explication
Le
Point du 5 septembre fait état de « A l'ombre des lumières » ce
livre-débat entre le philosophe Régis Debray et le physicien Jean
Bricmont, récemment édité chez Odile Jacob. Dans leur athéisme
partagé, les auteurs tentent d'expliquer cette « incongruité » du
retour au religieux. Le physicien :«(...) beaucoup de croyants modernes
et même d'incroyants (...)font comme si le discours scientifique et le
discours religieux se déroulaient sur des plans différents, l'un
s'occupant des faits et l'autre de sens ou de valeur. (...) C'est un
succès remarquable des croyants que d'être arrivés à convaincre tant
de leurs adversaires que le plan des faits, sur lequel ils ont été
obligés de battre en retraite devant les avancées de la science,
n'était en fait pas celui auquel ils tenaient vraiment. Il est curieux
qu'il leur ait fallu des siècles pour se rendre compte de cela. Et il est
intéressant d'observer que, partout où les religions sont encore
virulentes, beaucoup de croyants n 'ont pas encore fait cette grande
découverte ». Mais Jean Bricmont pose la bonne question : « En quoi
cette morale ( chrétienne) sera-t-elle différente d'une morale non
religieuse si on abandonne toutes les assertions défait, les punitions
divines ici et dans l'au-delà, l'intérêt de Dieu pour sa créature
humaine, etc ? » Régis Debray, finalement, se dévoile : « Oui,
religion est un mot trop commode auquel il faudra sans doute un jour
renoncer ». Quand Debray annonce le retour du religieux, c'est donc parce
qu'il n'a pas encore trouvé le mot exact
Tendance
?
Un
publicitaire éclaire, chargé d'anticiper les besoins des consommateurs,
y verrait une tendance, une nouvelle mode qui s'annonce. Cette soif de
religion, de racines et de repères s'annonçait dans la folie de «
l'authentique » qui étreint nos sociétés depuis déjà plusieurs
années : dans les domaines de l'alimentaire (agriculture biologique,
cuisine de terroir, chocolat noir bien amer à 72 %, pain aux céréales
aussi coriace que possible), des loisirs et destinations de vacances (la
Bretagne préservée attire de plus en plus aux dépens de la Côte
bétonnée sous l'azur). Le retour au spirituel représente bien la
nouvelle étape d'une recherche de repères toujours plus pressante et la
religion de Vatican II - toute subjective - semble une réponse adéquate
pour notre société encore jalouse de toutes les libertés qui font sa
règle.
Mais
on peut penser que cette recherche de repère est un processus qui va
croissant comme le sont la Révolution et sa soif de liberté.
N'éteignons pas la mèche qui fume encore ! Un jour, non contents de nos
fraîches racines, les trouvant un peu courtes sur sol motivant, nous
demanderons un tuteur, des règles, une vérité. Et Vatican II ne fera
décidément plus l'affaire... |